vj |
TORONTO 09384 |
o ''' |
00 |
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/explorationscien02tiss
A
11^
EXPLORATION SCIENTIFIQUE
DE
LA TUNISIE.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE.
SE TROUVE À PARIS
CUBZ
HACHETTE ET C", LIBRAIRE ÉDITEUR,
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 7y.
DROITS DE PROPRIETE BT DE TRADUCTION RESERVES.
('ministère de L'INSTRUCTION PURLIQUE.")
EXPLORATION SCIENTIFIQUE DE LA TUNISIE.
->♦£$.
GÉOGRAPHIE COMPARÉE
DE ,
LA PROVINCE ROMAINE D'AFRIQUE,
PAR
CHARLES TISSOT, ht
ANCIEN AMBASSADEUR, MEMBRE DE L'INSTITUT.
TOME SECOND.
CHOROGRAPHIE. - RESEAU ROUTIER.
3
OUVRAGE PUBLIE D'APRES LE MANUSCRIT DE L'AUTEUR,
AVEC DES NOTES, DES ADDITIONS ET UN ATLAS
PAR SALOMON REINACH,
MEMBRE DE LA COMMISSION ARCHEOLOGIQUE DE TU.MSIE.
PARIS. IMPRIMERIE NATIOi>JALE.
M DCCC LXXXVIU.
r
PRÉFACE.
En livrant au public, plus de trois ans après la mort de l'auteur, le second volume impatiemment attendu de son grand ouvrage, je crois devoir entrer dans quelques détails sur les motifs qui en ont retardé la publication , et sur la manière dont j'ai compris la tâche que les dernières volontés de M. Tissot m'avaient imposée. Il ne s'agit pas de me justifier d'une lenteur qui m'était commandée par la prudence, par les intérêts bien entendus de la science et de l'oeuvre commencée; encore moins de revendiquer une part de colla- boration qui n'a été que faccomplissement d'un devoir et facquittement d'une dette. Ce qui importe, c'est de préciser les circonstances où la Géogra- phie de l'Afrique romaine a été écrile, les événements qui en ont renouvelé les matériaux au moment même où le livre était achevé, les difficultés que l'auteur et féditeur ont eu à vaincre pour qu'il répondît aujourd'hui, du moins en quelque mesure, à fétat d'une science si prodigieusement enri- chie depuis dix ans. Imprimer, sous ie feu des découvertes si l'on peut dire, un manuscrit terminé alors que ces découvertes commençaient à peine, est une tâche dont peu de personnes sont en état de mesurer les périls; il n'est que plus nécessaire d'y insister, d'en indiquer la gravité et le caractère , tant pour rendre meilleure justice aux mérites de f œuvre de M. Tissot que pour faire excuser aux lecteurs compétents et équitables les imperfections ou les disparates qu'on y pourra signaler.
I
Admis à l'Ecole d'administration en i848, M. Tissot passa de là au Ministère des affaires étrangères, et fut nommé élève consul à Tunis en 1862 ^ Il avait alors vingt-quatre ans. Pendant la première année de son
' Voir la biographie de M. Tissot que nous avons placée en tête de l'édition de ses Fastes de la province romaine d'Afrique, Paris, i885, p. I-Lxxxviii.
M.{ II )<^~-
séjour en Afrique, il s'occupa surtout d'apprendre l'arabe et de visiter, sans préoccupations archéologiques, les environs immédiats de la ville. Au prin- temps de i853, il fui chargé d'une première mission dans le Sud tunisien, et pénétra jusqu'à Tôzer, entre le Chott el-Djerid et le Chott el-Gharsa. La même année on l'envoya dans le pays des Khoumirs, région tout à fait inexplorée alors et qui forme encore comme une tache blanche sur la carte de iSSy. Au cours de ces voyages difficiles, il se familiarisa avec la physio- nomie de la Régence, se perfectionna dans l'usage de la langue arabe et enrichit ses cartons d'aquarelles et de dessins qui devaient lui être plus tard d'un grand secours.
Licencié es lettres depuis i85o, M. Tissot songeait à se faire recevoir docteur. En i85/i, pendant un court séjour à Paris, il travailla à rassem- bler les matériaux de sa thèse sur les Proxènes et étudia , dans les biblio- thèques, l'histoire de la Régence de Tunis. C'est M. Renan qui, en lui indi- quant un sujet pour sa seconde thèse, décida de sa vocation archéologique. «J'ai vu deux fois M. Renan, écrivait-il à son père le lo septembre i855; il a été on ne peut plus aimable pour moi. Il m'a prêté plusieurs ouvrages sur fAfrique, s'est entretenu avec moi de mes projets de thèses et m'a fort engagé à prendre pour sujet de thèse latine la monographie du lac Triton. C'est décidément à cette étude que je m'arrête. J'aurai favantage d'avoir vu de mes yeux le pays presque fabuleux dont il s'agit et de pouvoir rectifier ou confirmer les hypothèses de Shaw et de Mannert. Shaw n'a pas visité le Djerid, bien qu'il ait affirmé le contraire, et Mannert n'a parlé du Djerid que d'après Shaw. . . M. Renan m'a fait faire la connaissance de M. Léon Renier, bibliothécaire à la Sorbonne, qui publie en ce moment le recueil de toutes les inscriptions latines de fAlgérie. Il m'a prié de lui communi- quer celles qui pourraient me tomber sous la main dans la Régence de Tunis, n
C'est à cette époque que M. Tissot conçut pour la première fois fidee tl'un ouvrage général sur la géographie comparée de fAfrique. Au mois de novembre i855, retenu par les mesures de quarantaine en rade de la Goulette , il écrivit à son père : « J'avoue que je n'ai pas revu sans plaisir la plage de Carthage et les collines de Byrsa. Je les ai soigneusement dessinées ; cela me servira pour mon travail qui me trotte plus que jamais par la tête : il faudra bien qu'il en sorte. »
En 1 856 , tout en rédigeant son mémoire sur le lac Triton , il entreprit
'*->{ III ««-t-
plusieurs voyages dans la Régence. Ses lettres de cette année sont pleines de renseignements sur les travaux archéologiques auxquels il se livrait alors avec ardeur. Il copia les inscriptions puniques de la collection Reade à la Goulette, découvrit à Sidi-Medien l'emplacement de la colonia Vallis, visita Hergla , Mehdia , El-Djemm , et rapporta de toutes ces courses des aquarelles , des renseignements topographiques et des copies d'inscriptions. La Société archéologique de Constantine le nomma membre correspondant et ouvrit son Annuaire à ses premières publicalions. A ce moment déjà, il n'y avait personne en Europe qui fût aussi familiarisé que lui avec la géographie comparée de la Régence. On ne saurait trop regretter pour la science qu'il n'ait pas alors sollicité et obtenu une mission archéologique , dont il pouvait s'acquitter mieux que personne et qu'il aurait acceptée avec enthousiasme. Le livre que nous publions aujourd'hui aurait vu le jour depuis vingt ans.
Avec des loisirs très précaires et des ressources plus que modestes, M. Tissot disputait à ses occupations diplomatiques le temps nécessaire pour explorer le pays qui devait rester l'objet principal de ses études. Au mois d'octobre i856, il se rendit dans la province de Constantine, où il se lia avec M. Cherbonneau, alors professeur d'arabe et secrétaire de la Société d'archéologie, un de ces excellents archéologues algériens qui ont publié ou sauvé tant de monuments et dont les noms comme les œuvres ne sont pas asse connus du public lettré. «Nous avons passé de bien bonnes heures, écrit M. Tissot, à deviser, au fond des vallées du Ruuimel, l'antique Ampsaga, d'épigra^jhie , de httérature, de mille choses enfin dont je ne pouvais causer depuis longtemps. Je l'ai quitté avec un regret qu'il a paru partager. Il y a des gens qui divisent la société en différentes classes, d'après l'habit et le rang; pour mon interlocuteur, il n'y a que deux espèces d'hommes : ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas. Je suis assez de son avis. »
La Revue africaine venait d'être fondée à Alger sous les auspices du gou- verneur général et avait nommé M. Tissot son correspondant. Il lui envoya un article sur les inscriptions d'El-Djemm, qui parut dans le premier numéro de la Revue, ouvrant la série des articles de fond. « Une telle bienveillance oblige, écrivait M. Tissot, et je viens d'expédier à la Revue un article plus résistant sur les routes romaines du sud de la Byzacène; c'est un chapitre détaché de ma thèse et qui peut parfaitement se lire à part. Dans ce travail, qui m'a coûté beaucoup de peine, mais qui me semble complet, j'ai discuté et déterminé toutes les stations indiquées, soit par l'Itinéraire, soit par la
Table de Peulinger. Les documents que j'ai réunis, soit dans mon voyage au Djerid, soit depuis, au moyen de mes correspondants arabes, m'ont permis de fixer une vingtaine de stations restées douteuses ou inconnues. J'ai dû faire une rude guerre à M. Peliissier, auteur de la Description de la Réijence de Tanis. Arnicas Phto, sed magis arnica veritds; et la vérité, je pourrais dire le bon sens , ne sont pas toujours de son côté. J'ai dû anéantir huit ou dix synonymies proposées par lui et qui n'ont même pas le mérite de s'appuyer réciproquement. P'ausses absolument, elles n'étaient même pas vraies relati- vement : en admettant une seule de ces synonymies comme vraie, les autres sont nécessairement fausses. »
L'ouvrage de M. Peliissier, publié en i853 à l'Imprimerie impériale et formant le i6* volume de YExpbration scientifique de l'Algérie, méritait, en ce qui concerne la géographie comparée, toute la sévérité de M. Tissot. L'auteur, ancien consul général de France à Tunis, n'entendait rien à l'épi- graphie latine et ne connaissait les textes anciens que de seconde main. Ses descriptions mêmes sont peu précises et souvent difficiles à suivre. Il a ce- pendant parcouru une grande partie de la Régence et, comme il était bon arabisant, il a reproduit assez exactement les noms des localités modernes, si défigurés par Shaw et sir Grenville Temple. Bien dirigées, ses explorations auraient pu être très fructueuses cl laisser moins de travail à ses successeurs. Tel qu'il est, son livre doit encore être lu et consulté, parce qu'il décrit quelques ruines qui ne paraissent pas avoir été étudiées depuis. Il a du resle, bien involontairement, rendu à la science un grand service : c'est en se con- vainquant que l'ouvrage de Peliissier était médiocre que M. Tissot s'est décidé i\ écrire le sien.
Dans les dispositions où il se trouvait, M. Tissot ne put qu'accepter avec joie la proposition qui lui fut faite au mois de janvier iSÔy : il s'agissait de retourner dans le Djerid , de traverser de nouveau toute la Régence en compagnie de la colonne tunisienne cliargée de lever les impôts et commander par le bey du camp. 11 m'a souvent dit que ce voyage avait été fépoque la plus heureuse de sa vie. Pendant plus de deux mois, il goûta tous les plaisirs qui convenaient à sa vigoureuse nalure : la chasse, les découvertes archéologiques , l'imprévu des périls bravés et surmontés. Les croquis et les aquarelles qu'il a laissés pennettent de suivre, étape par étape, ce voyage qu'aucun Européen n'avait entrepris avant lui. Le lo février 1867 il était à Kaîrouân, vivant dans l'intimité du bey du camp, heureux d'avoir pu
-l-3« V K^-
reprendre la vie nomade , à cheval ou sous la tente , pour laquelle il se sen- tait comme une vocation. Le 26 février, il écrit du camp de Hamma, près de Tôzer, après avoir passé par Kafsa, où il recueillit vingt- cinq inscrip- tipns. Il séjourna pendant quinze jours dans l'oasis de Tôzer, qui lui a fourni le motif d'aqxiarelles charmantes. «J'ai trouvé deux inscriptions romaines au Nefzâoua , sur la limite du grand désert. J'ai traversé et longé mon lac : j'ai visité l'île des Palmiers de Pharaon , et tout a confirmé les induc- tions que j'avais tirées de mes premières recherches. Les cheikh du Nefzâoua étaient un peu surpris d'apprendre de la houche d'un chrétien bien des tra- ditions qu'ils croyaient être leur secret, ou qu'ils ignoraient tout à fait. . . J'ai trouvé énormément de ruines romaines dans le Sahara; le peuple roi s'y était solidement établi , quoi qu'on en ait dit : c'est merveille de voir au milieu des sables ces pierres de taille énormes que Rome amoncelait partout 011 pénétraient ses légions ^. »
Deux jours après , il exécutait l'entreprise la plus périlleuse de son voyage , la traversée du Chott el-Djerid, dont les sables mouvants, couverts d'une mince couche de sel, ont englouti tant de caravanes. Il l'a racontée vingt- deux ans plus tard, avec une simplicité qui ne laisse pas d'être émouvante, dans le Bulletin de la Société de Géographie de juillet 1879^. Le chott traversé sans encombre, la petite colonne reprit la route de Tunis. C'est à trois jours de marche de cette ville , au passage de la Meliana , que M. Tissot devait faire la plus belle découverte de son voyage , celle de l'emplacement de Thuburbo Majus [Henchir Kashat), vainement cherché jusque-là par Shaw et Pellissier. C'était le complément de l'identification de Vallis, fruit de son voyage de 1 856. Désormais il tenait entre ses mains la clef des itinéraires romains de l'Afrique du Nord.
De retour à Tunis le 1 1 avril , M. Tissot écrivait à son pèi'e : « Je suis en train de tirer les conséquences de ma découverte de Thuburbo, et j'es- père arriver à déterminer un certain nombre de stations intermédiaires entre ce point et Hadrumète. Mannert a pataugé, et pour cause, dans toute cette partie de la Table de Peutinger. Il me faudrait une bonne édition des Itinéraires; j'en suis réduit à travailler sur deux fragments que j'ai trouvés dans une vieille édition de Shaw. . . Il me prend envie, parfois, de reprendre ma thèse sur le Triton et d'en faire, avec les études aux-
* Lettre du i4 mars 1857. — * ^^^"^ ^^ tome I de la Géographie de la province romaine, p. laS et suiv.
-~fr«»( VI )•€-»
quelles je me suis livré sur la géographie ancienne de la Régence, une nouvelle thèse sur la géographie comparée de la province d'Afrique et de la Tunisie. Mais ce qui me retient toujours, c'est le manque de livres! 11 me faudrait Strabon, Ptoicmée, Pline, Mêla, etc. Je crois que, pour faiçe quelque chose de passable , je serai obligé d'attendre le moment où j'aurai pu me procurer une bibliothèque spéciale, et les loisirs de mon premier trou consulaire. Mais ce que je puis faire dès mnintenant et ce que je fais autant que je peux, c'est de rassembler les matériaux que le pays seul peut me fournir. »
Ce fragment de lettre nous fait connaître à la fois l'origine du grand ouvrage de M. Tissol, dont il avait entrevu le projet dès i855 , et l'obstacle principal qui en retarda l'achèvement. Le manque de livres fut le malheur de cette jeunesse si douée, si laborieuse, mais pauvre, que l'acquisition de quelques volumes condamnait à de véritables privations. Comme élève consul, M. Tissot touchait un traitement annuel de 3,ooo francs; chacun de ses voyages, nécessairement fort coûteux, augmentait sa gêne et ses embarras. 11 ne les confiait que timidement à son père, modeste professeur de Faculté, qui aurait du priver sa famille pour lui venir en aide. Lorsqu'il accepta quelques avances des siens, c'était parce qu'on lui défendait de les refuser. Il supporta et dissimula sa pauvreté avec la fierté d'un Oriental de grande race. Ce sont là des misères que l'on ne raconte pas, mais qui expliquent bien des découragements et des accès de tristesse. M. Tissot ne fut point gâté par la vie. Sans titre, sans fortune, sans protection, dans une carrière où le mérite seul n'a pas toujours été une recommandation sufli- sante , il était encore élève consul après six ans de services qui ne lui avaient valu que des compliments et des jaloux. Troisième sur la liste de son grade , il vit passer avant lui le quatrième , nommé au poste de consul à Trébizonde. Celte injustice le révolta, mais ne l'abattit point : le découragement n'est qu'une crise passagère chex ceux qui ont conscience de leur force et qui sentent qu'un jour ou l'autre ils pourront poser leurs conditions. 11 se remit bravement au travail et envoya sa notice sur Thuburbo Majus k la Reime africaine, qui la fit paraître aussitôt. «Après tout, le mal n'est pas grand, écrivait-il le 9 juin 1867; je suis un des plus jeunes agents de la carrière, et le temps d'arrêt que j'éprouve en ce moment peut avoir son bon côté. Je me suis remis k éplucher mes routes romaines : je couve un récit pitto- resque de mon dernier voyage au Sahara, je repolis mes thèses et fais de la
---1-3* VII
procédure comme un procureur au Chàtelet. » M. Tissot n'afFeclait jamais plus d'optimisme que dans ses moments d'ennui; il était trop fier pour se plaindre et ne voulait pas s'avouer vaincu.
Deux mois après , à la suite de démarches auxquelles il resta presque étranger, on le nommait consul à la Corogne, poste médiocre qui n'était pas digne de lui. Chargé par le consul général de Tunis, M. Roche, d'une mis- sion auprès du gouverneur général de l'Algérie, il revint en France en passant par Bône et Alger; à la fin du mois de novembre, il traversa l'Es- pagne et s'installa dans sa nouvelle résidence, qui lui fit bientôt regretter la Tunisie.
TI
En 1887, au moment où M. Tissot allait s'éloigner pour vingt ans de l'Afrique , le Dépôt de la guerre publia la carte de la Régence de Tunis à l'échelle du 400,000*, d'après les relevés et les renseignements de Falbe, capitaine de vaisseau danois, et Pricot Sainte-Marie, chef d'escadron d'état- major français. Cette publication est une date mémorable dans l'histoire de la géographie comparée de l'Afrique du Nord. Bien que dressée par des militaires et pour des militaires, la carte de 1 85 y ne devait pas moins servir aux archéologues; elle leur fournissait pour la première fois une image approximative de la Régence et le point de départ obligé de toutes les études comparatives. Pendant vingt-cinq ans, on n'en eut point d'autre, ou l'on n'eut que des cartes dérivant directement de celle-là. Assurément le progrès était grand sur les cartes de Shaw, de Lapie, de Temple, de Pellissier, mais que de lacunes encore, que d'omissions, de répétitions ou d'erreurs! Il n'avait pu être question, pour MM. Falbe et Sainte-Marie, de lever métho- diquement le plan d'un pays où les voyages étaient si dangereux et si dif- ficiles; ils durent se borner à parcourir un certain nombre de routes, à recueillir les renseignements des indigènes, et leurs documents, transmis au Ministère de la guerre, y furent combinés et coordonnés le mieux possible. Dans la gravure de la carte, on ne distingua pas toujours les indications topographiques certaines de celles qui n'étaient dues qu'à des informations ou des conjectures. Le vrai et le faux y sont perpétuellement juxtaposés. Le dessin de la côte lui-même laisse beaucoup à désirer; si Ton pénètre dans l'intérieur, on trouve une orographie incohérente, une hydrographie d'une précision trompeuse ou tout à fait nulle, par exemple pour le bassin de
IVPHIUÏIIII KATIO:(«I.E.
■■*■>»( VIU ).»4-
Kairouàn; enfin, des régions considérables restaient absolumenl inconnues, et la position de plusieurs villes inaportantes , entre autres kafsa , était entacKée d'inexactitude. Ces graves défauts de la carte de 1867, qui allaient peser pendant longtemps sur la géographie comparée de la Tunisie, ne doivent pas cependant nous rendre injustes pour le mérite des ofTiciers qui en ont fourni les éléments. La tâche était au-dessus des forces de deux honjmcs; mais on peut affirmer que personne, dans les mêmes conditions, n'aurait pu s'en acquitter mieux. Là où Falbe et Sainle-Marie ont passé eux-mêmes, les itinéraires sont presque toujours relevés avec exikctitude; ce nVîst pas leur faute s'ils n'ont pu aller partout et si leurs informateurs les ont trop souvent mal renseignés. Il n'en reste pas moins qu'avec une carte aussi imparfaite , il était très difficile, sinon impossible, de mettre à profit et de contrôler les indications des itinéraires anciens; la géographie comparée de la Tunisie exigeait de ses adeptes soil des voyages ])er3onnels accompagnés d'obser- vations minutieuses, soit un véritable instinct de divination. Eu outre, les recherches épigraphiques n'avaient encore donné qu'un petit nombre de documents pouvant servir de points de repère et fournir des identifications certaines; ces documents mêmes étaient dispersés datis de nombreux recueils et livres de voyages. Aujourd'hui que nous possédons le Corpus et la carte au a 00, 000", nous ne songeons peut-être pas assez aux difficultés que pré- sentaient ces études, alors qu'on n'avait ni recueil d inscriptions, ni cartes dignes de foi , que l'archéologie et la géographie tunisiennes étaient encore, M l'on peut employer ce terme, dans leur période héroïque. Les mérites de M. Tissot, ceux de MM. Guérin, Wilmanns, du génial Perrier et de ses collaborateurs, grâce auxquels cette période héroïque a pris fin, ne seront appréciés à leur valeur que si l'on se reporte par la pensée ou le souvenir à l'époque où leurs publications n'existaient p>as.
M. Tissot avait exploré personnellement une partM de la Régence; il con- naissait le pays des Khoumirs, le bassin oriental de la Medjerda, ^\.ts de la moitié du littoral jusqu'à Kabès, deux ou trois rout«^s entre le nord et le sud, enfin les' environs de kafsa et le bas»in duChott eWDjerid. Pour ces régions, qu'il avait parcourues en archéologue et en géographe, il pouvait se lier à ses notes dévoya^, sans recourir ù la com])iL)tion vieillie de Mannert ni au livre plus que médiocre de Pellissier. Mais ce n'était encore qu'une petite partie de la Régence, celle que la carte de 1807 faisait d'ailleurs le plus exactement connaître : il ne savait rien sur les \astes étendues sfttuées à
—»-»•( IX )•€-»—
i'ouest de Kairouân, les environs de Zama, ie bassin de l'Oued Mahrotif et de l'Oued Nehban, le bassin occidental de la Medjerda, la route côtière au sud de Kabès jusqu'à la frontière tripolitaine. Pour reconstituer les itinéraires romains dans ces terres mal connues, il devait se fier au témoignage de rares voyageurs, dont aucun, pas même Shaw ni sir Grenville Temple, n'avait observé avec cette sincérité minutieuse qui fait le mérite durable des rela- tions de M. Guérin. La carte du Dépôt de la guerre, où les distances sont souvent fort inexactes, ne pouvait être consultée qu'avec méfiance. M. Tissot se trouvait donc aux prises avec des difficultés presque insurmontables. La tâche qu'il se proposait consistait, comme toutes les tâches analogues, à faire concorder les textes antiques avec le terrain : mais les textes antiques sont ou peuvent être altérés, et le terrain n'était qu'à moitié connu ^. Même après les voyages de M. Guérin, ces fâcheuses conditions ne furent pas modifiées d'une manière sensible, et c'est dans ces conditions que M. Tissot, éclairé par ses souvenirs , par des renseignements partiels , mais surtout par son instinct merveilleux de la topographie, a écrit la Géographie comparée de l'Afrique. Quand parurent enfin des cartes dignes de foi , il était mourant. Nous dirons plus loin comment son œuvre posthume en a profité.
A la Corogne, M. Tissot se plaignit de ne trouver ni une voie romaine, ni une ruine, ni une bibliothèque archéologique. L'Afrique lui inspira bientôt une espèce de nostalgie : il pressait son père d'accepter le rectorat d'Alger, afin d'avoir un motif de plus pour retourner lui-même à son pays de pré- dilection. « Si la terre est douce à notre pauvre chrysalide humaine , c'est bien là , sous un ciel admirable , sous les orangers et les lentisques , sur ce sable doré que baignent les flots bleus de la Méditerrannée. Mais , avant d'y dormir, on peut y vivre, et mieux qu'ailleurs. Je serais bien heureux de te voir à Alger : ce serait un lien de plus qui me rattacherait à cette terre d'Afrique où j'espère revenir un jour, car il est impossible de l'oublier : le lotus y pousse toujours, quoique nos savants n'aient point eu la chance de le retrouver; on le mange évidemment sans s'en douter.» M. Tissot parlait de l'Afrique comme d'autres parlent de la Grèce, en poète; ce fut son bon- heur plus tard, sous le ciel brumeux de Londres, de me décrire ces belles
' Pour l'ensemble de la province de Gonstan- tueuses. Mais sur ce terrain, du moins, les
tine, il ne disposa, pendant quinze ans, que caries partielles dressées par les membres de
d'une carte publiée en 1 85 4, où la topogra- la Société archéologique de Gonstan tine facili-
phie el la nomenclature sont également défec- tèrent parfois ses recherches.
nuits étoilées du Djerid, dont il avait conservé, après vingt-cinq ans, l'inef- façable et bienfaisant souvenir.
Au mois de janvier i SSg, M. Tissot fut nomm»^ consul à Salonique; il fit un court séjour à Athènes avant de se rendre à son nouveau poste. L'empire ottoman était alors le théâtre d'événements graves qui ne laissaient que peu de loisirs à un consul aussi soucieux de ses devoirs. M. Tissot put néan- moins achever ses thèses et poursuivre son travail sur les voies romaines de l'Afrique. «J'ai déterminé, je crois, toutes les stations des itinéraires anciens; j'ai pu corriger quelquefois les deux routiers l'un par l'autre, quelquefois aussi par ma connaissance parfaite des localités. En somme, c'est un travail qui s'annonce bien et qui vaudra mieux que le Triton. Je dresse une immense carte de la Régence au 4oo,ooo*, d'après celle du Dépôt de la guerre , mais en la corrigeant pour le système orographique., auquel les auteurs ne semblent avoir rien compris, et en la complétant pour la partie occidentale du Chbtt el-Djerid, qui manque dans la carie du Dépôt. 11 s'agirait main- tenant d'obtenir de flmprimerie impéiiale l'impression de l'ouvrage et de la carte qui pourra servir à ma thèse sur le Triton. Malheureusement , je manque de livres : il me faudrait Shaw, Mannert (en original), Wesseling, d'An- ville, etc. . . Pellissier s'est littéralement moqué du public dans la partie archéologique de son travail : c'est révoltant tlabsurdités et de contradictions. Mais il avait une mission du Gouvernement! Quand mon travail ne serait qu'un erratum au livre de Pellissier imprimé à l'Imprimerie impériale, le Gouvernement se devrait à lui-même d'imprimer cet crmium comme une amende honorable au monde savant mystifié par M. Pellissier. »
Il fallait assurément un courage plus qu'ordinaire pour songer ainsi aux voies romaines de l'Afrique au moment où des bruits de massacre grondaient sourdement autour du consulat. Ij'énergie et la vigilance de M. Tissot dé- jouèrent les complots du fanatisme musulman. Nommé, en récompense^ , au consulat d'Andrinople, il fut appelé à Constantinople por M. de Lava- letle, qui avait exprimé le désir de le connaître poi-sonnellement. De celte époque date la liaison de M. Tissot avec cet homme d'Ktat, qui paya surtout en compliments et en belles paroles le talent de plume que le jeune consul mit à son service. M. Tissot, accablé d'ennuis à Andrinople, retourna à l'ambassade de France au printemps de i 86 1 , travaillant douze à quinze heures par jour, quelquefois même pendant toute la nuit, secrétaire d'ambassadenr sans le titre de secrétaire d'ambassade. On l'envoya en Herzégovine avec la
1->[ XI j«*-H
commission mixte chargée d'arrêter reffiision du sang dans ce pays. A la fin de l'année, M. de Lavalette, nommé ambassadeur auprès du Saint-Siège, in- sista jiour que M. Tissot vînt le rejoindre; il exerça à Rome, toujours sans titre officiel, les fonctions de conseiller d'ambassade, mais cette fois au vu et au su du département des Affaires étrangères.
Dans la pensée de M. Tissot, ce passage dans la diplomatie , que sa pauvreté et la jalousie de ses collègues lui rendaient peu agréable, ne devait être qu'une étape décisive vers le poste qu'il rêvait, le consulat général de Tunis. «Je nourris toujours le projet, écrivait-il, de sauter de Rome en Afrique. » Pendant l'été de 1862, il commença à écrire son mémoire sur la campagne de César en Afrique , dans fespoir d'intéresser à la nomination qu'il ambitionnait l'historien couronné de la Guerre des Gaules. M. de Lavalette transmit à f Empereur le travail de M. Tissot au mois de novembre de la même année. Quelques jours après, Napoléon TII dit à M. de Lavalette qu'il avait lu le mémoire avec intérêt et le questionna longuement au sujet de l'auteur. M. Tissot ne se crut pas le droit de faire imprimer alors la copie d'une œuvre devenue la propriété de celui auquel il l'avait offerte comme document : ce n'est que vingt et un ans après, en j883, que la Campagne de César a paru dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions.
Le 1 5 août 1862 , M. Drouyn de Lhuys succéda à M. Thouvenel au Mi- nistère des affaires étrangères , et M. de Lavalette quitta l'ambassade de Rome. M. Tissot considéra sa propre mission comme terminée et revint en France, comptant y trouver sa nomination au poste de Tunis : ses espérances furent encore une fois déçues. On le nomma consul à Jassy au mois de mars 1 863. Dans l'intervalle, il avait soutenu brillamment ses thèses de doctorat es lettres devant la Faculté de Dijon.
M. Tissot n'apprit pas sans regret que Napoléon III avait chargé un autre que lui , l'ingénieur Daux , d'aller étudier sur les lieux la campagne de César en Afrique. C'était un véritable déni de justice, que M. de Lavalette eût pu empêcher facilement s'il avait cru devoir en prendre la peine. La mission de M. Daux, qui fut très coûteuse, ne donna que de médiocres résultats. Le volume intitulé Reckerclies sur les emporia phéniciens, qui fut publié par l'Imprimerie impériale en 1869, contient, à côté de détails techniques inté- ressants, les restitutions les plus téméraires; et quant aux plans de Carihage et d'Utique dressés par le même ingénieur, dont M. Tissot devait avoir com- munication plus tard, ce sont, pour une grande part aujourd'hui impos-
XII )»€H
sible à déterminer, des œuvres de fantaisie qui ne peuvent qu'induire en erreur.
En 1862 parut un excellent livre, le Voyage archéologique dans la Régence de Tunis, exécuté et publié, gousles auspices et aux frais du duc de Luynes, par M. V. Guérin. L'auteur a parcouru , montre et boussole en main , une très grande partie de la Régence; il a décrit minutieusement beaucoup de ruines, donné les indications les plus précises sur les routes modernes , les points d'eau, les distances entre les diverses étapes. Lors de l'occupation de la Tunisie par les troupes françaises, bien des colonnes se sont guidées à l'aide de ce voyage archéologique, là où la carte de iSSy les renseignait mal. On peut dire que M. Guérin ne se trompe jamais lorsqu'il décrit ce qu'il a vu : ses itinéraires sont de véritables inventaires topographiques, rédigés avec une parfaite clarté, dont tous les géographes futurs de la Tunisie devront faire usage et que les deux volumes de M. Tissot sont loin de rendre inu- tiles. Mais le Voyage archéobgique n'est pas une Géographie comparée; quoique M. Guérin ait publié des inscriptions, décrit des localités qui avaient été étudiées avant lui par M. Tissot, il a facilité la tâche de son successeur sans lui rien enlever de sa nouveauté. M. Guérin s'est très peu occupé de la critique des itinéraires anciens; s'il a établi quelques synonymies impor- tantes, comme celle de Gighthis, il n'a pas essayé de reconstituer dans son ensemble le réseau routier si bien compris par M. Tissot. Tel n'était pas, d'ailleurs, le but qu'il se proposait : il a donné, comme il en avait le désir, le modèle des journaux de voyage , d'excellents matériaux pour la géogra- phie comparée, et ces mérites suffisent pour assurer à son livre l'estime de tous ceux qui l'ont consulté sur place. La carte jointe au Voyage ne marque qu'un faible progrès sur celle du Dépôt de la guerre; mais un archéologue livré à ses propres ressources pouvait-il faire davantage? Nous avons cru devoir insister ici sur la valeur de l'œuvre de M. Guérin, à laquelle la préface du Corpus inscriptionum Africae et M. Tissot lui-même n'ont pas, ce nous semble, rendu exacte justice.
Dans le Sud tunisien , M. Guérin avait rencontré M. Duveyrier, qui com- mençait alors ses belles explorations dans la TripoHtaine, le Sahara et la Nigritie septentrionale. Les Touareg du Nord, publiés en 186A, contiennent une carte à petite échelle de la région des Syrtes qui fait encore, avec les travaux de Beechey et de Barth si habilement mis en œuvre par M. G. Millier dans l'atlas des Geographi minores, le foiid de notre connaissance de
ce pays difiicile à parcourir. M. Duveyrier n'a pas encore publié ses itiné- raires en Tunisie et en Tripolitaine, mais il en communiqua le manuscrit à M. Tissot, qui put en tirer parti. C'est par les notes de M. Duveyrier qu'il a connu la route de Kafsa à Kabès et la région accidentée située à l'ouest de Kafsa. M. Mattei, à Sfaks, et M. Ghevarrier, à Kabès ^ lui fournirent, dans la suite, des renseignements nombreux, quoique parfois entachés d'inexactitude, sur la partie de la Tunisie méridionale qu'il n'avait pas visitée lui-même.
ni
M. Tissot passa l'année i86/i à Constantinople; dans l'automne de cette année, il put reprendre l'étude des voies romaines d'Afrique, qu'il avaitpresque abandonnée depuis deux ans. Au mois de janvier i865, il fit un voyage en Egypte et en Syrie, puis il revint à Constantinople, où il reçat enfin, dans l'été de i865, les livres qui lui manquaient le plus, les Itinéraires de Fortia d'Urban, publiés par M. .Miller, ï Itinerariani Antonini de Pinder et Parthey, Appien, les œuvres de Shaw, de Barth, de Vivien de Saint-Martin. Les ouvrages modernes sur l'Afrique, entre autres celui de M. Guérin, lui plaisaient moins par ce qu'il y trouvait que par ce qu'il n'y trouvait pas : les lacunes et les erreurs de ses devanciers lui prouvaient que son travail ne serait pas inutile et qu'en le publiant il n'enfoncerait pas des portes ouvertes. Il était loin de se douter, dans ces beaux jours de jeunesse et d'espérance, que vingt ans passeraient et qu'il passerait lui-même avant que le premier volume de son ouvrage vît le jour.
La chute du prince Couza (28 février 1866) obligea M. Tissot de rega- gner précipitamment Jassy. Il y passa l'été au milieu de préoccupations très gi'aves, qui ne Tempêchaient pas, cependant, de poursuivre ses travaux ar- chéologiques, tant sur la question des proxéoies, sujet de sa thèse française, que sur celle des voies romaines de la Tunisie. ««Mon étude, écrivait-il, est aussi avancée qu'elle peut l'être dans l'état actuel de nos connaissances géo- graphiques sur la Régence, c'est-à-dire que j'ai pu déterminer exactement tous les tracés et les neuf dixièmes des synonymies. H me reste à préciser une douzaine de stations, mais ce ne sera possible qu'en de rendant sur les lieux. La carte de l'état-major offre de grandes lacunes : tels districts, ceux des Nemenchas et des Hammemas par exemple, sont aussi inconnus que le centre de l'Afrique. »
-— ♦-9»( XIV )•«
De retour en France, M. Tissot se décida à accepter une situation à Paris dans l'espoir d'obtenir le grade de ministre. «Je n'ai qu'une seule chance de devenir ministre en activité, c'est d'entrer au ministère. Au bout de trois ou quatre ans, j'aurai le grade. . . Je guette déjà la légation de Tanger. » Il y a quelque chose de touchant dans cette fidélité de M. Tissot à sa «chère Afrique»; chaque degré qu'il franchit lui semble le rapprocher d'elle, et Paris, avec toutes ses séductions, n'est pour lui que ie chemin du Maghreb.
A la fin d'octobre 1866, M. Tissot fut nommé sous-directeur politique au Ministère des affaires étrangères. Malgré la confiance que lui témoignait son ministre, M. de Moustier, et sa réputation grandissante dans le monde de la diplomatie, il ne tarda pas à se dégoûter d'une existence à laquelle findépendance et le grand air faisaient défaut. En 1867, il songeait sérieu- sement à quitter la carrière pour aller s'établir en Tunisie et se faire cultiva- teur dans TEnfida. Ce n'était que le rêve d'un Oriental en exil, mais ce rêve le hantait avec une singulière persistance. «J'ai toujours la tète bien prise par cet aflVeux climat de Paris, écrivait-il le 21 mars 1868, il faut travailler quand même, et cela me semble dur; aussi j'aspire de toutes mes forces au moment où je pourrai prendre un bain d'air tiède en Afrique. » Ce moment devait se faire attendre pendant trois ans encore, trois ans d'angoisses et de deuils qui ont compté comme des quarts de siècle dans la \'\o dos hommes de notre génération.
De 1867 à 1869, M. Tissot s'est très peu occupé d'archéologie. M. de Moustier, puis M. de Lavalette, l'appréciaient si bien qu'ils ne lui laissaient pas de loisirs. Sa santé et son caractère se ressentaient d'une vie laborieuse où ses nerfs faciles à émouvoir étaient tendus à l'excès. La situation euro- péenne et celle de la France lui apparaissaient, depuis l'affaire du Luxem- bourg, sous les plus sombres couleurs. Après les élections de 1869, M. de Lavalette, nommé ambassadeur à Londres, se fit attacher M. Tissot en qualité de premier secrétaire. M. Tissot devint chargé d'aflaires après la révolution du Ix septembre. Ce n'était pas le moment de penser aux voies romaines. Tout entier à ses devoirs, pendant cette douloureuse période, il multiplia vainement ses efforts et ses instances au service d une cause qui ne pouvait plus être gagnée.
-!-»• XV
IV
Dès que l'Angleterre eut reconnu le gouvernement institué par l'Assemblée nationale, le duc de Broglie fut nommé ambassadeur à Londres. M. Tissot obtint le poste de ministre plénipotentiaire au Maroc et partit pour Tanger à la fin du mois de mai.
En remettant le pied sur cette terre d'Afrique, objet de ses vœux les plus chers depuis tant d'années, Tissot sentit renaître les enthousiasmes de sa jeu- nesse et ses nobles ambitions de savant. La fermeté de son attitude, à un mom^ent où les musulmans nous croyaient sans force, lui concilia l'estime des Arabes, nécessaire à l'accomplissement de ses projets. Son séjour de cinq ans au Maroc, de 1871 à 1876, est l'époque la plus féconde de sa carrière archéologique. Aucun Européen avant lui et aucun autre depuis n'a étudié aussi complètement l'ancienne Maurétanie Tingitane. La science lui doit presque tout ce qu'elle sait avec exactitude de ce pays si intéressant et si peu connu. Il a parcouru, le crayon à la main, toutes les voies romaines du Maroc, dressé la carte d'une région presque inexplorée, relevé partout les inscriptions et les ruines. On ferait un gros volume avec les dessins, les cartes et les aquarelles qu'il a laissés comme souvenirs de ces voyages. Rentré à Tanger dans l'intervalle de ses excursions, il rédigeait son beau mémoire sur la Maurétanie Tingitane, étudiait la langue et la civilisation berbères, et trouvait encore le temps, en vaquant à ses devoirs de ministre, de conti- nuer son grand travail sur les voies romaines de la Tunisie.
M. Ernest Desjardins, son ancien camarade de Dijon, qui l'avait initié aux études d'épigraphie latine, publia en 1872 , dans la Revue archéologique , les inscriptions découvertes par son ami à Sidi-Ali-bou-Djoun sur le Subur, inscriptions qui faisaient connaître l'emplacement et le nom complet de la colonie romaine de Banasa. L'article était accompagné d'une carte, dressée par M. Tissot, du nord de la Maurétanie Tingitane dans l'antiquité. L'année suivante, il communiqua à M. Léon Renier d'autres textes inédits qu'il avait trouvés à Volubilis. M. Desjardins lui transmit les félicitations du maître épigraphiste , et Tissot s'empressa de les recopier pour en faire part à son père : «M. Renier, comme tu le sais, est notre Mommsen. » Ces en- couragements ne furent pas perdus pour ses travaux. En 187/1, lors de son passage à Paris, il soumit à M. Desjardins son mémoire sur la Maurétanie
IH7SlVtKI£ HÀIIOXilt.
— -♦••( XVI )*•*
Tingitane. MM. Duniy et Desjardins lui firent entrevoir l'espérance d'une candidature heureuse à l'Institut. « Il est bien possible, écrivait-il à son père, que je finisse dans la peau d'un membre de l'Académie des inscriptions. »
Le 16 juillet 187$, M. Desjardins commença devant l'Académie la lecture du mémoire de M. Tissot; elle ne devait être achevée que le •j avril de l'année suivante*. Dans l'intervalle, M. Tissot avait été promu au grade de ministre de 1" classe, et l'Académie le récompensa, de son côté, en le nommant membre correspondant. Mais un long séjour au Maroc et la fatigue de ses nombreux voyages avaient gravement compromis sa santé. Il comprit qu'il devrait bientôt quitter l'Afi'ique et demanda un congé au mois de mai 1876. Le Ministre lui avait promis toutes les facilités pour le voyage de Tunis, qu'il désirait entreprendre sans retard, car il venait de lire la thèse de M. Partscli, De vcieri< AJricae itineribas, et craignait d'être devancé par de nouveaux venus sur le terrain qu'il connaissait mieux que personne.
Arrivé à Tunis dans les derniers jours de septembre, M. Tissot consacra la première quinzaine du mois d'octobre à explorer la partie inférieure du cours de la Medjerda, entre Tebourba [Thubarbo minus) ci Teboursouk [Thubursicuni Bure). La mort de son père le rappela subitement à Dijon. «Je n'îii passé que quelques jours en Tunisie, écrivait-il le 2 novembre à M. Desjardins, mais mon voyage n'a pas été infructueux. Je suis en mesure de vous donner une monographie de la voie de Carlhagc à Théveste, entre Cartilage et Thignica. Tout ce segment était absolument inconnu, moins Vallis, que j'avais découvert en 1806 et qui m'a donné la clef de féniguie. J'ai retrouvé Inuca, Sicilibba, Thurris, Ad Atticillae, Coreva et Aquae. Un milliaire portant le chiftre liv ne laisse pas de doute sur l'identité d'Ad Atti- cillae et de Goubeilat. Coreva est également retrouvée, grâce à un milliaire. Les synonymies d' Aquae, de Thurris et de Sicilibba résultent des distances. J'ai retrouvé enfin , grâce à une inscription , la ville de Fourni , que Guériu plaçait, en se fondant sur une ressemblance de noms, à Ain Kournu, fort
' Ce travail a été publié en 1877 J"*"" i** tion avec le docteur Broca. il |nil)iia une ctuilc
collectiou des Mémoires présentés par divers sa- sur Les Monwnents mégaltthiijucs et les popula-
vmiU (i'^ série, t. IX). Dans le cahier de sep- ti»iu blondtt du Maroc, daus ic troLMème nu-
tcmbre 1876 du Bulletin de la Société de Géo- roéro de la Revue d Anthropologie , 1876 (cf.
graphie, M. Tissot a donné son hinérain de Province romaine d Afrique , l.\ , ip. koZ eX vih .).
Tanger à Rabat, arronipagné d'une e^iuisse La Société d'Anthropologie de Paris nomma
d'une partie du royaume de Fâs. hn coliaiiora» M. Tisaot membre corrospondanl.
'i->[ XVII WCH
loin de l'endroit où j'ai découvert l'inscription en question portant les nnots ORDO FVRNITANVS. Je rapporte aussi quelques inscriptions trouvées à Tuccabor, Chaouacli et au Djebel Ansârin. » Un album de dessins, datés du 4 au 1 7 oclobrc, contient des vues d'après les principaux sites explorés par lui pendant cette courte campagne.
M. Tissot fut nommé ministre plénipotentiaire à Athènes au mois de novembre iSyô. Les trois années qu'il passa en Grèce furent relativement heureuses. Il y trouva, pour la première fois, ce qu'il avait vainement sou- haité pendant sa jeunesse: quelques loisirs, une admirable bibliothèque — celle de l'Ecole française d'Athènes — et la société d'esprits cultivés. M. Albert Dumont, directeur de TEcole, lui donna la présidence de YInstitiit de correspondance hellénique, réunion bimensuelle qu'il venait d'instituer à l'Ecole sur le modèle de YInstitato de Rome, où les savants français, étran- gers et grecs s'entretenaient des questions archéologiques du jour. Grâce au secours que lui offrit la bibliothèque de l'Ecole, où il disposait d'éditions critiques des auteurs anciens, M. Tissot put soumettre à une revision fruc- tueuse la première partie de la Province romaine d'Afrique, qu'il recopia ou fit recopier sous sa direction. Bien que ses études et ses goûts le portassent surtout vers fantiquité romaine, il ne se désintéressait pas de l'archéologie grecque, qui lui avait fourni la matière de son premier ouvrage, et il le prouva en donnant au Bulletin de correspondance hellénique quelques articles qui furent les bienvenus ^.
Au commencement de l'année 1879, il obtint un congé et une mission pour explorer la vallée du Bagrada, dont il ne connaissait que la partie orientale. Il arriva à Tunis le 9 juin et fut reçu avec une cordialité qpi le toucha. ((J'espère, écrivit-il à sa mère, que mon excursion sera fructueuse. J'ai déjà deux inscriptions, et Mattei aurait découvert, d'après mes indica- tions, les restes d'une ancienne délimitation territoriale, du fossé tracé par Scipion au moment de la conquête romaine^. Ce serait une trouvaille qui ferait du bruit à l'Institut, et elle me viendrait à point pour justifier tout un travail que j'ai fait cet hiver sur ce sujet. »
' La Libye d'Hérodote, avec deux cartes, recueil de l'École française des inscriptions
Bulletin, 1877, p. 261-278; Inscriptions de grecques inédites trouvées à Eski - Zaghra.
Milo, 1878, p. 5ii-52i; Inscription grecque [Bull., i88i, p. 127-131; 1882, p. 177-186.)
et latim; de Tunisie, inscription de Naxos , iS'jS, * M. Maltei se trompait. Voir la Province
p. 587-588. De Constantinople , il envoya au romaine, t. II, p. ig.
c.
*■>{ XVIII )••-»
H n'attendait, pour partir, que son vieil ami M. Matlei, vice -consul de France à Sfaks, qui l'avait déjà accompagné en iSSy dans le Sud tunisien. La saison s annonçait comme très chaude, et M. Tissot, affligé de calculs vé- sicaux et d'urémie, souffrait cruellement des reins. La prudence lui eût com- mandé de différer son voyage à l'intérieur : la passion de l'archéologie l'em- porta. Son excursion fut courte, mais extrêmement pénible, et porta à sa santé déjà chancelante un coup dont elle ne devait pas se relever. Le 29 juin, il était de retour à Marseille et écrivit à sa mère : «Je suis parti le i 2 pour mon exploration, accompagné de l'excellent Mattei. Nous avons eu une chaleur dont on ne se fait pas une idée. Matlei lui-même, tout Africain qu'il est, en était étonné, et s'est servi d'une ombrelle pour la première fois de sa vie. L'expédition a été courte — dix jours — mais des plus fruc- tueuses. J'ai vu des ruines qui n'existeront plus dans deux mois : elles servent de carrière aux entrepreneurs. J'ai recueilli une trentaine d'inscrip- tions, dont cinq de la plus haute importance. Enfin, le premier ministre tunisien m'a fait présent d'une belle mosaïque et de deux têtes antiques trouvées à Garthagc . . . J'ai de quoi travailler tout cet automne et tout cet hiver; j'ai la matière de deux gros mémoires pour l'Institut. Il était diffi- cile dp trouver plus de matériaux en aussi peu de temps. »
M. Tissot a publié le résultat de ses recherches dans le 9* volume des Mémoires présentés par divers savants , sous le titre : Le bassin du Bagrada et la voie romaine de Carthage à Hippone par Dalla Regia. Cet opuscule de 1 1 6 pages est très remarquable. M. Tissot s'y révèle avec les qualités maîtresses qui lui valurent dès lors tant de considération, même à l'étranger: un instinct topographique d'une précision admirable, l'entente et le goût des difficultés épigraphiques, une scrupuleuse exactitude dans la description des lieux et la représentation des monuments figurés. Ses collègues de l'Institut appré- cièrent aussi, comme dans son mémoire sur la Maurétanie Tingitane, la finesse d'un style élégant et sobre qui ressemble aux charmantes aquarelles de l'auteur, faites de rien, sans luxe de couleurs, et pourtant si vivantes et si lumineuses.
M. Tissot publia dans son mémoire l'intéressante inscription découverte après son départ à Henchir Dakhla (près de Souk-el-Khmis) par le docteur Dummartin, médecin adjoint de la ligne de Tunis à (îhardiniaou. Il avait communiqué ;\ l'Académie, au mois de janvier 1880, une première copie de ce document, le plus impoiiant qu'ait encore fourni la province
-—*->• XI\ •€-« —
d'Afrique. L'Institut n'attendit pas la publication du nnémoire sur le Bagrada pour donner à l'auteur le fauteuil de membre libre laissé vacant par la mort ie M. Labarte (octobre 1880). ^
C'est de cette année que datent les premiers rapports de M. Tissot avec M. Momrasen, qui ^devaient tenir une si grande place dans la dernière période de sa vie, et dont une volumineuse correspondance, également à l'honneur de ces deux savants, a conservé et perpétuera le souvenir. On sait qu'après la mort prématurée de Wilmanns, M. Mommsen s'imposa la tâche difficile de publier, d'après les manuscrits de son élève, le Corpus des in- scriptions latines de l'Afrique. M. Tissot, au cours de ses voyages, avait re- cueilli un grand nombre d'inscriptions qu'il avait gardées dans ses albums , se réservant de les faire connaître un jour. Lorsqu'il apprit que le Corpus était sur le point de paraître, il comprit que son devoir était de communi- quer à ce recueil les textes inédits qu'il possédait. «J'avoue que je suis d'avis, m'écrivait-il en i883, que la science n'a pas de nationalité, et je ne vois ou tâche de ne voir que la science dans le savant. » Non seulement il envoya à M. Mommsen la copie de toutes ses inscriptions, même de celles de la vallée du Bagrada qu'il avait tout récemment découvertes, mais il accepta de retoucher et de compléter sur épreuves la carte ancienne de l'Afrique publiée par M. Kiepert, à la suite du 8* volume du Corpus.
Peu de personnes sont en état d'apprécier l'importance de ces sacrifices, consentis par M. Tissot dans le seul intérêt de la science. On n'ira pas rechercher dans le Corpus la trace de toutes les informations qu'il a fournies, et la carte de M. Kiepert, si supérieure à celle de Nau de Champlouis, n'est connue qu'à l'état de perfection relative où une collaboration anonyme l'a portée. La veille de la publication du Corpus, le manuscrit de Y Afrique romaine marquait un immense progrès sur toutes les tentatives antérieures pour fonder sur une base scientifique la géographie comparée de cette région. S'il avait pu être imprimé rapidement et paraître en même temps que le Corpus, M. Tissot aurait pris rang, du premier coup, parmi les plus savants archéologues de fEurope. Les circonstances en avaient décidé autre- ment. Prêt avant l'ouvrage de M. Tissot, le Corpus de Berlin profita de ses recherches, et bien des découvertes que Wilmanns avait faites en Afrique après M. Tissot furent publiées et enregistrées sous le nom du dernier explorateur. La même chose s'était déjà produite lors de la publication du Voyage de M. Guérin. Il était dans la destinée du grand travail de M. Tissot,
qui eût été une révélation en 1860, de se laisser successivement atteindre, puis dépasser sur quelques points par les progrès de la science, en sorte qu'il a fallu, après la mort de l'auteur, un travail long et pénible pour le re- mettre au courant. Avec le Corpus et la carte de M. Kiepert, l'âge héroïque de l'archéologie tunisienne touchait à sa fin; et c'est justement alors que com- mençait une série de découvertes dont M. Tissot, trop absorbé et malade, ne put qu'incomplètement profiter.
V
Au mois de mars 1 880 , j'arrivai à Athènes comme membre de l'Ecole française. Je me présentai à M. Tissot; il me revit à notre bibliothèque, et nous étions liés presque avant de nous connaître. Il me parla beaucoup de son Afrique, sujet où je n'entendais rien, mais dont sa conversation me faisait saisir tout l'intérêt; il finit par me prêter quelques cahiers de son ma- nuscrit et vint souvent travailler avec moi, de très bon matin, à la biblio- thèque de l'Ecole.
Ces premières relations furent de courte durée : M. Tissot partit pour Constantinople , en quahté d'ambassadeur extraordinaire, et je me rendis en Asie Mineure pour prendre part aux fouilles de Myrina. Les complications de la question grecque ne laissèrent guère de loisirs à M. Tissot; il m'écrivait pour s'en plaindre et désespérait de publier son manuscrit. Au printemps de 1881, le traité du Bardo,en établissant notre protectorat sur la Tunisie, ouvrit définitivement l'Afrique aux libres investigations de la science. Dès le mois de janvier de cette année , M. Gagnât avait commencé son premier voyage, destiné à être suivi de quatre autres également féconds en résultats. Nos colonnes d'occupation n'avaient pas tardé à reconnaître f inexactitude de la carte de i85'7, et, tout en pacifiant le pays, elles travaillèrent à en lever le plan. On dressa d'abord, pour ainsi dire au pas de course, des cartes provisoires; puis, sous la direction du colonel (aujourd'hui général) Perrier, on commença le grand travail de la carte au aoo,ooo*, qui devait reléguer au rang des curiosités tous les documents géographiques antérieurs. Des cen- taines d'explorateurs étaient à l'œuvre en même temps, officiers topographes, officiers archéologues, missionnaires de l'Institut, et la moisson était telle- ment abondante qu'on ne savait à quels magasins la confier. Les cartes, les copies d'inscriptions, les notes de tout genre, transmises par les Ministères k
M- XXI •€-<•
rAcadémie, affluaient dans les cartons de M. Tissot et menaçaient de sub- merger son œuvre naissante. Ce fut une dure épreuve pour elle et pour lui. Très souvent il avait deviné juste et les découvertes nouvelles confirmaient ses hypothèses; mais à mesure que les probabilités devenaient des certitudes, que les points de repère dus aux trouvailles épigraphiques se multipliaient sur le réseau routier, il fallait modifier des pages entières, des chapitres du manuscrit, et cela d'après des renseignements transmis à la hâte, parfois incomplets et contradictoires, où les noms des localités arabes étaient défi- gurés au point de ne pouvoir être rétablis que par conjecture. On n'avait pas de Revue pour centraliser les découvertes, pas de direction supérieure pour leur imprimer la méthode et funité. M. Tissot n'exerçait qu'une autorité toute morale, dont les effets ne se firent sentir que tard. Dès le début, comme je lui avais suggéré l'idée de demander à fEcole française de Rome deux ou trois membres chargés de parcourir la Régence, il me répondit : « Votre idée de f exploration de la Tuuisie est bonne, mais je voudrais la di- riger : rAfritjue est ma province. » Malheureusement, il était à Constantinople, absorbé par les difficultés politiques que soulevait f occupation de la Régence , obligé de parler très ferme à la Porte, qui voulait envoyer les cuirassés turcs en Tripohtaine, ne s'occupant d'archéologie qu'à ses moments de loisir, qui devenaient de plus en plus rares à mesure qu'il avançait dans la carrière. S'il avait voulu diriger efficacement fexploration de la Tunisie, il aurait dû renoncer à son poste, où d'autres devoirs plus impérieux le retenaient. L'exploration ne fut donc pas dirigée : les inscriptions nouvelles s'épar- pillèrent dans les journaux quotidiens et les Revues, chacun se mêla de fouiller et de former des collections sans mandat, cl Ton vit une fois de plus le point faible de la science dans notre pays, où fesprit de suite et fesprit de subordination ne fécondent pas les qualités individuelles.
M. Tissot revint à Paris au mois de juillet 1881. L'insurrection de Tunisie était alors dans toute sa force. A l'Institut, il lut en séance générale son mémoire sur la campagne de César en Afrique, réimprimé à la fin du présent volume : le moment était bien choisi, et il obtint un succès de cir- constance qu'il ne cherchait pas. On parlait de lui, à la Chambre, comme du futur gouverneur de lAlgérie; le département de la Côte-d'Or lui offrit de le représenter au Sénat : il refusa tout , préférant se réserver pour l'am- bassade de Londres, qui devait être dans sa pensée, comme elle le fut en effet, le couronnement de sa carrière diplomatique.
>fr*-( XXII )«w
A la fin du mois de novembre i 88 1 , il me demanda de passer six semaines à l'ambassade de Constantinople , afin de l'aider à reviser le premier volume de Y Afrique romaine, dont la publication lui semblait tout à fait urgente. Ce volume , concernant la géographie physique et la topographie de Carthage , avait été, dans son ensemble, moins modifié parles découvertes nouvelles : il était prêt pour l'impression, malgré mille imperfections de détail qui devaient être corrigées sur épreuves. Beaucoup de textes étaient indiqués sans être transcrits, ou transcrits sans avoir été vérifiés; les renvois aux Inscriptions de l'Algérie ou aux recueils antérieurs à 1 880 étaient à remplacer par des références au Corpus; quelques livres récents, comme la Geschichte der Karthager de Meltzer, restaient à dépouiller pour la partie historique. M. Tissot était difficile envers lui-même et songea plus d'une fois, dans des accès d'impatience, à brûler le manuscrit qui représentait vingt ans de travail. Il y songea surtout, au point de m'effrayer sérieusement, lorsqu'un éditeur de Paris, auquel on avait proposé fouvrage, refusa nettement d'en prendre la charge. Heureusement M. Xavier Charmes intervint, et il fut décidé que \ Afrique romaine serait publiée par flmprimerie nationale. Au moment où cette décision fut portée à sa connaissance, M. Tissot, nommé ambas- sadeur à Londres, venait de rejoindre son nouveau poste.
Son séjour en Angleterre fut très pénible. La question d'Egypte lui créait une position difficile, et sa santé, de plus en plus mauvaise, lui interdisait presque tout mouvement. Il s'occupait cependant de ses travaux sur fAfrique et dirigeait les recherches des deux missionnaires de l'Académie dans la Régence, MM. Cagnat et Poinssot. Sentant que la plume allait lui tomber des mains , M. Tissot commit la faute de s'imposer une fatigue excessive en achevant ses Fastes de la province romaine d'Afrique, dont la première partie fut publiée presque aussitôt dans le Bulletin trimestriel des antiquités africaines. Au mois de mars i883, il fut nommé président de la Commission archéo- logique de Tunisie; M. Ernest Desjardins était vice-président, et j'avais été désigné , à mon retour d'Athènes , pour remplir les fonctions de secrétaire.
Dès la fin de novembre 188a, M. Tissot m'avait prié de venir le trouver à Londres. Au mois de janvier 1 883 , il me manda une seconde fois auprès de lui. L'impression du premier volume venait de commencer, mais elle ne pouvait marcher que lentement. 11 fallait que les épreuves fussent envoyées en double exemplaire à M. Tissot et à moi, que je lui soumisse mes correc- tions et qu'il me Ht connaître les siennes. De là un échange incessant de
'y>{ XXIII ^'C-i.
correspondances, qui ajoutait au fardeau de ses devoirs. A la fin de janvier, je reçus de lui une lettre inquiétante : « Je fais appel encore une fois à votre dévouement et à votre affection. Vous seul pouvez démêler le désordre de mes papiers et de mes dessins et me mettre en état de donner un devis exact à rimprimerie. J'ai besoin de vous, d'ailleurs, pour choisir les cartes, pour supprimer celles que je crois inutiles ou qui sont fausses. Bref, imaginez que vous ayez affaire à une œuvre posthume. Venez pendant que je puis encore partager la besogne avec vous. »
Quand j'arrivai à l'hôtel d'Albert Gâte, M. Tissot était au lit, paHant de sa fin prochaine, regrettant sans cesse l'Afrique et Carthage, qu'il aurait tant désiré revoir. Je travaillai de mon mieux à classer ses papiers et ses aquarelles, dont le désordre était véritablement effrayant, car il ne songeait jamais au lendemain et, la besogne du jour terminée, il jetait pêle-mêle dans un coin manuscrits et livres. Les taches que Ton pourra relever dans son ouvrage, et que je n'espère point avoir toutes reconnues, tiennent en grande partie à ses mauvaises habitudes de travail; il n'avait pas de notes, mais de grandes feuilles d'exiraits qu'il empilait sous la rubrique varia, et où il ne pouvait se retrouver qu'au prix de laborieuses recherches. Aussi écrivait-il fort souvent de mémoire , laissant en blanc ce qui ne lui reve- nait pas , au risque de commettre des erreurs , au risque aussi de donner sous son nom et sans références , avec la plus entière bonne foi , des indi- cations dues à ses autorités. C'est là un point délicat, sur lequel je devrai insister plus loin , afin de répondre par avance à des critiques qui s'adresse- raient moins à l'œuvre quk fauteur.
De 1882 à i88Zi, M. Tissot fit différentes communications à fAcadémie et publia quelques articles sur les découvertes des officiers du corps d'occupa- tion et des missionnaires. Les voyages de MM. Gagnât , Poinssot et Letaille avaient accru de plusieurs milliers le nombre des inscriptions latines de l'Afrique et rendu possible l'identification de villes nombreuses, les unes mentionnées par les itinéraires et les textes, les autres complètement incon- nues. G'est surtout la région située à fouest de Kaïrouân, les environs d'El-Kef, de Zama et d'Uzappa, dont la géographie avait été renouvelée par les travaux des derniers explorateurs. M. Tissot s'efforçait de tenir à jour le second volume de son livre, consacré à l'étude du réseau routier, mais la tâche était d'autant plus difficile que les matériaux étaient dispersés ou atten- daient f impression. Ge n'est qu'en 1886, deux ans après la mort de M. Tissot ,
D
mPMHEniI KÀTIO!IAI.I,
-—•♦•( XXIV y^^ —
que tous les documents recueillis pendant les dernières années de sa vie ont été publiés par les auteurs de ces découvertes. Dans ces conditions, il pouvait indiquer les additions et les changements à faire , plutôt que modifier sa ré- daction première d'une manière définitive. Les feuilles de la carte au 200,000* avaient commencé à paraître, mais elles ne formaient pas encore un ensemble à la fin de i883; M. Tissot continuait donc à travailler sur des levés topogra- phiques vieillis , mis au courant, tant bien que mal, des observations plus récentes. Bien qu'il voulût me considérer dès lors comme son collaborateur et me parlât souvent de notre Afrique, le concours que je pouvais lui apporter, en dehors de la correction matérielle des épreuves, était, à la vérité , des plus modestes. Je ne connaissais pas le pays, je n'avais pas dépouillé les recueils spéciaux, je ne pouvais avoir d'opinion personnelle sur les questions pen- dantes, telles que celle de Zama , qui le préoccupait beaucoup. Du vivant de M. Tissot, j'ai fait pour lui des traductions et des recherches, vérifié des textes et corrigé des épreuves, mais je n'ai pu contribuer à l'amé- lioration de son œuvre que le jour où je me suis trouvé seul pour la publier.
M. Tissot fut retenu à Londres plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu par les délibérations de la Commission du Danube, qui se terminèrent à son entière satisfaction. Après ce succès, il régla encore quehjues alfaires, obtint un congé et revint en France à la fin de juin. Dès ce moment, je passai régu- lièrement tous les jours une heure ou deux avec lui. Pendant les mois de juillet et d'août, il s'établit à Saint-Germain-en-Laye , où je demeurais éga- lement. Son intention était de retourner à Londres en automne , puis de demander un nouveau congé et de passer l'hiver à Carthage, pour y com- mencer enfin les fouilles dont il se promettait de grands résultats. Il se faisait des illusions sur le retour possible de ses forces et parlait même d'ex- plorer Néphéris, de suivre les traces du fossé de Scipion au sud-ouest deSfaks. Sur ces entrefaites, l'incident de Madagascar mit brusquement tenue h sa carrière diplomatique. M. Challemel-Lacour, alors ministre des afl'aires étrangères, vint le voir à Saint-Germain et lui exposa les difiicultés de la situation , qui exigeait la présence d'un ambassadeur de France ik Londres. M. Tissot n'écouta que son patriotisme : il oflVit sa démission , qu'on ne vou- lait pas lui demander, et applaudit au choix de M. VVaddington comme son successeur. Il avait demandé sa retraite : on le mit seulement en dispo- nibilité, dans l'espoir qu'il pourrait plus tard accepter un nouveau poste.
—t->{ XXV )««-l
li reçut, au terme de sa carrière, la grand' croix de la Légion d'honneur, qui ne lui laissait plus rien à désirer.
Cet homme, qui avait rendu d'éminen(s services à son pays, ne s'inquiétait pas de la notoriété et de la vogue : il savait qu'il n'était connu que dans un petit cercle d'hommes politiques et de savants, et que le vulgaire, en enten- dant prononcer son nom, pensait à M. Victor Tissot, l'auteur du Pays des milliards. Il riait volontiers de cette confusion , qui se reproduisait sans cesse et que les journaux ne manquèrent pas de commettre au lendemain de sa mort. «Autrefois, disait-il, j'ai travaillé pour mon pays, et maintenant j'écris pour vingt personnes : si mon Afrique a vingt lecteurs sérieux, je m'estimerai payé de ma peine. »
L'hiver le ramena à Paris, où il s'établit rue de Tournon. Il se traîna deux ou trois fois jusqu'à l'Institut, mais ses accès d'hématurie l'obligèrent bientôt à garder la chambre. Sa porte ne s'ouvrait que pour un petit nombre d'amis, membres de l'Institut ou anciens collègues de sa carrière. Les médecins lui avaient donné ie conseil de passer l'hiver dans le Midi ; le Midi, pour lui, c'était Carthage, et il faisait déjà ses préparatifs de départ. Au mois de novembre 1 883 , il commença à souffrir d'un œdème général , sym- ptôme alarmant d'une décomposition du sang. Comme son hématurie avait cessé presque en même temps, il ne s'inquiéta pas d'abord de cette nouvelle phase de sa maladie. Nous terminâmes la correction de son mémoire sur la campagne de César en Afrique , et je partis avec M. Babelon pour la Tunisie , à la fin du mois de novembre. Il avait désiré d'abord partir avec nous; mais, au dernier moment, il se ravisa, préférant terminer Tannée auprès de sa mère et se proposant de nous rejoindre dans les premiers jours de février.
Dans une lettre qu'il m'écrivit à la fin de décembre, M. Tissot parlait encore avec confiance des fouilles profondes qu'il projetait à Carthage. Ces dernières illusions devaient bientôt se dissiper. Lorsqu'il demanda à ses mé- decins l'autorisation de partir pour l'Afrique, on lui répondit par un refus absolu, qui le frappa comme une condamnation. Le 6 janvier i88/i, il me télégraphia à Djerba : « Très malade , impossible de partir. 11 est indispensable que vous veniez passer trois jours à Paris, avant de commencer les fouilles. » Je me rendis à Ziân, puis dans les environs de Sfaks, où il m'avait prié de rechercher le fossé de Scipion. Le 19 février, j'étais à Paris. Je trouvai M. Tissot encore debout, mais marchant à grand'peine; l'œdème s'était ag- gravé, et la cachexie s'accusait de plus en plus. Bien qu'il se sentît mourir,
••*•»[ XXVI
il ne songeait qu'à son livre et aux fouilles de Carlhage. M. d'Hérisson, acquéreur des papiers de Daux, lui avait prêté les cartes manuscrites où cet ingénieur a consigné les résultats de ses recherches, A l'aide de ces docu- ments, auxquels il accordait trop de confiance, M. Tissot récrivit une fois de plus son chapitre sur la topographie de Garthage et dessina le plan qui ligure dans le premier volume de ïAfrùfue romaine. Il me remit un programme détaillé des fouilles à entreprendre et des vérifications topographiques à faire sur les lieux. Du 19 au 2 3 février, nous travaillâmes ensemble plusieurs heures par jour; je rédigeai sous sa direction le quatrième rapport sur les découvertes faites en Tunisie, qui a paru depuis dans les Comptes remlus de l'Académie des inscriptions. Avant mon départ, il me demanda quelques livres sur l'histoire de la guerre de 1 870 et la collection des nouveaux règlements mililaires. Avec les recueils d'épigrapliie, ce furent là ses dernières lectures.
A mon retour de Garthage, le 6 mai, M. Tissot était couché sur le dos depuis un mois, dans f impossibilité de remuer et très aigri de son inaction forcée. La correction des épreuves du premier volume avait marché lente- ment; il avait cru cependant devoir donner des bons à tirer en mon absence, alors que, livré à ses propres forces, avec une bibliothèque incomplète et en désordre, il lui avait été diilîcile ou impossible de procéder aux vérifications nécessaires. De là quelques erreurs assez graves qui sont signalées dans ï Erra- tum général. Nous nous entretînmes longuement des fouilles de Garthage, de ce qu'on avait fait, de ce qui restait à faire. 11 me recommanda dé veiller ù l'achèvement de son ouvrage, sa «carte de visite à la postérité», suivant la belle expression de Ghampollion, que ses amis lui rappelèrent plus d'une lois.
Depuis ce jour jusqu'au milieu du mois de juin, je me rendis tous les matins chez lui pour lui donner lecture de ses épreuves. On imprimait alors le chapitre relatif à la topographie de la ville punique; il indiquait ses cor- rections et motivait ses doutes avec une perspicacité qui me surprenait chez un mourant. Il put donner les instructions nécessaires pour la gravure des cartes du premier volume, dont il a corrigé les épreuves de sa propre main. Au commencement du mois de juin , il me pria de faire commencer l'im- pression des Fastes de la province d'Afrique. Il savait parfaitement que cet ouvrage n'est qu'une esquisse, et que la critique trouverait beaucoup à y reprendre, mais il pensait avec raison qu'une œuvre de ce genre doit être publiée, même incomplète, pour svrs'w de base à des travaux ultérieurs.
Le 1 3 juin, nous corrigeâmes ensemble les dernières épreuves du premier
1>( XXVII )•€-»
volume. La force déparier lui manquait; il me comprenait bien, mais ne pouvait répondre que par des signes. Le 28 juin, il ne me reconnut pas. Une somnolence presque sans douleur commençait à l'envahir. Il s'éteignit le 2 juillet, à quatre heures du matin, entre les bras de sa mère et de sa sœur. Son corps fut transporté à Pontarlier, où il repose dans le caveau de sa famille.
VI
Par son testament daté de Saint-Germain-en-Laye août i883, M. Tissot me léguait ses manuscrits et ses dessins pour servir à l'achèvement de son œuvre. Mon premier soin fut de terminer l'impression du premier volume, qui n'attendait guère que les addenda et l'index; puis je continuai à surveiller l'impression des Fastes, qni parurent à la lin de décembre i88/i. J'ai regretté parfois de n'avoir pas différé la publication de cet ouvrage , dont le manuscrit réclamait une revision sévère et fourmillait de petites inadvertances. J'ai la conscience d'en avoir corrigé beaucoup , mais aussi de ne pas les avoir cor- rigées toutes. Il m'eût fallu un an de travail pour compléter cette esquisse, qui, dans la pensée de l'auteur lui-même, n'était et ne pouvait être qu'une esquisse; je n'en avais ni le loisir ni le devoir. La critique équitable ne m'a pas reproché d'avoir publié un livre utile , quoique imparfait , au lieu de l'avoir laissé enseveli dans un carton.
A l'égard du second volume de ï Afrique romaine, mes obligations d'édi- teur étaient plus lourdes. Ici, il ne s'agissait pas d'une ébauche, d'un travail ingrat^e chronologie , mais de l'œuvre de vingt-cinq ans , longuement mûrie et remaniée, qu'aucun autre que M. Tissot n'eût été capable d'écrire et qui devait servir de point de départ à toutes les recherches de l'avenir. Les circonstances que j'ai rappelées plus haut avaient augmenté subitement les matériaux épigraphiques et topographiques sur lesquels se fonde la reconsti- tution du réseau routier. M. Tissot, pendant les deux dernières années de sa vie, n'avait pu tirer parti de toutes les découvertes nouvelles; beaucoup étaient encore inédites, et la carte au 200,000% qui devait rectifier tant d'er- reurs, n'avait pas encore été publiée tout entière. Si j'avais imprimé sans changement le manuscrit du second volume de l'^l/riqfae, je me serais exposé à des reproches légitimes que je n'aurais pas été le dernier à m'adresser. Je résolus de procéder avec lenteur, de n'épargner ni mon temps ni mes efforts
■!»»( xxTUi )••^ —
pour justifier la confiance de M. Tissot par une collaboration posthume sérieusement préparée. L'impression du second volume avait commencé à la fin de 188A. Au printemps de i885, je fis un nouveau voyage en Tunisie avec M. Gagnât, et je terminai, à mon retour, le dépouillement des publi- cations archéologiques postérieures à i88i. Je n'ai pas cessé depuis de me tenir au courant de toutes les recherches qui pouvaient me permettre d'améliorer et de compléter l'œuvre de mon maître et ami. M. Gagnât, qui a de nouveau parcouru la Tunisie en 1886, a bien voulu me communiquer le manuscrit du rapport où il a consigné ses dernières découvertes. M. Schmidt, qui avait été envoyé en Afi'ique par l'Académie de Berlin en i885, m'a fait profiter de quelques renseignements inédits avec une libéralité dont je le remercie. Je dois encore exprimer ma gratitude à M. Henri Duveyrier, dont les conseils m'ont été précieux pour les derniers chapitres du volume, et à M. Xavier Gharmes, directeur au Ministère de l'instruction publique, qui m'a donné les moyens d'éclairer le travail de M. Tissot par la publication d'un atlas de la Province romaine.
Le premier devoir que je nie suis imposé a été de respecter scrupuleuse- ment le manuscrit de M. Tissot, de m'interdire les corrections tacites, me contentant de rectifier d'évidents lapsus ou de modifier de temps en temps quelques expressions. Toutes les additions qui m'ont semblé nécessaires, tant dans le texte que dans les notes, sont imprimées entre crochets, et j'en revendique la responsabilité entière. Ges additions sont de plusieurs sortes. Il y a d'abord les chapitres ou les paragraphes que M. Tissot n'avait pas rédigés et dont il avait seulement indiqué le titre en marge de son manuscrit : telles sont les pages consacrées à Makter, à Uzappa , à plu- sieurs villes récemment découvertes de la Tunisie centrale. G'esl surtout vers la fin du volume que ces additions deviennent fi'équentes, parce que cette partie du manuscrit n'avait pas été l'objet d'une revision définitive. En second lieu, j'ai fait connaître, à leur place ou dans les addenda, les découvertes postérieures k la mort de M. Tissot , entre autres celles que nous avons faites, M. Gagnai et moi, dans la vallée de l'Oued Tine, explo- rée en i885, et celles dont on est redevable à la dernière campagne de M. Gagnât. Partout où les documents nouveaux m'ont permis d'ajouter un détail essentiel aux descriptions ou aux arguments de M. Tissot, partout aussi où ces découvertes semblaient afl'aiblir la valeur de ses conclusions , je n'ai pas hésité à fournir au lecteur tous les matériaux dont je disposais. La
— y->{ XXIX )•€-» —
rédaction des addenda et corrigenda aux deux volumes, qui sont assez consi- dérables, a été inspirée par le même esprit. Mais je dois parler avec quelque détail d'un autre genre d'additions, à savoir les références aux autorités mo- dernes. Je ne me suis décidé à les ajouter dans les notes que lorsqu'un tiers du second volume était déjà imprimé : aussi les trouvera-t-on en partie dans les addenda. Quelque surcroît de travail que m'ait imposé cette annotation , elle m'a paru tout à fait indispensable. M. Tissot, dans son manuscrit, n'in- diquait que rarement les sources modernes , parce qu'il travaillait d'après des ejctraits oii ces indications faisaient très souvent défaut. Quelques réclamations soulevées par le premier volume appelèrent mon attention sur ce point. Il me sembla, en outre, que les descriptions de MM. Guérin, Duveyrier, de Villefosse, Gagnât, Poinssot, celles de nos excellents archéo- logues algériens, malheureusement trop peu connues, méritaient d'être citées dans les notes comme pièces à l'appui de l'exposition qui les résume. Il n'y avait pas là seulement une considération d'équité, mais un véritable intérêt scientifique. Nous désirons que le lecteur de M. Tissot puisse se reporter facilement aux sources modernes , où il trouvera des détails com- plémentaires ou la confirmation des faits géographiques énoncés. Une biblio- graphie ainsi conçue est donnée entre crochets pour chaque localité antique de quelque importance. Afin de ne point l'allonger outre mesure, nous avons généralement négligé les ouvrages antérieurs à celui de M. Guérin; mais, comme nous renvoyons toujours, dès le début de ces notes, au 8' volume du Corpus et au .5* de ÏEphemeris epigraphica , il sera facile de trouver, dans ces recueils, l'indication des articles ou des livides auxquels nous n'avons pas renvoyé directement. Pour les textes épigraphiques , que M. Tissot donnait parfois sans autorités, parfois d'après des publications qu'a remplacées le Corpus , nous avons cité à titre exclusif ce dernier ouvrage ou les publica- tions les plus récentes. Nous avons réparé à cet égard, dans les addenda, les lacunes que fon a pu constater dans les références du premier volume. Une bibliographie tunisienne sérieusement faite reste toujours un desideratum de la science ; il ne nous appartenait pas de la rédiger, mais nous avons du • moins voulu fournir les indications qui rendront le manque d'un tel ouvrage moins sensible. La dispersion des matériaux concernant l'Afrique romaine a pris de telles proportions, depuis six ans, que personne ne nous reprochera d'avoir fait à la bibliographie une part que les livres de science n'ont plus le droit de lui contester.
De toutes les difFicultés que nous avons eu à surmonter, aucune ne nous a donné plus de peine que la toponymie arabe. M. Tissot, comme nous l'avons dit, travaillait sur la carte de iSSy et sur ses propres notes de voyage; comme il n'était pas étranger à la langue arabe, les noms de lieux recueillis et transcrits par lui méritent, en général, confiance. Mais ceux qui ont voyagé en Tunisie savent combien il est difficile, sans être un arabisant très expert, d'apprendre le nom véritable d'une localité. Les gisements de ruines ou henchirs portent presque toujours plusieurs noms : l'un désignera la ruine proprement dite , les autres seront des dési- gnations du cadastre ou des lieux-dits. Cette polyonymie des henchirs a pour conséquence une confusion presque inextricable. La carte au aoo,ooo', si précieuse pour le relief du terrain et l'hydrographie, n'a pas été dressée par des arabisants, et, comme le faisait déjà remarquer M. Tissot, les noms indigènes y sont extrêmement défigurés. En outre, beaucoup de noms qui figurent sur la carte de iSôy et, par suite, dans le livre de M. Tissot ont été omis sur la carte plus récente , soit qu'on ait négligé de les inscrire à leur place, soit qu'on ait attribué un nom différent au même endroit, soit tMifin que la désignation locale ait changé. Les notes inédites dont disposait M. Tissot lui faisaient connaître nombre de détails toponymiques dont il n'y a trace ni sur la carte de iSSy ni sur celles que l'on a publiées plus récemment. De là, pour nous, des embarras fréquents dont fhypothèse seule nous permettait de sortir. Les croquis topographiques laissés par M. Tissot n'indiquaient qu'un petit nombre de noms, et, d'ailleurs, la géographie physique y était si défectueuse qu'il était difficile, souvent même impossible, d'identifier les localités ainsi désignées avec celles de la carte au aoo,ooo*. Ajoutons à cela les difficultés de la transcription, qui divisent les arabisants eux-mêmes. M. Tissot n'a pas toujours été conséquent à cet égard , bien que les variations qu'il s'est permises soient insignifiantes. On en trouvera quel- ques exemples dans le volume que nous publions'. Avec lui, nous avons écrit Badja, Kafsa, Kabès, contrairement à la prononciation locale Bèja, Gafsa, Gâhës; mais, en nous écartant ainsi, à bon escient, des formes adoptées
' Nous prions les lecteurs arabisants d'ex- Trota, Mchdia et Méhédia, ne peuvent induire
cuser ce» inconséquence», trop peu importantes personne en erreur. L'uniformité eût sans
à nos yeux pour justifier les frais de cartons doute été préférable , mais — qu'on veuille bien
destinés à les faire disparaître. Des variantes de y songer — l'impression de ce volume a duré
transcription comme hlad et hltd. Trotta et trois ans*
M«{ XXXI )'€■*
par la carte au 200,000', nous avons cru nécessaire d'éviter le plus possible les confusions. A cet effet, nous avons réuni dans ï Index les différentes formes qu'on rencontrera parfois employées dans différents passages, en plaçant en tête celle qui nous a paru la plus correcte. L'usage, plus puissant que les placita des philologues et des cartographes, aura bientôt, nous l'es- pérons , apporté quelque unité dans la toponymie si confuse de la Tunisie. Il ne nous appartient ni d'entrevoir ni de devancer ses décisions.
M. Tissot avait le projet de joindre plusieurs cartes à son second volume; il en avait même dessiné quelques-unes d'après les documents dont il dis- posait. Mais, sauf en ce qui concerne la côte de la Tripolitaine , ces docu- ments sont aujourd'hui sans valeur. Il fallait de toute nécessité reprendre son travail en se fondant sur les indications de la carte au 200,000^. C'est ce que nous n'avons pas hésité à faire. La seule carte de l'Afrique ancienne qui puisse encore servir, celle du 8' volume du Corpus, est elle-même rem- plie d'erreurs empruntées à la carte de 1867 : la nécessité d'un atlas de la Tunisie indiquant les stations antiques et les localités modernes correspon- dantes se fait vivement sentir depuis longtemps. Nous n'avons pas voulu, comme l'a fait M. Tissot dans les planches de son premier volume , donner seu- lement des renseignements sommaires, mais nous nous sommes efforcé de faire figurer sur nos cartes la plupart des noms anciens et modernes mention- nés dans fouvrage , autant du moins qu'il nous a été possible de les retrouver ^. Les cartes récentes n'ayant pas été dressées par des archéologues, les gise- ments de ruines sont plus souvent indiqués que dénommés; il a donc fallu recourir fréquemment, pour déterminer la correspondance de certains noms, à des documents moins autorisés que la carte au 200,000°, comme la carte-itinéraire de Wilmanns, que nous avons retrouvée dans les papiers de M, Tissot, celles de M. Guérin, du Corpus , des Explorations de M. Gagnât, de la mission de M. Poinssot dans la Tunisie centrale. Nous avons consulté aussi, pour des régions déterminées , les cartes annexées par M. Tissot à ses mémoires sur le Bagrada et la campagne de Jules Gésar, celles de MM. Che- varrier et Roudaire, un itinéraire inédit de M. Duveyrier (de Kafsa à Kabès), et bon nombre de croquis topographiques manuscrits dus aux officiers de nos colonnes. Pour la partie orientale de TAlgérie, nous avons pris pour
^ Nous avons omis les localités antiques dont l'emplacement est tout à fait incertain et, parmi les noms de lieux modernes, ceux qui ne figurent ni sur la carte au 200,000* ni sur les cro- quis manuscrits de M. Tissot.
II. K
iyrni-.ii;nie nATioTALi.
**•( XXXII )••<
point de départ la carte de la Guen'e au 800, ooo', et nous avons soigneu- sonent dépouillé les cartes partielles publiées dans les Annuaires et le lieciwil (les notices de la Société de Gonstantine^ La côte de la Tripolilaine avait été dessinée par M. Tissol d'après Barth , Beechey, Mùller et Mouchez; nous nous sommes contenté de contrôler ses croquis, en nous reportant aux mêmes sources et en profitant de la carte d'ensemble publiée par M. Du- veyrier dans son ouvrage sur les Touareg du Nord-. Les plans d'Utique , d'Ha- drumète et de Tliapsus ont été dressés par M. Tissât d'après les documents manuscrits de Daux, communiqués par M. le comte d'Hérisson. 11 nous a été impossible d'établir à la même échelle toutes les cartes qui composent notre atlas, à cause de l'inégale répartition des noms et des accidents de ter- rain, mais nous avons donné au début une carte d'assemblage, qui per- mettra de se retrouver facilement. Les routes romaines ont été indiquées au pointillé d'après les conclusions de M. Tissot; toutefois il nous a paru pré- férable d'interrompre le tracé quand ces conclusions ont un caractère trop hypothétique. La géographie de l'Afrique romaine n'est pas définitivement établie; il y a là encore du travail pour plusieurs générations d'archéologues et de voyageurs.
Cette partie de notre tâche a été fort laborieuse, et nous ne nous dissi- mulons pas qu'elle prête à plus d'une critique. L'éclectisme auquel nous étions obligé, par suite de l'incertitude de la nomenclature moderne, a pro- bablement eu pour conséquence quelques erreurs. On les excusera peut-être en songeant que, dans ce travail difficile, nous ne disposions que de secours insuffisants. Les pierres qui ont servi à la gravure de nos cartes seront con- servées, et il sera possible, dans les tirages ultérieurs, d'y apporter les modi- fications de détail que l'on voudra bien nous signaler. L'atlas a été broché à part, afin de permettre aux voyageui*s archéologues de s'en charger sans emporter le volume.
Le manuscrit de M. Tissot a été l'objet, au cours de l'impression, d'un contrôle minutieux, d'une comparaison incessante avec les documents topo- graphiques ou épigraphiques publiés depuis la moi*t de l'auteur. Cette
' Malgi-é rcs secoui-s, nos rartes de la pro- ne valent guère mieux que celle de i854 , dont
vince de Constantine sont certainement défec- M. Tissol »'ost prinripalemrnt sem. tueuses, paiTc (juc le nouveau travail du Dé- * Nous avons mallieureuscmciit rcru trop
pot de la guerre sur ceUe région est trop peu tibrd quelques épreuves partielles de la carte
avancé pour que nous ayons pu en tirer d'Arri<|ue au 3,000,000*, drrssëe par M. le onm->
|>arti (1887). Les cartes de 18G9 et de 1876 mandaut de Lanaoy.
épreuve n'a fait que nous fortifier dans notre admiration de la première heure pour l'œuvre maîtresse que nous avons l'honneur de publier. Elle était tellement en avance sur l'état des connaissances géographiques, à la veille de l'occupation de la Tunisie, que les découvertes ultérieures ont permis de la compléter sans y modifier un seul point essentiel, une seule identification importante. Personne n'a su, comme M. Tissot, saisir la physionomie d'une région, y distinguer l'essentiel de l'accessoire, conclure de cette physio-' nomie au tracé probable des routes, rectifier les itinéraires anciens d'après la géographie actuelle, combiner des hypothèses pour arriver presque à la certitude. C'est en cela que l'artiste — car M. Tissot était artiste avant tout — a facilité la tâche de l'archéologue. A côté d'une science exacte, il avait un sentiment merveilleusement sûr. D'autres, après lui, ont mieux copié les inscriptions, montré plus de connaissances du droit dans le commentaire des textes épigraphiques; mais aucun de ses successeurs, jus- qu'à présent du moins, ne peut lui être comparé pour la reconstitution des itinéraires. C'est un genre de recherches où il a excellé sans conteste, par 011 l'on peut dire , comme il s'en flattait lui-même, que l'Afrique restera toujours sa province. Son livre, nous en avons la ferme confiance, sera considéré bientôt comme le chef-d'œuvre et le modèle de la géogi'aphie comparée; môme dans la littérature étrangère, nous ne voyons guère que le Péloponèse de M. Curtius qu'on puisse lui opposer pour le premier rang. Et nous craignons encore de n'avoir pas fait assez bien comprendre les dilFicultés vraiment décourageantes au milieu desquelles il l'a écrit ! Qu'on nous permette de reproduire ici une page que nous imprimions en i88/i, à la fin d'une notice biographique sur notre ami : «C'est bien comme topographe que M. Tissot a rendu les plus signalés services; la topo- graphie n'est pas seulement la partie la :plus originale , mais la plus méri- toire et la plus durable de son œuvre. Peu de personnes apprécieront à sa valeur cette qualité maîtresse de Y Afrique romaine, parce qu'il faut con- naître les travaux antérieurs, ceux même des savants les plus distingués, pour mesurer les progrès immenses dont cette branche de l'archéologie africaine lui est redevable. On ne lira plus que son livre; on oubliera où il a trouvé la science , ce que sa • perspicacité a su corriger d'erreurs et établir de vérités définitives. Ceux qui posséderont , d'ici à quelques années, une carte de Tunisie sérieusement faite auront beau jeu à lui reprocher quelques méprises de détail; ils ne penseront pas que l'auteur de ï Afrique
^*^{ XXXIV )'**
romaine ne disposait que d'une carte très infidèle , dressée en partie d'après des renseignements où des régions entières étaient laissées en blanc comme tcrrae incognitae. Quant aux inadvertances qu'on pourra relever dans son travail, à un certain défaut de méthode dans le maniement des textes, toutes les fois qu'il sort du domaine des études topographiques , ce sont des imperfections qui tiennent à son éducation première , plutôt littéraire que scientifique, et à une absence de direction qui l'a réduit à tout ap- prendre par lui-même. 11 avait au plus haut degré l'instinct des principes dont s'inspirent l'érudition et la critique contemporaines; i^ais, isolé du monde savant pendant toute sa carrière diplomatique, il n'a pu suppléer, par son instinct personnel, au travail collectif qui a créé les méthodes. Aussi la connaissance de sa vie est-elle indispensable à l'intelligence de ses œuvres, tant pour expliquer leurs lacunes que pour faire estimer plus équitable- mcnt leurs mérites. »
Je ne regrette pas d'avoir donné trois ans de soins à la publication de ce grand ouvrage, et ce n'est pas sans tristesse que je l'achève. Il me semble que demain seulement notre séparation sera complète, tant la correction de ces épreuves était devenue pour moi une habitude et comme le prolongement d'une intimité si prématurément brisée par la mort. Ce n'est qu'après lui que je me suis senti capable de l'aider dans ses travaux et de profiter de ses leçons; ce n'est qu'en publiant son œuvre posthume que j'ai compris le grand vide qu'il a laissé. Que de questions auxquelles personne n'est plus capable de répondre et que j'ai négligé de lui poser autrefois parce que l'importance m'en échappait! Mais quels sont les morts qui nous ont tout dit, à qui Ion n'a plus rien à demander?
Sainl-Germain , i5 septembre 1887.
Salomon REINACH.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages,
Préface de l'éditeur i-xxxiv
La province romaine d'Afrique ,. . , i
DEUXIÈME PARTIE. :!■ ! a ;
GÉOGRAPHIE HISTORIQUE ET CHOROGRAPHIE.
(suite.)
Livre II. L' Afrique romaine i
MJH.iT/.i .;
I. Limites de la province romaine d'Afrique i
S 1. L'Afrique romaine en i46 avant Jésus-Christ i
1. La frontière de la province romaine, de la Tusca au Bagrada. . 3
2. La frontière de la province romaine, du Bagrada jusqu'à
Aquae Regiae 7
3. La frontière de la province romaine , d' Aquae Regiae à Thenae. 1 3
S 2. L'Afrique romaine en 4^6 avant Jésus-Christ 21
S 3. L'Afrique romaine de l'an 3o à l'an 2 5 aS
* S k. L'Afrique romaine jusqu'au règne de Seplime Sévère 36
S 5. L'Afrique romaine jusqu'à l'époque de Dioclétien 34.
S 6. L'Afrique romaine jusqu'à l'invasion des Vandales Sj
S 7. L'Afrique après l'invasion des Vandales 46
S 8. L'Afrique pendant la période byzantine 49
II. Chorographie 5 1
Routes du littoral 54
A. Premier segment, de Carthage à l'Amsaga, 54
S 1. De Carthage à Hippo Regius 54
S 2. D'Hippo Regius à l'Amsaga ,,, 100
S 3. Route d'Hippo Regius à l'Amsaga par Yintèneur.k oiU'uH 106
»^( XXXVI )<^
B. Deuxième segment, de Carthage aux frontières de la Cyrénaïquc 108
S I . De Carthage à Hadrumètc 108
a. De Carthage à Putput •. 108
/S. De Putput à Missua 1 3a
y. De Carthage à Clupea par Gatula 1 39
8. De Putput à Hadrumèle 1 44
S 2. D'Hadrumète à Usilla i64
S 3. D'Usilla à Tacape 189
S 4. De Tacape à Sabrata 19-7
S 5. De Sabrata à Leptis Magna a 1 a
a. De Sabrata à Oca. aia
|S. D'Oea à Leptis Magna a i4
S 6. De Leptis Magna à Macotnades Sclonun aaa
a. De Leptis Magna à Tubactis aaa
|S. De Tubactis à Macomades Sciorum , aa6
•y. De Macomades aux frontières de la Cyrénaïquc -jS/i
Routes db l'intérieur a43
S 1. Route de Carthage à Hippo Regius par BuUa Hcgia a43
a. Localités situées entre la grande voie du littoral et la route
de Cartilage à Hippo Regius par Buiia Regia a85
f. Route secondaire de Siiuittu à TUabroca 309
S 2. Route de Carthage à Cirta 3i a
a. Route de Naraggara a Hippo Regius par Thogaste 385
jS. Route d'Ad Molas à Hippo Regius par Viens Juliani 387
S 3. Roule de Cirta à Sitifis 4o3
a. Route de Cirta à Sililîs par Milev 4o4
^. Route transversale de (^uicul à Jgilgilis par Tucca 4 1 1
S U. Roule de Carthage à Sitifis par Siguese, Vatari et Sigus 4i5
a. Route de Gadiaufala à Thibilis par Ad Lapidcm Baium 4a9
§. Roule de Sigus à Turris Caesaris â3o
S 5. Route de Carthage à Théveste 43 1
S 6. Route de Thévesle à Vatari par Vasampus 473
S 7. Route de Théveste à Cirta par Altaba .' 476
S 8. Route de Théveste aux frontières méridionales de la Maurétanie
Sitifienne 479
S 9. Route de Tliéveste à Lambuesis par Tinfadi et Thamugadi ..;.... 5o4
«•( XXXVII )<-!-
s 10. Route de Lambaesis à Silifis par Tadutti ô.»a\ii'l ..Ifioy
§ 11. Route de Lambaesis à Sitifis par Diana, . . . . ,j,j hh'4ii,Tt • f ' ' * ^^^
S 12. Route directe de Thamugadi à Cirta .... » ^ 5io
S 13. Route de Thamugadi à Diana par ïadutti 5i2
S 1 4. Route de Lambaesis à Tbéveste par le versant méridional de l'Aurès. 5 1 2 § 15. Routes de la Zeugitane et de la Bpacène rattàclilaht au littoral la
voie de Carthage à Tbéveste •'.''i?'."/. 538
a. Route de Coreva à Hadrumèle par Thuburbo Majus et Onel-
lana ôSg
■ihlT ."
S 16. Routes secondaires se rattachant à la route de Coreva à Hadrumète. 565
a. Route de Thuburbo Majus à Inuca 565
|S. Route d'Onellana à Tunis par Uihina '.'. . .' 565
"i;ff^<j',f •
S 17. Roule d'Althiburos au littoral par Zaraa Regia et Thysdrus 567
§ 18. Localités situées entre la route de Carthage à Théveste et celle
d'Althiburos à Thysdrus 590
S 19. Route de Sufetula à Hadruraète 607
S 20. Route secondaire de Vicus Augusti à Thysdrus 616
8 21. Route de Sufetula à Musti 617
S 22. Route secondaire de Sufes à Aquae Regiae par Marazanae 629
S 23. Routes de Sufetula à Tliéveste par Vegesela et Cillium 63o
a. Route de Sufetula à Théveste par Vegesela 63o
|S. Route de Sufetula à Théveste par Cillium et Menegere ... 635
S 24. Route de Sufetula à Thenae 643
S 25. Route de Sufetula à Tabalta et de Tabalta à Macomades Minores
et Cellae Picentinae 644
S 26. Routes rattachant Thélepte à la grande voie du sud de l'Aurès . . . 649
S 27. Routes conduisant de Thélepte à Tacape 65o
a. Route de Thélepte à Tacape par Capsa 65o
f. Route de Thélepte à Tacape par Nepte 679
S 28. Route de Tacape à Veri par Martae ' 691
S 29. Route de Tacape à Leptis Magna par Turris Tainalleni 697
a. Route de Tacape à Leptis Magna par la montagne 708
Appendices 711
I. La région Garamantique et la Phazanie 711
II. Recherches snr la campagne de César en Afrique 731
►«•{ XXXVIII
III. Villes et localités dont la position n'a pas été déterminée 763
a. Liste de Pline 769
/S. Liste de Ptolémée 770
y. Notices épiscopales 770
i . Proconsulaire 771
2. Numidie 77G
3. Bvzacène 78 1
4. Provinces incertaines .... 781
i. Liste de Léon le Sage 782
e. Liste de l'Anonyme de Ravenno 783
Additions et corrfxtions de i/éditelr 786
Tonie premier 785
Tome second 806
Index alphabétique 82 1
EXPLORATION SCIENTIFIQUE
DE
LA TUNISIE.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE.
->cO;<=—
DEUXIEME PARTIE.
(suite.)
LIVRE II.
L'AFRIQUE ROMAIISE.
CHAPITRE PREMIER.
LIMITES DÉ LA PROVINCE ROMAINE D'AFRIQUE.
§ 1 . -*- L'AFRIQUE ROMAINE EN I 46 AVANT JESUS -CHRlST.
La province romaine d'Afrique, aii moment où eîle fût con- stituée, en i46 avant notre ère, comprenait le territoire que possédait encore Carthage au début de la troisième guerre pu- nique. «Une partie du pays, dit Strabon, celle qui apparte- nait aux Carthaginois, fut réduite en province; les Romains donnèrent le reste aux fils de Masinissa^» Le témoignage de Salluste n'est pas moins formel : Pleracfue ex puiiicis oppidis et fines Carthaginiensiiim (jnos novissime habuerant, popiiliis romanus
' Strabon, XVII, m, i5 : Trfv Se ;^e&pav, t^v ftèv èiroipx^lav àiréhet^av Pci)(iaïot, t))v inrà Toîs Kap)(r}hov(ois , Ttfs hè Macaavdtrerrjv oiTréhsi^av x^tptov xal Toiis àTroyôvove toOs ttepl Mixiypav.
1
upitiiSEnic !i.vriO!riLE.
per majistratiis administrabatK La province d'Afrique compre- nait donc, d'après ce dernier texte, non seulement le territoire propre de Garthage, réduit aux limites que lui avaient assignées les événements antérieurs à l'année j46, mais un certain nombre de villes puniques. L'expression pleraqiie ex punicis op- pidis n'est d'ailleurs exacte, nous avons à peine besoin de le faire remarquer, qu'autant qu'on l'explique par une de ces ellipses si familières à Salluste : il ne s'agit évidemment que de la plu- part des villes puniques qui appartenaient encore aux Cartha- ginois en i46, c'est-à-dire des comptoirs échelonnés, au sud du promontoire de Mercure, entre les possessions cartliaginoises proprement dites et les Empories, ou comptoirs de la petite Syrte, dont Masinissa s'était déjà emparé en 172. ,
Telles sont les données générales que nous possédons sur la délimitation de l'an i46. Nous en sommes malheureusement réduits à de pures conjectures en ce qui concerne l'étendue du territoire propre de Garthage, et il nous serait difficile dès lors de déterminer, même approximativement, les limites de la Province romaine, si un texte ancien ne nous en avait pas fait connaître les deux points extrêmes. « L'ancienne Province, dit Pline en parlant des subdivisions de l'Afrique, est sépa- rée de la nouvelle par un fossé tracé au temps du second Afri- cain et des rois et prolongé jusqu'à Thenae : Eapars (jiiam AJ'ri- cam appellavimus dividitur in duas provincias, Vetereni et Novam, discretas fossa, inter Africanum secjueiUem et reges, Tlienas iisque perducta^. Pline constate en outre, dans deux autres passages, que le fleuve Tusca séparait la Numidie de l'Afrique propre :
Tiiscajluvius, Numidiae finis ^ A Tusca, Zeugitana regio et
giiae proprie vocetur Africa est'^.
' Salluste, Dell Jag., xix. — ' HiiL nat., V, m. — * Ihid.,\.n.— ' Ihid. V,iii
La ligne de démarcation de l'an i46 s'étendait donc de la Tusca, c'est-à-dire du cours inférieur de l'Oued el-Kebir, qui se jette dans la Méditerranée en face de l'île de Tabarka, jus- qu'à Thenae, dont les ruines se retrouvent à Henchir Tina, à douze kilomètres au sud-sud-ouest de Sfaks.
Mais quel était, entre ces deux points extrêmes, le tracé de la frontière de 1 46? Aucun géographe, que nous sachions, n'a essayé de le déterminer, et nos cartes les plus récentes se bornent à réunir Thenae à la Tusca par une ligne à peu près droite. Elles éludent la difficulté ou la tranchent arbitrairement ^ Il n'est cependant pas impossible, croyons-nous, d'arriver à un résultat plus scientifique. En réunissant certaines indications éparses dans les textes antiques et en les complétant par l'étude du terrain, on peut parvenir, sinon à élucider complètement le problème, du moins à en dégager les principales inconnues. Afin d'apporter plus de clarté dans l'analyse que nous abor- dons, nous la partagerons en trois parties, correspondant aux trois principaux segments de la ligne frontière.
1 . La frontière de la province romaine de la Tusca au Bagrada.
La synonymie de la Tusca et de fOued el-Kebir n'est pas
' Dans la VU' table de Y Atlas antiquus de Kiepert ( 1 876 ) , la frontière de l'Afrique et de la Numidie part, non pas de la Tusca, mais du cap Roux, et passe un peu à l'est du confluent de l'Oued Melleg et de la Medjerda. La ligne s'arrête d'ailleurs à la hauteur du Makter.
. La XlIP table de l'Atlas antiquus de Spruner-Menke (i865), représentant le bassin de la Méditerranée pendant l'époque comprise entre la seconde guerre punique et le règne de Milhridate , donne un tracé complet, mais à une Irè^ petite échelle,
de la frontière de 1A6; elle la fait courir directement de la Tusca à la petite Syrte en passant par le confluent de la Medjerda et de l'Oued Melleg, et aboutir entre The- nae et Taphrura , dont le nom est suivi de la mention^bs^ae punicae.
Toutes les autres cartes des deux atlas précités (Kiepert, tab. X; Menke, n" XII, XIV, XXI) ne donnent que les limites de l'Afrique et de la Numidie à l'époque im- périale, limites fort différentes, comme nous le verrons, de celles de l'an i46.
douteuse. Comme la Mlouïa maurétajiieune, le cours d'eau qui débouche en face de l'île de Tabarka a toujours été considéré comme une de ces limites traditionnelles qui ont survécu à toutes les invasions, à tous les bouleversements dont le nord de l'Afrique a été le théâtre. L'Oued el-Kebir, au moyen âge arabe, formait encore la limite du Maghreb el-Aoust et de l'Ifri- kia. Or on sait que ces deux divisions correspondent, dans la nomenclature géographique locale, l'une à l'Afrique propre, l'autre à la Numidie complétée par les deux Maurétanies Siti- fienne et Césarienne. L'Oued el-Kebir, limite orientale du Maghreb el-Aoust, est donc bien l'équivalent de la Tusca, Nu- midiae finis , de Pline.
La frontière suivait-elle le cours entier de l'Oued el-Kebir ? Nous ne le pensons pas, et notre opinion à cet égard s'appuie sur un indice historique.
On sait que, dans l'intei'valle compris entre la seconde et la troisième guerre punique, Masinissa s'était emparé du terri- toire de Tusca, qui, au témoignage d'Appien, ne comprenait pas moins de cinquante villes ^ Ce dernier détail désigne sulFi- samment le bassin exceptionnellement fertile de l'Oued el- Kebir. La vallée que parcourt ce fleuve est d'une incompa- rable richesse. Formée par des terres d'alluvion, elle présente l'aspect d'une plaine parfaitement unie , où les champs cul- tivés alternent avec de gras pâturages et des forêts de haute futaie. La richesse minérale de cette contrée n'est pas moins remarquable. Il y existe non seulement des mines de fer, mais des gisements de plomb argentifère, déjà exploités dans l'an- tiquité. La vallée de l'Oued el-Kebir, toutefois, n'a qu'une médiocre étendue en largeur, et pour que le district de Tusca
' Appien, Pan., VIII, iJtviii : Ov laroXù i'ijfrlspov à }AauTaa\'i<T<njs i}n^uT€y^st tcairoiv Xsyofiévwv Msyé\(i)v UsUmv xal x^p** tsevrr^xovrt vàXsav, -ffv Tvffxav igpo<rctyops\/ov<rtv.
ait pu nourrir les cinquante bourgades dont parle Appien, il faut qu'il ait compris tout le territoire actuel des Khoumir; or ce territoire s'étend sur les deux rives de l'Oued el-Kebir, dont le cours moyen et supérieur n'est pas assez profond pour four- nir une limite naturelle. On peut en conclure que la TvaKOf, yj^poL d'Appien comprenait également la rive droite du fleuve. Aussi fertile que l'autre, elle avait dû tenter au même titre l'ambition de Masinissa. Comme il est certain d'ailleurs que les districts envahis en 172 restèrent acquis tout entiers au royaume numide en 1 /i6 \ il est probable que la ligne de déli- mitation arrêtée à cette dernière date ne longeait que le cours inférieur du fleuve. Elle devait, à deux milles romains de fem- bouchure de la Tusca, suivre les hauteurs de la longue chaîne montagneuse qui forme la limite orientale du bassin de l'Oued el-Kebir et sépare, en courant de l'ouest à l'est jus- qu'au cap de Sidi-Ali-el-Mekki , la vallée de la Medjerda du versant méditerranéen.
Deux autres témoignages historiques , au surplus, font suppo- ser que telle devait être la direction générale de la ligne frontière. Outre le district de Tusca, Masinissa avait enlevé aux Carthagi- nois celui des « Grandes Plaines » , rà \ey6[ievcL MeyàXa Ile^ta^, que nous avons identifiées (t. 1, p. 62) au vaste bassin de la Dakhla des Oulad-bou-Salem ou Dakhla de Djendouba. La possession de ce bassin ne pouvant d'ailleurs être assurée que par celle du plateau de Badja qui le domine, Masinissa avait nécessairement dû occuper ce plateau pour atteindre la véri- table ligne de défense des Grandes Plaines du côté de l'est,
' Sallusle, Bell. Jug., v : « Massinissa et agros manu ceperat, régi dono de-
multa et praeclara rei militaris faci- dit. »
nora fecerat : ob quae , viclis Carthaginien- * Appien, VIII, lxviii. — Polybe,
sibus , populus romanus quascunique urbes XIV, vu.
--«.( 6 )^>-
c'est-à-dire le cours de l'Oued Badja. Il serait donc permis, à la seule inspection du terrain, de supposer que la frontière créée en 172 par les envahissements de Masinissa, et consacrée en i46 par la délimitation intervenue entre ses successeurs et la délégation du Sénat romain, atteignait, à l'est, le cours d'eau que dominent les escarpements orientaux du plateau de Badja. On peutl'afTirmer en s'appuyant sur un texte de Salluste. Nous savons par cet historien que Vaçja ou Vacca, dont l'identité avec Badja est solidement établie, appartenait au royaume numide : Métellus s'en était emparé au moment où Jugurtha, cherchant à gagner du temps, manifestait le désir d'entamer des négociations avec le proconsul romain'. Or Badja est située à l'ouest du cours d'eau auquel elle a donné son nom. Ce cours d'eau, du reste, forme une limite naturelle. Il prend naissance dans la longue chaîne que nous avons signalée comme la ligne de partage des eaux entre le littoral et le bassin du Bagrada, coule du nord au sud, et se jette dans la Medjerda, sous le méridien de Badja et du Gorra'at-Azrou.
Les trois positions que nous venons d'indiquer comme ap- partenant au royaume numide, le district deTusca, les Grandes Plaines et Vacca, forment donc autant de points de repère qui nous permettent de reconstituer la frontière entre la Méditer- ranée et le Bagrada. Du confluent de l'Oued el-Kebir et de son dernier affluent de droite, l'Oued es-Sehela, la ligne de démarcation devait suivre, de l'ouest à l'est, la chaîne qui forme la ligne de faîte entre la vallée de la Medjerda et le lit- toral, passer par le col de Khanga-Kef-el-Tout^ et longer, en
' Salluste, Be//./u5r-,LXTi:iVaccenscs, Khanga-Kef-et-Tout, située k peu de
quo Métellus inilio, Jugurtha pacificante , distnncc au nord de Refcd-Deroh'i. qu'elle
praesidium imposuerat. * indique sous la forme inexacte de KefDnr-
' La carte de 1867 "^ nomme pas ioa^^n. C'est par ce col que passe la route
laissant Vacca à l'ouest, le cours de l'Oued Badja jusqu'au con- fluent de cette rivière avec la Medjerda.
2. La frontière de la province romaine du Bagrada jusqu'à Acjuae Regiae.
Ce second segment de la frontière traversait la région mon- tagneuse qui sépare le bassin de la Medjerda des plaines du Sahel. C'est là que le rameau de la chaîne atlantique méridio- nale, qui s'étend du plateau de Tebessa au cap Bon, atteint sa plus grande altitude, et le point culminant de cette chaîne, l'Hamada des Oulad-Ayar, forme en quelque sorte le nœud orographique de l'Afrique propre. Trois grands cours d'eau y prennent naissance : les deux premiers, l'Oued Khaled et l'Oued Siliana, coulent du sud au nord et vont se jeter dans la Medjerda; le troisième, l'Oued Merg-el-Lil, prend sa source sur le versant opposé et va se perdre dans les bas-fonds de la plaine de K aï rouan.
Les textes antiques ne nous font connaître que trois posi- tions appartenant à la Numidie au sud du Bagrada et situées dans la région que nous venons de décrire.
Sicca Veneria (El-Kef) faisait certainement partie du royaume numide. Salluste constate que, de toutes les villes royales, elle fut la première à se soumettre aux Romains, après la bataille duMuthuP.
Zama Regia et Aquae Regiae appartenaient également au royaume de Micipsa : leur surnom l'indique.
On chercherait en vain d'autres points de repère certains,
la plus directe de Badja à Tabarka. On dans la mer, sous les ruines mêmes de
traverse successivement Kef ed-Deroh'i, Tbabraca.
Kbanga-Kef-et-Tout, Sidi-Embarek-Zak- ' Dell. Jug., lvi : « Marium cuni
kraoui, l'Oued Keftenet, Mekna, l'Oued paucis cohortibus Siccam missum; quod
Barkoukch , l'Oued bou-Terfes , l'Oued el- oppidum primum omnium post malam
Kebir et enfin l'Oued es8rir, qui déboucbc pugnam ab rege defecerat. »
soit dans les listes de Pline, soit dans les Tables de Ptolémée, soit dans la Notice des Eglises d'Afrique. Le dernier de ces trois documents, qui est de beaucoup le plus riche, ne peut guère servir qu'à contrôler d'autres indications : rédigée à une époque où les limites des provinces africaines avaient été sin- gulièrement modifiées, la liste des évêchés de la Numidie et de la Proconsulaire ne pourrait que nous induire en erreur si nous accordions à ses renseignements une valeur absolue. Les listes de Pline, dressées vers l'an 80 de notre ère, ne distin- guent pas, en général, entre les villes de la Numidie et celle de l'Afrique propre : elles les classent d'après le régime municipal dont elles jouissaient. Ptolémée ne nous est guère plus utile. Bien que le nom de la Numidie nouvelle figure dans ses listes comme tête de chapitre, son énumération ne repose pas, en réalité, sur le partage de la province d'Afrique en deux grandes régions correspondant à l'ancienne et à la nouvelle province : elle indique un certain nombre de divisions et de subdivisions secondaires dont la signification exacte nous est inconnue. Les paragraphes 28, 3 1, 34 et 4 1 classent les positions de l'in- térieur en quatre catégories :
1° Les villes situées entre l'Amsaga et Thabraca'; 2° Celles qui sont situées entre Thabraca et le fleuve Ba- grada ^ ;
3** Celles qui sont situées entre le Bagrada et le Triton^;
4** Celles qui sont situées entre les deux Syrtes''.
La première de ces catégories se subdivise elle-même en
' IV, 111,5 28 : n^Acis hé ei<Ttv èv rrf ' IV, m, S 3A : Mera&^Sè BaypiSs vora-
èTtapyloi fitaàyttoi fieraèù (lèv k.ftipiya (toîi nai roû Tpirajvos voranov. tsortfioït xal ^a€pixiji vrôXte^. * Ibid. , S d i : Mrra^ iè rôiv 3vo £vp-
' Ibid. , $ 3 1 : Mera^ù hè BaSpàxtjç va- reani vôXen a/Se. y.e(i)s xoi baypiia trorafjiov.
trois groupes : les villes cirtésiennes\ les villes appartenant à la Numidie nouvelle^ et les territoires dépendant de la légion IIP Augusta^.
La seconde est subdivisée de même en trois groupes com- pris dans les trois paragraphes 3i, 82 et 35, mais non caracté- risés, comme les précédents, par une désignation commune.
La troisième catégorie se partage à son tour en deux, sub- divisions : les villes situées au-dessous de Carthage, Otto (lèv KoipyriSâvoL (§ 34), et celles qui sont au-dessous d'Hadrumète, vT^o Se kSpovfJLïjTOv tïToXif (§ 37). La première de ces deux sub- divisions comprend trois groupes secondaires (§ 34, 35, 36); la seconde, quatre (§ 37,38, 89, 4o).
La dernière catégorie, celle des villes syrtiques, se subdivise en trois groupes analogues (§ 4i, 42, 43).
Il n'est pas aisé, comme on le voit, de deviner la méthode qui a présidé à ce classement. Les quatre principales divisions correspondent-elles à des circonscriptions administratives, à des diocèses ? Non , puisque nous savons par Dion que les gouverneurs des provinces proconsulaires n'avaient que trois légats, et que nous devons supposer, par suite, que les pro- vinces d'Afrique n'avaient que trois diocèses.
Comment, d'ailleurs, s'il s'agissait de circonscriptions ad- ministratives, les villes cirtésiennes, déjà placées, à l'époque de Ptolémée, sous la juridiction du légat impérial, commandant la légion IIP Augusta, seraient-elles séparées d'autres villes relevant de la même autorité, comme Théveste etMadaurus, par certaines villes de la Numidie nouvelle obéissant au pro- consul? Comment Lambaesis, quartier général de la 3^ lé- gion, se trouve-t-elle dans le paragraphe 29 avec Simittu?
' IV, III, s 28 : ILipTYjGiwv (lèv, Kipta, iov'kia., Mipeov ^ Mvpaiov, x. t. ).. — * Ibtd., S 29 : Notifjt(8jas véas- Kx)vAxoiia xoXwvia,, «. t. A. — ^ Ibid., S 3o : A.eysleov rplnj (reSaalTJ.
2
nPIlIUCIIK KiTlOiltLI.
Gomment Thévesle et Madaurus figurent -elles, au para- graphe 3o, à côté de Sicca, de Naraggara et de BuUa Regia?
S'agit-il de divisions purement géographiques ? On serait tenté de le croire; mais, même dans cette hypothèse, on ne sait pas au juste ce quelles représentent. Les positions du littoral qui les délimitent, l'Amsaga, Thabraca, le Bagrada, Garthage, Hadrumète, le Triton, les deux Syrtes, sont-elles simplement le point de départ de lignes mathématiques? Faut- il, par exemple, quand il s'agit des villes situées entre Tha- braca et le Bagrada, comprendre dans cette catégorie tout ce qui s'étend entre les méridiens de ces deux positions ? Doit-on, au contraire, n'y ranger que les villes situées entre le méridien de Thabraca et la rive gauche du Bagrada, de même que la divi- sion indiquée par les mots : fiera^v Se haypdSa 'csoiafiov Tcai tov TpiTWvoç 'usoTOLfiov itTîo fjièv Kap)(i]S6tf<x désignerait les villes situées entre la rive droite du fleuve et Garthage ? La première hypothèse paraît la plus probable, puisque nous trouvons, parmi les villes placées entre Thabraca et le Bagrada, Thacia, Musti, Tucca, qui appartiennent à la rive droite du Bagrada, tandis que Sicca Veneria, Assuras, Naraggara, situées sur cette même rive, sont rangées cependant parmi les positions comprises entre l'Amsaga et Thabraca.
Il semble donc qu'il s'agisse de sections déterminées par des méridiens. Mais ici encore il faut compter avec les erreurs de Ptolémée : on sait que son Bagrada coule du sud au nord, alors que le cours du fleuve suit, en réalité, la direction ouest-sud- ouest - est-nord-est.
En somme, nous savons bien où commence la Numidie nouvelle de Ptolémée, mais nous ne savons pas où elle finit. Tout ce que nous pouvons induire de ses indications, c'est que Sicca et Assuras en faisaient certainement partie, tandis que
Thacia et Musli semblent appartenir à l'Afrique propre. Les textes ne nous fournissent donc, pour déterminer la frontière entre la Medjerda et la sebkha de Kaïrouân, que les trois posi- tions numides d'Assuras, Zama Regia et Aquae Regiae. Encore Tune de ces positions, celle de Zama, n est-elle qu'approxima- tivement fixée. Zama était certainement située à l'est du méri- dien d'Assuras (Zanfour). Mais quatre synonymies ont été ou peuvent être proposées pour cette localité : El-Lès ou Elles, à l'est-sud-est de Zanfour; Makler, au sud-est; Djâma, à l'est- nord-est; Sidi-Amor-el-Djedidi , directement à l'est du même point'.
Fort heureusement l'épigraphie vient à notre aide et nous fournit deux précieuses indications. Une inscription récem- ment découverte à Henchir ed-Douames, au pied du versant occidental du Djebel Gorra'at- Azrou et à vingt kilomètres au nord de Bordj Messaoudi (Thacia), a fait retrouver sur ce point ï oppidum Ucitanum majus de la liste de Pline, élevé au rang de colonie sous Alexandre Sévère. Or, parmi les surnoms de la colonie, figure celui de Mariana, qui nous permet de repor- ter l'origine de cette cité à l'an de Rome 65 1 ^.
Les vétérans de Marius n'ayant pu être installés que dans la province romaine, il est évident que V oppidum Ucitanum appartenait à l'Afrique propre. Nous pouvons donc, de ce côté, reporter les frontières de la province romaine jusqu'à l'ouest du Gorra'at- Azrou ^.
On a trouvé, d'autre part, à Aouitta, au centre de la plaine d'El-Ghorfa, qui s'étend au sud de Bordj Messaoudi (Thacia),
' [Sur l'identification de Zama Regia * [Cf. Archives des Missions, i883,
tkvec Djâma, \oir ie Bulletin des antiquités p. i3i; Balletin épigraphique, 1882,
africaines, 188/i, p. 35o. Sur Sidi-Amor- p. 290. — S. R.] ^
el-Djedidi, cf. Archives des Missions , i883, * Le Gorra'at Azrou, l«jjjl î«l^ , est
p. 3i3. — S. R.] le Djebel Korra de la carte de 1857.
une dédicace dont la date se place entre les années 871 et 378 de notre ère, et dans laquelle, à côté du proconsul d'Afrique, Rusticus Julianus, figure un personnage qualifié de vlr cla- rissimus, legatus NumidiaeW\ s'agit évidemment, dans fespèce, non pas du gouverneur de la province de Numidie, mais bien du légat du proconsul chargé d'administrer, sous ses ordres, la Numidie proconsulaire, c'est-à-dire la partie de la Numidie nouvelle qui resta sous l'autorité directe du proconsul lors do la division des pouvoirs, en 87, et continua à faire partie de la Proconsulaire lorsque la Numidie fut constituée en province séparée, vers la fin du ii*" siècle^. Mais pour que la cilé antique que représente Aouitta ait pu faire partie de la Numidie pro- consulaire, il fallait qu'elle eût appartenu à la Numidie nou- velle, formée, comme on lésait, du royaume numide, qui cessa d'exister après Tliapsus. Aouitta marque donc, au sud de Thacia, un des points compris dans les possessions des fils de Masinissa.
L'étude du terrain, enfin, nous fournit peut-être une der- nière indication. J'ai des raisons de penser qu'au nord du Gor- ra'at-Azrou, et sur les hauteurs qui dominent immédiatement la rive droite de la Medjerda, il existe quelques traces d'une limite artificielle courant du nord-nord-est au sud-sud-ouesl. A l'époque où je visitais cette partie du bassin du Bagrada, un ingénieur employé à la construction de la ligne de Tunis à la frontière algérienne m'a dit avoir remarqué, sur ces hauteurs, un peu en amont de la station de l'Oued Badja, une coupure perpendiculaire au cours du fleuve. Cette coupure, suivant d'ail- leurs une ligne de faîte, ne pouvait être, comme le faisait spon- tanément observer mon informateur, que l'œuvre de l'homme.
' [Archives des Missioiu, i883, p. 3aa. — S. B.] — * Voir Mominscii . ('. /. /...». VI , 1690. 1691. et l. VIII, p. /i68.
— «.( 13 )<^~-
J'attache d'autant plus d'importance à ce renseignement, que la personne de qui je le tiens ignorait absolument le fait his- torique dont Pline nous a consacré le souvenir, et j'admets d'autant plus volontiers l'existence, sur le point indiqué, d'un ancien fossé de délimitation que j'ai rencontré moi-même des vestiges analogues entre la sebkha de Kaïrouân et l'emplace- ment de Thenae.
Nous pensons donc que lés frontières de la province romaine et du royaume deNumidie, au sud du Bagrada, passaient par la coupure dont nous venons de parler, longeaient le versant occidental du Gorra'at-Azrou, laissaient à l'est Henchir ed- Douames [oppidum Marianum Ucitanum) et Bordj Messaoudi [Thacia)^ et franchissaient la voie de Garthage à Sicca par la ligne de faîte qui sépare le bassin de l'Oued Khaled de celui de l'Oued Tessâ. La frontière traversait ensuite le Bahirt el- Ghorfa, du nord-ouest au sud -est, en laissant Henchir el- Aouitta à la Numidie, et gagnait, dans la même direction, le cours supérieur de la Siliana, qu'elle atteignait sans doute à Kasr el-Hadid. De ce dernier point, laissant à droite les massifs essentiellement numides des Oulad-Âoun et des Oulad- Ayar, elle suivait sans doute la rive gauche de l'Oued Merg-el- Lil,en laissant à droite la station numide d'Aquae Regiae, jusqu'au point où ce cours d'eau se perd dans lés plaines de Kaïrouân.
3. La frontière de la province romaine d'Aquae Regiae à Thenae.
Le Djebel Troza, qui domine de près de neuf cents mètres les ruines d'Aquae Regiae, marque la limite des hauts pla- teaux et des basses terres. A l'est de ce puissant contrefort, le terrain n'offre plus qu'une série d'ondulations décroissantes, qui expirent au littoral.
Ces plaines présentent entre Aquae Regiae et Thenae deux grandes dépressions, dépourvues de toute communication avec ia mer. L'une, la plus septentrional(3 et la plus considérable, est la sebkha de Sidi-el-Hani, ou de Kaïrouân; l'autre est la Sebkhat el-Gharra'. Comme toutes les sebkhas du nord de l'Afrique, ces deux bassins, qui forment de véritables lacs dans la saison des pluies, n'offrent plus en été que l'aspect d'une plaine vaseuse, couverte d'efflorescences salines et remplie de redoutables fondrières.
La ligne de démarcation de l'an i46 utilisait vraisembla- blement ces deux obstacles naturels. Un double fossé devait rattacher la sebklia de Sidi-el-Hani à la Sebkhat el-Gharra et ce dernier bassin au littoral.
Le tracé que nous indiquons comme probable, au point de vue purement topograpbique, s'appuie d'ailleurs sur un texte d'Hirtius. Un incident de la campagne de César en Afrique semble prouver, en effet, que la rive occidentale de la sebkha de Sidi-el-Hani appartenait au royaume numide. Après avoir rappelé les tentatives infructueuses faites par Considius pour s'emparer d'Acbilla (El-Alia), défendue par une garnison césa- rienne, Hirtius ajoute que le lieutenant de Scipion regagna Hadruniète « en passant par le royaume de Juba », itinere per reqnum Jubaefacto^. Pour se rendre bien compte de la marche
• [D'après la carte de 1857, M. Tissot admettait que la sebkha de Kaïrouân reçoit les eaux de l'Oued Merg-el-Lll. La carte publiée en septembre 1 88d , par le Dépôt de la guerre , fait aboutir ce cours d'eau à l'ouest de Kaïrouân et de la sebkha, où il se perd dans les snblcs. La sobkha reçoit seulement, à l'ouest, l'Oued el-Mokta. — S.B.]
* De bello Africano , xlih : • Intérim Con-
sidius, qui Achillam octo cohortibus sti- pendiariis Numidis Gactulisque obsidebat, ubi C. Messius cohortibus praecrat, diu multumquc expcrlus magnisque operibus sacpc ndmolis cl iis ab oppidanis incensis, quuni proficeret nihil . subito iiuntin de
cquesiri prnelio allato commotus
Achillam , quant obsidebat , deseruit , atquc itinere per regnum Jiibac facto , copias cum ScipionepQflilus, Hadrumeiumsorccepil. »
Pl. I.
3oha.
Imprimerie Nationole.
CARTE
NDIQUANT LA MARCHE DE CONSIDIUS D'ACHILLA À HADRUMÈTE.
de Considius, il faut se rappeler la situation respective des deux partis à cette phase de la guerre civile. César et Scipion s'observaient sous les murs d'Uzita\ et la cavalerie de Labie- nus venait d'être anéantie par celle du dictateur. Craignant d'être pris à revers, Considius se décida à lever le siège d'A- chilla et à regagner Hadrumète, en laissant à Scipion une partie de ses troupes. La ligne de retraite la plus directe, pour Consi- dius, était la route d'Acliilla à Sarsura^, puis la grande voie qui, passant par Sarsura et par AvidusVicus^, conduisait de Thysdrus à Hadrumète. Considius renonce à cet itinéraire, qui l'expose à être pris en flanc par la cavalerie césarienne, et passe, nous dit Hirtius, «par le royaume de Juba». Sa marche, dès lors, est bien indiquée. D'Achilla il se dirige sur Thysdrus (El- Djemm) et contourne la sebkba de Kaïrouân par la rive occi- dentale. Cette seconde route lui offrait, en efî'et, le double avantage de mettre entre lui et l'ennemi un obstacle infran- chissable et d'abréger autant que possible sa marche d'Achilla sur Hadrumète. La phrase d'Hirtius : itinere per regnam Jubae facto peut donc faire supposer, avec quelque vraisemblance, que la rive occidentale du lac était numide. Cette conjecture est d'ailleurs confirmée par un autre passage du livre sur la guerre d'Afrique; Thysdrus y figure parmi les villes romaines que César frappa d'une amende, après la défaite du parti dont elles avaient embrassé la cause \ Ses ruines se retrouvent, comme on le sait, à El-Djemm^, à 45 milles romains au sud-
' Ruines situées à deuK milles romains * De bello Africano, xcvii : «Tisdrita-
à l'est de Mezdour. nos, propter humilitatem civitatis, certo
^ Ruines près de Bou-Merdès, à trois numcro frumenti multat. » milles au nord d'Ei-Djemm. ^ Nous reproduisons l'orthographe con-
' Ruines près de Zeremdin, à six sacrée, mais le nom correct de cette loca-
iinlles au nord-nord-ouest de Bou-Mer- lité est Ledjemm a^ ; c'est ainsi que l'écri-
dès. veut les géographes arabes.
est de Kaïrouân et à 5o milles au nord-nord-est de Tina. La frontière ne devait donc pas, du côté de Test, dépasser le mé- ridien de Sidi-Nâceur, marabout situé à neuf milles au nord- ouest d'El-Djemm; par conséquent encore, elle ne pouvait suivre que la ligne droite qui, partant de la rive méridionale du lac de Kaïrouân, à la hauteur de Sidi-Nâceur, coupe l'extrémité orientale de la Sebkhat el-Gliarra et aboutit à Thenae. nr ■
Ici se présente une dernière difficulté. L'expression de Pline Thenas us(jiie est fort vague dans son apparente précision. The- nae se trouvait-elle sur le territoire romain? Rien dans le texte de Pline ne nous autorise à trancher la question dans un sens plutôt que dans l'autre. Ceux qui l'ont résolue par la négative s'appuient sur un passage du livre sur la guerre d'Afrique où l'auteur parle d'une ville de Thabena, située sur le littoral aux confins du royaume de Juba, in exlrema ejus regniregione mari- tima, et évidemment peu éloignée de la frontière romaine : César, en effet, à la demande de ses habitants, qui avaient massacré la garnison royale, l'avait fait occuper par trois co- hortes \ et si Thabena n'avait pas été très voisine du théâtre des opérations, le dictateur se serait bien gardé de s'affaiblir au moment même où il avait besoin de toutes ses forces pour en finir avec ses adversaires. En rapprochant cette indication topographique de la ressemblance que présentent les noms de Thabena et de Thenae, on a cru pouvoir affu'mer l'identité de ces deux villes, et l'on a supposé, par suite, que le fossé de Sci-
' De 6c//o y4/r/c., i.xxvii iiThabenenses pulus romanus, quod bcne raerili essenl,
intérim, qui subditionc et potcstate Jubac auxiliuin ferret. Caesnr, eorum consilio
esse consuessent, in extrema ejus rcgni probato, Marcium Crispum tribunum cura
regione maritima locati iegatos ad cohortibus tribus et sagittariis tornientis-
Caesareoi miltunt; rem a se gestam do- que compliiribus pracsidio Thabenam
cent ; petunt orantque ut suis fortunis po- oiittit. >
pion Emilien atteignait le littoral nord de Thenae. La plupart de nos cartes le font déboucher à égale distance de Tina et de Sfaks. On a trouvé on outre ^ dans le nom de la ville antique dont Sfaks occupe l'emplacement, Taphriira, un autre argu- ment à l'appui de l'hypothèse qui place la limite des posses- sions numides et romaines au nord de Thenae. On a fait déri- ver ce nom du mot grec TdÇ>poi, «les fossés». Un indice plus sérieux, bien qu'on n'en ait pas, que nous sachions, tiré parti jusqu'ici, serait celui que fournit le passage de Strabon où il est dit que César, pendant ses campagnes d'Afrique, se rendit maître, sans coup férir, de l'île de Cercinna et de Thena, bour- gade maritime : EiXe 5' éS è^oSov Koucrap ttiv [^Lépxivvav] vrj(jov ncd ^évav, 'usoXiy(yK)v èT^idakoLili^iav. Or l'auteur du livre sur la guerre d'Afrique, qui parle de l'occupation de Cir- cinna et de Thabena par les troupes césariennes, ne dit pas un mot de Thena. On pourrait donc supposer que sa Thabena est la Thena de Strabon. Wilmanns, de son côté, s'est appuyé sur ce même passage pour affirmer que Thenae appartenait à la province romaine : « Thenas Caesari inimicas fuisse vique ab eo captas Strabo refert; praeterea Thenitani inde a tertio bello Punico ad provinciam Romanam pertinebant, cum Tha- benenses sub regibus Numidarum essent^. » Cette dernière as- sertion n'est justifiée par aucun texte et n'a que la valeur d'une simple hypothèse. Quant à fargument tiré de Strabon, il ne repose que sur une fausse interprétation de fexpression éf è(p- 68ov. Wilmanns le traduit par vi capta, alors que le véritable sens, indiqué par le livre sur la guerre d'Afrique, est «d'em- blée, sans coup férir». Nous savons, en effet, par le récit de la campagne de César, que Cercinna, à la prise de laquelle
' Entre autres M. Partsch [De viis Africae procons. Breslau, 1874). — * C. I. L., t. Vlll, p. 10.
IVPRIIIEIIIE KATIOXAIE.
_^( 18 ).«^
Strabon applique la même expression éÇ è(pôSo\j^ fut occupée sans résistance.
11 n'y a donc rien à tirer des textes. Le terrain fourni- rait, paraît-il, un indice à l'appui de l'opinion qui attribue Tbenae à la province romaine. D'après les renseignements qui m'ont été donnés par un ancien agent consulaire à Sfaks, M. Mattei , on ne trouverait, au nord de Tina, aucune trace d'une ancienne délimitation, tandis qu'au sud de la même localité, à trois milles environ des ruines de la ville antique, rOued Tina forme une limite naturelle, qui se relierait à la sebkha de Sidi-el-Hani par un fossé dont les traces seraient encore parfaitement reconnaissables sur plusieurs points. A partir des ruines de Kasr Gobreuch, ce fossé, courant du sud au nord, couperait la pointe orientale de la Scbkhat el-Gharra, traverserait la dépression dont l'Oued Daroug suit le tbalweg, passerait un peu à l'ouest de la koubba de Sidi-Nâceur, près de laquelle j'ai pu moi-même en reconnaître des vestiges, et abou- tirait à l'extrémité méridionale de la sebkha de Sidi-el-Hani ^
Par l'étendue et par la direction constante de son tracé, cette tranchée paraît être une des ces limites artificielles, y^et- poTtoiYjTOÇ ÔpoÇf dont on constate l'existence, en Afrique, à toutes les époques de l'antiquité'^. La tiadition locale lui attri-
' [M. Tissot a été induit en erreur par les renseignements de M. Mattei. Envoyé sur les lieux en i884. nous avons pu con- stater que le prétendu fossé au sud de Thcnae n'est p»s autre chose qu'un lit de torrent; le pays entier porte le nom d'El- Hadd, qui n'est nullement réservé à l'un ou l'autre des nombreux thalwegs qui le traversent. Voir noire Lettre à M. Georges Penvt, dans la Hevue archéologique, mars i884.— S. R.]
* Nous avons vu que le territoire propre de Cartilage était entouré d'un fossé. Le témoignage de Pline est formel quant à la délimitation de l'an i^G.etnous retrou- vons au V* siècle, dans un texte législatif, la preuve que cette tradition s'était perpé- tuée pendant toute la période romaine. Un rescrit d'Honorius et de Théodose {Cod. Theod. lil) VII, til. X\ , 1. i , De terris limi- taneis), daté de l'année 4o() et adressé à Gaudentius , vicaire d'Afrique , précise les
—fr>{ 19 )^-»—
bue précisément cette destination : partout, sur ce parcours de près de soixante milles, le fossé est désigné sous le nom de Seguiet el-Hadd ^\ îuàUOl, le « fossé de la frontière » , et les indi- gènes ajoutent qu'il le porte de temps immémorial, Maroafmen aoul ed-Denia, îu3^1 J3^ y* ^s^jxo.
En rapprochant la tradition que nous venons de signaler de ce fait que le tracé de cette limite artificielle, tel qu'on le retrouve sur le terrain, est précisément celui que l'étude des textes antiques nous avait conduit à assigner à la délimitation de l'an 1 46 , il est difficile de ne pas reconnaître dans le Seguiet- el-Hadd les traces du fossé de Scipion Emilien^
Ce fossé se confondait-il, dans la plus grande partie de son tracé, ainsi qu'on l'a supposé, avec ces «fosses puniques», al (poiviKtSes idCppoi, qui formaient, comme nous l'avons vu, la limite du territoire propre de Carthage?
Si l'on admet, avec Heeren, Mannert et la plupart des géo- graphes, que les limites du territoire carthaginois se confon- daient, au sud, avec celles delà Zeugitane, et si l'on remarque, d'un autre côté, que les districts de Tusca et des Grandes Plaines, enlevés par Masinissa aux Carthaginois, au mépris des stipulations du traité de 201, faisaient certainement parlie de YiSioL TMV KfxpyrjSoviMv ycopcc, on est autorisé à affirmer que les
obligations qu'entraîne la possession de terres situées sur la frontière; le proprié- taire est chargé , en retour de certains pri- vilèges, de l'entretien et de la défense du fossé qui serl de limite : curafossati tuUioque limitis. La lettre impériale fait d'ailleurs allu- sion à l'antiquité aussi bien qu'à la sagesse des dispositions qu'elle rappelle : « Terrarum spatia. . . quae propter curam munitionem-
que limitis atque fossati antiquoram
hunuina fuerant prvvisione concessa. »
' [Il reste bien établi : i° qu'il n'y a aucune trace d'une délimitation naturelle au nord de Thenae; 2° que la région si- tuée au sud de Thenae , dans le voisinage du puits d'Hadji-Embareck , porte le nom de El-Hadd « la frontière », et que cette ré- gion est traversée par des lits de torrents à rives abruptes qui remontent vers le nord et ont bien pu servir au tracé d'une ligne frontière. — S. R.]
3.
--«.( 20 ).«-
deux délimitations des années 201 et i46 n'avaient qu'un point commun, celui où elles se coupaient. Le texte de Pline, au surplus, semble favorable à cette dernière hypothèse: l'ex- pression fossa inler Africaniim sequentem et reges perducta paraît bien indiquer qu'il s'agissait d'une frontière nouvelle, destinée à tenir compte des modifications territoriales qu'avaient ame- nées les événements survenus de 201 à i46.
L'arrangement intervenu entre les délégués du Sénat et les princes numides fixa pour un siècle ces limites, si longtemps disputées et flottantes. Rome fit la part belle à ses alliés, et sa modération s'explique sans peine lorsqu'on se reporte aux dis- cussions que soulevèrent, au sein du Sénat, les conditions de la paix qui devait mettre fin à la seconde guerre punique. Rome s'était proposé, avant tout, d'anéantir Carthage : elle ne songeait pas encore à se substituer à sa rivale. Elle se conten- tait d'occuper une partie du littoral ennemi, bien moins pour en tirer parti elle-même que pour empocher la reconstitution du centre politique qui avait si longtemps groupé autour de Carthage toutes les forces vives de l'Afrique. La création de la province romaine ouvrait une brèche dans fempire fondé par Masinissa, empire immense qui s'étendait de la Cyrénaïque à la Maurétanie^ Défense fut faite dejamais relever Carthage, et cette interdiction cachait, sous les formes religieuses dont elle fut entourée, une arrière-pensée politique facile à saisir. Ces précautions prises, Rome avait un double intérêt à ménager ses alliés indigènes : elle leur devait, dans le présent, le prix des services rendus; elle attendait d'eux, pour favenir, le ser-
' Appien, VIII, cvi : )Lalb[ÎAa<r<xavà<7- ]iiapx,r}^ovla)v xal H^cacos, ivaXaSeïv, xti
<Trts] fièv roir einàiv, èTS^^evTtjffev àvï)p 't/poa')a'yetv èitifiéyKrlov, âTràMavpowricov
èç ■crâiTa èitiTvxTi)s, w T7)v fxèv àp)(r)v rrfv twv israp' Ùxecivù fié/^pi tî)? kvpijvoiioov
■aarpûaiv Q^eàs é6(i)xev , i<p(upeQé\ni -mpàt ^PX.^^ ^^ "^^ fieaàyaia.
— 1-3.{ 21 )^^—
vice non moins important de préparer l'Afrique à sa domi- nation.
Les événements justifièrent son calcul. Grâce aux efforts de Masinissa et de ses successeurs, une transformation notable, déjà constatée par Polybe \ s'accomplit dans l'état social des Numides : des villes se fondèrent en grand nombre, les popu- lations s'attachèrent au sol, la terre fut cultivée, les mœurs s'adoucirent, et lorsque Rome, un siècle après la chute de Gar- thage, prit possession du royaume numide, elle ne rencontra de résistance sérieuse que dans les régions méridionales, qui étaient devenues le refuge des nomades et qui restèrent, jus- qu'à la fin de sa domination, le point de départ ou le point d'appui de toutes les insurrections indigènes.
§ 2. L'AFRIQUE ROMAINE EN /l6 AVANT JESUS-CHRIST.
On suppose généralement que les limites de la province ro- maine d'Afrique s'étendirent, en 106, après la défaite de Ju- gurtha; que la République garda Vacca, Sicca et quelques-unes des autres places conquises pendant la guerre, ainsi que Leptis Magna, qui, dès le début des hostilités, avait demandé et n'avait pas tardé à recevoir une garnison romaine^. Gette conjecture, qui ne repose sur aucun texte formel, est difficilement conci-
' Polybe, XXXVII, m : Tô 8é iiéyialov xal Q-etôrarov toOtow • Trfs yàp Nof/aS/a? âirâaas à^prjeTlov ràv 'ctpà toû x^pàvov VTTap)(prjcT7]s xal vopulofiévrjs âbwirov ri; Çvaei 'stpos T^fiépovs xapiroiis Û7rdtp;^e<v •xapwtos nai p.6vos Û7ri8e»?e Siàr* SvvaTa» isàvxoLS èKÇ>épsiv tovs T^p.épov5 xàpirovs oùS' bitoias rjtlov f éxiala tmv xâpTiccv èv hictalàaet p.vptoirXé6povs dypovs xaxaaxew-
^ Salluste, Bell. Jugurth,, lxxvii : «Le- gati ex oppido Lepti ad Metellum venerunt , orantes uti praesidium praefectumque eo
mitteret Nam Leplitani, jam inde
a principio belli Jugurthini ad Bestiam consuiem et postea Romam miserant, amicltlam societatemque rogalum; deinde ubl ea impetrata, semper boni lidelesque
mansere Itaque ab imperalore facile
quae petebant, adepti. »
liable avec les indications de Ptoléînée : Sicca figure, dans les listes de ce géographe, parmi les villes de la «Numidie nou- velle», c'est-à-dire de la nouvelle province romaine, j) rea èTtoLp'/loL^ créée en 46, après la bataille de Thapsus. César n'avait aucune raison d'agrandir la nouvelle province aux dé- pens de l'ancienne. Si la ville de Sicca est comprise, dans les tables Ptoléméennes, parmi les cités de la Numidie, c'est évi- demment qu'elle n'avait jamais cessé d'être numide. Zama Regia, lors de la campagne de César en Afrique, est encore la principale place forte de Juba. Quant à Leptis Magna, il est peu vraisemblable qu'elle ait été considérée comme une an- nexe de la province romaine, dont elle était si éloignée : Sallustc constate qu'elle avait échappé, par sa situation même, à l'in- fluence numide ' ; à plus forte raison, peut-on supposer qu'elle ne fut pas rattachée aux possessions romaines en 106. L'occu- pation de cette place n'avait été qu'une mesure de précau- tion, qui dut cesser avec la guerre. Leptis conserva sans doute sa situation d'alliée du peuple romain : rien n'autorise à affirmer qu'elle devint une parcelle du territoire de la Répu- blique.
Les possessions romaines ne s'étendirent réellement qu'après la bataille de Thapsus, en 46.
Quatre ans avant cette date, Curion, pendant son tribunat, avait proposé de réduire la Numidie en province romaine^, et le souvenir de cette motion fut pour beaucoup dans far- deur avec laquelle Juba embrassa la cause pompéienne : en
' B. Jug., Lxxviii : tEjus civitatis lin- frequcnlem Numidiam muiti vastiquc loci
gua modo conversa connubio Numidarum : erant. •
leges cuUusque pleraquo Sidonica : quae * Cé^iar, Dehello civ.,l] , xxy : * ...tribu-
eo facilius retinebanl, quod procul ab im- nusplebis Icgem promulgaverat , qua lege
perio régis actatem agebant. Inter illos et regnum Jubae publicaveret. •
—«.( 23 )^-i —
soutenant les adversaires de César, le roi numide défendait sa couronne :
Nec solum studiis civilibiis arma parabal, Privatae sed bella dabat Juba concitus irae. Huncquoque, quo superos hiimanaque poUuit anno, Lege Iribunitia solio depellere avorum Curio tentarat, Libyamque auferre tyranno, Diim regnum te, Roma, facit. Memor ille doloris Hoc bellum sceptri fruclum pulat esse retenti.
L'appui que le parti pompéien avait trouvé en Afrique dé- cida César à modifier la situation politique que Rome avait respectée pendant un siècle. Le royaume de l'arrière-petit-fils de Masinissa fut partagé eptre le peuple romain et les alliés du dictateur. Sittius reçut en récompense de ses services la ville de Cirta et les districts adjacents. Boccbus vit ses Etats s'accroître de toute la partie occidentale de l'empire numide. Le reste du royaume de Juba forma une seconde province ro- maine, sous le nom de Niimidie ou Afrique nouvelle.
L'existence de la Numidie comme province séparée n'est pas douteuse, bien qu'elle ait été parfois contestée. Zumpt et Mar- quardt, entre autres, avaient pensé que YAfrica nova était gou- vernée par un lieutenant du proconsul d'Afrique. Il est certain qu'elle formait une division territoriale indépendante. Le fait est surabondamment prouvé par la nomination de Salluste au gouvernement de la nouvelle province en qualité de proconsul revêtu de Vimperium^; par le passage d'Appien où il est dit que Sextius tenait ses pouvoirs du Sénat: tïjv dpyjfv tïTapà tyiç ^ovXijs Xa^œv^-^ par le témoignage de Dion, qui, en parlant du partage de l'Afrique romaine entre Octave et Antoine, con-
' De hello Afiic, xcvii : « Ibi Sallustio proconsule cum imperio reJicto. » — ' Appien, Bell, civ., IV, LUI.
State que la Numidie appartenait à l'un et l'Afrique à l'autre '; enfin par la qualification de véoL è'KOLp'/icL que Ptolémée donne à la Numidie ^, et qui ne peut s'appliquer qu'à la nouvelle pro- vince créée en 46.
Aucun document ne nous autorise à penser que les limites de l'ancienne province aient été modifiées par la création d'une Numidie romaine. L'Afrique nouvelle enveloppait XAfrica velus ou Africa propria, telle que l'avait délimitée le tracé de Scipion Émilien, et ajoutait aux possessions de la République la partie occidentale du Byzacium, les Empories et la Tripoli- taine.
Du côté de l'ouest, la Numidie dut atteindre, dès cette époque, le cours inférieur de l'Amsaga, c'est-à-dire une de ces limites traditionnelles dont j'ai déjà parlé, et qu'on voit toujours survivre, en Afrique, aux événements qui les font momentanément disparaître. On a supposé à tort qu'elle ne s'étendait que jusqu'aux possessions de Sittius; Cirta n'était évidemment, entre les mains de ce dernier, qu'une sorte de fief relevant du peuple romain et soumis, pour toutes les me- sures d'administration générale, à l'autorité supérieure du gou- verneur de la province.
Les limites méridionales de la Numidie furent probablement aussi indécises, à la première heure, que celles de l'Algérie française font été elles-mêmes jusqu'au moment où une ex- périence, chèrement achetée, nous a décides à aller chercher les clefs du Tell dans le Sahara. Par la nature des choses, l'Afrique septentrionale n'a jamais eu d'autres limites poli- tiques, du côté du sud, que la ligne d'avant-postes qu'y a établie chaque conquérant. Tout porte à croire que l'occupa-
' DioD, XLVIII, XXI, XXII. — * Ptolémée, IV, m.
__«.( 25 )<^^
tion romaine, en 46, ne dépassait pas la ligne septentrionale des hauts plateaux et s'arrêtait au versant nord de l'Aurès. La possession de Sicca, de Laribus, de Thala, de Thelepte et de Capsa suffisait, du reste, pour assurer de libres communica- tions entre les deux extrémités de la nouvelle province.
L'Afrique ancienne et la Numidie se trouvèrent réunies, de fait, à deux reprises différentes, pendant la période si troublée qui suivit la mort de César. Placées sous l'autorité d'un seul gouverneur \ elles n'en gardèrent pas moins leur existence propre, et les limites que nous avons indiquées ne subirent aucune atteinte.
S 3. L'AFRIQUE ROMAINE, DE L'AN 3o À L'AN 2 5.
L'étendue des possessions romaines en Afrique fut momen- tanément restreinte en 728 (3i avant J.-C). Octave, après sa victoire d'Actium, rendit la Numidie au fils de Juba I"^, mais pour la lui reprendre en 729 (26 avant J.-C), en échange de la Maurétanie et de quelques districts gétules ^. La Numidie
' Propréteur de Numidie avant le trium- virat (Dion, XL VIII, XXI ), T. Sextius, après la défaite de Q. CorniGcius , procon- sul d'Afrique , gouverna les deux provinces jusqu'au moment où Octave en prit pos- session et y préposa C. Fuficius Fango (Dion , XLVIII, xxii). Un nouveau partage de l'Afrique ayant donné, après la bataille de Philippes, la Numidie à Octave et l'Afrique propre à Antoine, Sextius, qui était resté en Afrique, reçut de Fulvie l'ordre d'occuper l'ancienne province. Fango refusa de la livrer; la guerre éclata entre les deux propréteurs , et se termina par la victoire de Sextius, qui gouverna de nouveau les deux provinces jusqu'à l'arrivée
de Lépide , à qui l'Afrique romaine avait été attribuée en /ii (Dion, XLVIII, xxni : Kai oirœs 0 AéTTtZos âfx^tirepa rà êdvr/ xolt- écp^e). Lépide lui-même fut dépossédé par StatiUus Taurus (Dion , XLIX , xiv : xai rrfv A.iS{jï}v éxaTépav àfia;^î hà 27aTjX/ov Ta^pow 'BtapstjlrjtTOTo).
* Dion, LI, XV : H hè KXeoiraTpa iovSa T&j ToO iovêov Tsathi crrjvwKYjae' toinw yàp à Kaitrap Tpoi.(^évTi rs èv Tfj iraX/a xal (TVffTpoLTSVtjafiévei} ol raÙTtjv ts xal ri)v ^aaiksiav rrfv -zffaTpwav éhœxs. (Conf. Ta- cite, Annales, IV, v.)
' Dion , LUI , xxvi : Kai t& ^èv ioi€a, TYjs TS VanovXias Tivà àvri rffs tsarpoias &p)(tjs, èiTeiirep èsTàv t&v Poofialeov x6<Tp.ov
lUPlIlICIlK XlTianiLC.
--^( 26 )<^
fut réunie à l'Afrique ancienne, placée, dès l'année 27, parmi les provinces sénatoriales ^
S 4. r.A PROVINCE ROMAINE D'AFRIQUE, DE L'AN 2 5 AVANT JESUS-CHRIST
JUSQU'AU RÈGNE DE SEPTIME SÉvÉRE.
La province d'Afrique, telle quelle venait d'être définitive- ment constituée en 729 (26 avant notre ère), s'étendait de l'Amsaga jusqu'aux Autels des Philènes, limite immuable de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Ces frontières, qu'elle devait conserver pendant deux siècles, sont les plus vastes qu'elle ait jamais atteintes. Nous essaierons de les préciser, au- tant que les textes anciens permettent de le faire.
La frontière orientale était indiquée, du côté de la Cyré- naïque, par la dépression sablonneuse qui, dès fépoque de la toute-puissance de Carthage, avait marqué le point de sépara- tion des établissements d'origine grecque et des colonies phé- niciennes. Le double tumulus des Philènes s*élevait, au fond de la grande Syrte, au milieu d'une zone stérile, terrain neutre qui forme encore aujourd'hui la limite de l'Afrique et du Maghreb.
Du côté de l'ouest, la province d'Afrique était séparée de la Maurétanie par le cours inférieur de l'Amsaga (Oued el-Ke- bir)^, qui, du temps des dynasties indigènes, avait déjà servi de
ol nXelovs avr&v èfxeyeypi^aTO , xai rà elle avait été reportée vers i' ouest jusqu'à
ToC B6x)(pv ToC Te Boyoiov éhtoHe, Saldes : Mera^i^ hè rifs Kataiipeias xai roO
' Strabon , XVII, m, ib : kXX èv dp- Tprjrov fiéyas èalï \tp.Tl)v, bv SdtASxv x«-
;tafe y& hié&tjxe vfoiyjrraç virarixài (lèv 860 , Xoixrt • toùto h' èallv Ôptov jrfç inrà tw lovCa
A^^rfv T8 , 6<Tr) Oirô Ptoftaiovs éÇ(o rr}t itirà xai rffs iiità rok Pcoftaiots. Strabon ajoute
ioi€a fièv tap&rgpov, vvv hè UToXefiCLlui rœ rjuc la frontière varia souvent, par suite de
èxelvov -maiii, xalÀaiatv. . . circonstances politiques, qui engagèrent
* Pline, V, 11: «Ab Ampsaga Numidia Home tantôt k agrandir, tantôt à affaiblir
est.» Cette limite parait avoir été plus les différentes tribus de cette zone, suivant
d'une fois déplacée dans les premières qu'elle les considérait comme amies ou
années de l'empire. Au temps de Strabon , comme ennemies : lloXwrp&ireâs yàp ol
. _.«,( 27 )^^—
limite aux Massyliens et aux Massésyliens. Nous disons « par le cours inférieur du fleuve », car Mileu et Cuicul, situées sur sa rive gauche, faisaient cependant partie de la Numidie. Il est donc évident que la frontière ne suivait le cours de l'Amsaga que jusqu'à une certaine hauteur, c'est-à-dire jusqu'au point où l'Oued el-Kebir reçoit son principal affluent de gauche, l'Oued el-Endja. C'est au confluent de ces deux cours d'eau, en efi^et, à un kilomètre à l'ouest de Zaouia Sidi-Barkat, que se retrouve la Tucca, fines Affrice et Maiiretanie, indiquée par la Table de Peutinger sur la route d'Igilgilis à Cuicul, à 46 milles de la première de ces deux stations et à 70 milles de la seconde. L'Anonyme de Ravenne indique également Tuca comme la limite de la Numidie et de la Maurétanie Sitifienne : civitas Tuca, (juaejuœta mare magnum dividitar inter superius dictam pro- vinciam Numidiam et ipsam Maure taniam Sitifensem (III, vu). Le mot jaxta n'a ici qu'une valeur relative : si Tucca avait été située sur le littoral, la distance indiquée par la Table de Peutinger entre cette station et Igilgilis nous obligerait à reporter la fron- tière à près de vingt milles à l'est de l'Amsaga.
A partir de Tucca, la frontière suivait l'Oued el-Endja, de l'est à l'ouest , jusqu'au point où cette rivière reçoit l'Oued Deheb, et remontait ce dernier cours d'eau, qui coule du sud au nord. Elle passait entre Cuicul [Djemila) et Mons [Ksar ou Ghiren). Un fragment d'inscription trouvé dans les ruines de Mons, et donnant une date calculée d'après l'ère provinciale ^ prouve
fispicrfioi ysyévïfvrai t^s ^œpas, are twv ' Inscriptions de l'Algérie, n" 345^:
veu.o(iévù)v avTr)v 'oXeiôvuv yevofuévoùv xai » c a VC
Tcov Pcofiaiùov àAXoT'àAAws Tovrœv toîs (âsv nn CL'KV
(^Ckots ^pù)(xévù}v, toTs Se xcti -ssoXsyLiois*
co(TTe xai à(patpsi<Tdai xai )(ap(leadai aw- (Anno Provinciae centesimo sexagesimo
éSaivev âXXots âXXa xai oit tov axtxàv quinlo.)
Tpàirov (XVII, m, 12 ).
— !-•.( 28 )^—
que cette localité appartenait déjà à la Maurélanie Sili- fienno '.
Au delà de la source de l'Oued Deheb, au sud par consé- quent de la voie romaine qui conduisait de Cuicul à Sitifis, le tracé de la frontière est indiqué par trois points de repère. La ligne de démarcation devait passer par le Djebel Brao et Kherbet Aïn-Soltân. D'une part, en effet, la ville antique dont les ruines anonymes existent encore à Biar Haddada, à 8 kilo- mètres à l'ouest de Kherbet Aïn-Soltân, appartenait à la Mau- rétanie Sitifienne : c'est ce qu'établit un texte épigraphique qui y a été découvert, et dans lequel est mentionné un Septimius Flavianus, praeses Mauretaniae Sitifensis^ . D'un autre côté, nous savons que Gemellae, qu'on identifie à Kherbet Fraïn, entre la Sebkhat el-Ahmiet et la Sebkhat Hasbin, faisait partie de la Numidie. La dernière indication que nous possédions est un fragment d'inscription provenant de Ngaous, et qui permet de supposer que les ruines fort étendues qu'on trouve dans cette localité sont celles d'une colonia Castcllana, identique à l'évêché dont l'ethnique se retrouve sous la même forme dans la liste des églises de la Numidie ^.
' Le tracé que nous indiquons a été déjà proposé par M. Poulie dans une excel- lente élude sur la Maurélanie Silifienne, publiée dans le llecueU des Notices de la Société archéologique de Constantinc (i863). Nos conclusions ne diffèrent des siennes que sur un point que nous indi- querons plus loin.
' Recueil des Notices , 1874. p. 4o2.
^ Recueil des Notices, etc., i863 : IMPCAESMAVRELIO
COLCAST
Il existait , du reste , xleax ecclesiae Cas- telîanae : l'une dans la Sitifienne, l'autre dans la Numidie, et si nous rattachons à celle dernière province la cilé dont les ruines se retrouvent à Ngaous, c'est en nous fondant sur des présomptions tirées des convenances topographiques. On doit considérer le Hodna , à notre avis , comme faisant partie de la Sitifienne, sous peine d'étendre démesurément vers l'ouest les limites de la Numidie.
M. Poulie suppose que la colonia Cas- tellana de Ngaous est identique à Yeccletia Castcllana sitifienne.
La ligne frontière, à partir de Kherbet Aïn-Soltân, traversait donc la plaine des Eulma en passant entre l'extrémité orientale du Djebel Youssef et la Sebkhat el-Abmiet; elle coupait le Djebel Meuncbar et le Djebel Ammanes, descendait l'Oued Renia jusqu'à son confluent avec l'Oued Barika, laissait à l'est Ngaous et, longeant les bauteûrs orientales du bassin du Hodna, aboutissait aux bas-fonds de l'Oued Djedi à la hauteur de Tolga [Mesaifelta) .
La frontière de la Province atteignait-elle, du côté du sud, dès le règne d'Auguste, la limite naturelle que forme le versant méridional du Djebel Ahmar-Kliaddou et del'Aurès? Nous ne le pensons pas. M. Mommsen fait remonter à l'époque de César l'établissement de grands postes militaires sur la lisière du Sahara. Une telle extension de l'occupation romaine, dès la création de la province de Numidie, semble difficilement con- ciliable avec la prudente lenteur que Rome apporta systéma- tiquement dans l'assimilation des populations indigènes. Elle n'est constatée, que nous sachions, par aucun texte ancien, par aucun monument épigraphique. Tous les documents his- toriques qui nous sont parvenus trahissent, au contraire, les hésitations et l'incertitude qui suivirent la prise de possession de la Numidie. Le rôle que jouent les dynasties indigènes dans les guerres civiles qui suivirent la mort de César, l'érection de la Numidie en royaume au profit de Juba II, la suzeraineté que conserve le client d'Octave sur les tribus gétules du sud lorsqu'on lui reprend la Numidie pour lui donner la Mauré- tanie, l'insurrection formidable de ces tribus qui détermine Rome à substituer définitivement son action à celle de son protégé, prouvent, ce nous semble, que l'occupation de la Numidie, dans le principe, avait été fort restreinte, et bornée, selon toute apparence, à la ligne septentrionale des hauts pla-
-~t».{ 30 ).«-- teaux. L'extension de la domination romaine vers le sud fut la conséquence forcée de la prise d'armes dont nous avons parlé : bornée , à l'origine , à un soulèvement des Gétules du sud de la Nu- midie, l'insurrection ne tarda pas à s'étendre de l'Aurès jusqu'aux Syrtes, et ne lut comprimée qu'en ySg. C'est à cette date seule- ment que Rome pénétra jusqu'au Sahara; encore ne prit-elle possession que de la partie orientale de cette région. Deux inscriptions, trouvées, l'une à Kabès, l'autre dans le Bahirt es- Segui, constatent qu'une route militaire reliant Tacape à un camp permanent établi au nord de Capsa, probablement à Théveste, fut construite dans l'automne de l'an i4 de notre ère, l'année même de la mort d'Auguste, par L. Nonius Asprc- nas, proconsul d'Afrique. Mais cette route ne se reliait à aucune des stations fortifiées qui s'échelonnèrent plus tard au sud de l'Aurès, de ïhelepte à Mesarfelta. Aucun des textes épigra- phiques découverts à Théveste, d'autre part, n'est antérieur à fépoque de Vespasien.
La fondation de Thamugadi, l'établissement, à Lambaesis, du quartier général delà légion 111" Augusta et la construction du castrum de Ad Majores (Besseriani) paraissent dater du règne de Trajan. La grande voie qui suivait le versant sud de la chaîne adantique méridionale ne peut donc avoir été achevée que dans les premières années du ii'' siècle, et c'est à cette époque que l'on doit fixer l'occupation définitive de la ligne saharienne.
La route militaire dont nous venons de parler peut être considérée comme la frontière nïéridionale de la province d'Afrique. De Mesarfelta à Ad Majores, elle longeait les pentes méridionales de f Ahmar-Khaddou et de lAurès, en passant par Gemcllac (Mlili), Ad Piscinam (Biskra), Thabudeos (Thouda), une station anonyme placée sur fOuedCedeur, Badias (Badis)
— -v>( 31 )»c-»- —
et Ad Médias (HenchirTaddert). A partir de Ad Majores (Besse- riani), elle suivait la crête du Djebel Madjour jusqu'à Spécu- lum (Ghbikat), traversait du nord au sud la large dépression qui sépare cette chaîne de celle de Tarfaoui, atteignait à Thiges (Taguious) la rive septentrionale du lac Tritonide (Chott el- Djerid), qu'elle longeait de l'est à l'ouest en passant par Tlii- surus (Tôzeur) et Aggarsel Nepte (Nefta), enveloppait la rive méridionale du Chott el-Djerid et les oasis du Nefzâoua, et, suivant de l'ouest à l'est le versant sud du Tbaga, aboutissait à Tacape (Kabès), au fond du golfe de la petite Syrte. Le tracé que nous venons de décrire est celui de la route frontière indi- quée parla Table de Peutinger entre Thelepte et Tacape, à partir de Spéculum (Chbikat), qu'une voie directe rattachait à Thelepte et à Thé veste.
De Tacape à Leptis Magna, la frontière est indiquée par une autre route militaire: c'est celle qui figure dans l'Itinéraire d'Antonin sous le titre de Itei^ quod limitem Tripolitanum a Ta- cape Leptim Magnam diicit. Elle suivait la chaîne montagneuse du Djebel Nfouça et du Gharian, qui sépare le littoral de la région saharienne.
A l'est de Leptis, la Tripolitaine n'offre plus qu'une zone très étroite, et la frontière se confond avec la ligne des sta- tions ou des po5tes fortifiés qui jalonnent la grande voie du littoral.
La Table de Peutinger indique seule quelques voies inté- rieures de peu d'étendue, qui ne se détachent de la voie prin- cipale que pour y revenir bientôt. Le réseau routier finit, en réalité, à Tacape : à partir de ce point, la voie du littoral ne représente plus qu'un simple cordon, auquel se rattachent quelques mailles isolées.
Nous ne comprenons pas la Phazanie dans les limites de la
—♦->.( 32 )<s —
province romaine; bien qu'elle en dépendît politiquement et militairement, elle n'était, en réalité, qu'une annexe lointaine, complètement séparée de la métropole par de vastes soli- tudes.
Telle était l'étendue de la province d'Afrique dès le i" siècle de notre ère. Pline, en 71, évaluait à 200 milles la largeur de la Numidie et de l'Afrique : Latitiido, (jiia cognitum est, ce mill. C'est effectivement la distance moyenne qui sépare le littoral du Sahara.
La mesure par laquelle Caligula, en 790 d'après Tacite ^ en 791 d'après Dion Cassius^, enleva le commandement des troupes au proconsul d'Afrique pour le confier à un légal choisi par l'empereur^, n'eut pas pour conséquence, ainsi que l'avait supposé Zumpt, de détacher la Numidie de l'ancienne province. Le légat fut investi du commandement de toutes les forces pro- vinciales, avec le titre de Legatiis Aufjiisti pro praetore provinciae Africae'^^ ou de Legalus Augusti pro praetorc exercitus qui est in Africa^, ou encore de Legatiis Angustipro praetorc legionis III An- gustae^^ et, afin d'éviter des conflits d'attributions, le siège de son commandement fut fixé dans une des subdivisions admi- nistratives de la province, le diocèse de Numidie, ce qui ex-
' Tacite, Hist., IV, xlviii : «Legio in Africa auxiliaque lutandis imperii finibus, sub divo Auguste Tibcrioque principibus, proconsul! parebant. Mox Caius Caesar, turbidus nninii ac M. Siianum obtinentem Africain inetuens, ablatam proconsuli ie- gionem misso ineam rem legato tradidit. »
* Dion, LIX, XX: Kireihj re \ovxtos lUitTûiv vlàç àp^s Tifs k^pixrfe érvxjtVt è^oSijdrf (xr/ veanepiay ti vitù (leyaXavx^las • iXXojs TS xai Ôri hvvafiiv xsoXXrjv x«i -BroAi- riKTifv xai ^KVtxYfv ë^stv énsXXs ' xaî i(x^ ^^
édvos veifias , érép<f> rô tt trTpaTicoTixàv xai TOUS îiofiâiaç roiiç trspi avTÔ tapocréra^e ■ xai è^ èxeivov xai ieiipo tovto yiyverai.
* L'expression dont se sert Tacite, misso tn cam rem legato, indique que le légat cbargé du commandement militaire était en réalité un délégué de l'empereur.
* Inscr. de VA Igérie , 1817, 1819.
» Muralori, DCCLXVI, v. — Cf. DCCCLVIII, IV.
* Inscriptions d'Henchir Smala (C. /. L., t. VIII, n* 10116).
— ►!->•( 33 )•«- —
plique cette autre variante de son titre officiel : Legatas Augusti provinciae Africae dioeceseos Niunidiae^.
La phrase de Dion : kiépw to t£ àlpoLTtwTiKOV naà Tovs'^ofid- SoLç Tovs 'srepf avTo t^rpocreTa^e , prouve d'ailleurs que le légat n'avait pas seulement le commandement des troupes, mais qu'il administrait aussi les tribus cantonnées dans le voisinage des postes occupés par des détachements. Cette division des pou- voirs partageait donc, en réalité, la province en deux parties bien distinctes, l'une comprenant le territoire militaire, l'autre le territoire civil, sur lequel le légat impérial avait le droit de pénétrer sans autorisation préalable et d'exercer les actes de sa compétence spéciale : mouvements exécutés pour la défense de la province ou travaux d'utilité publique confiés aux tronpes. C'est ainsi que le nom du légat impérial P. Metilius Secundus figure seul sur les milliaires de la route de Carthage à Thé- veste, ouverte en 128 par la légion IIP Augusta. De même, l'inscription d'Henchir Smala, qui rappelle certains travaux exécutés en 76 sur la route de Carthage à Hippo Regius par BuUa Regia, ne mentionne que le nom du légat de Vespasien, Q. Egnatius Catus, Legatus Augusd pro praetore Legionis III Au- gustae.
Les documents épigraphiques nous font connaître à peu près les limites des deux juridictions.
L'autorité du légat s'étendait sur Cirta, lieu de sa résidence, et sur tout le territoire cirtésien, Rusicade^, Mileu^, CuicuP, sur Mastur^ Arsacal^, Thibilis^, Madaure^, Théveste^, Tha-
' Gruter, CCCCIV, 3. |
' C. /.Z.,t. VIII, 6o48. |
» C. /. L., t. VIII, 7965, 7975, 7976, |
' Ibid., 5526. |
7979- |
» Ibid.A6']6. |
» Ibid., 8208. |
' Ibid., 1829, 1839. i85i, 186 |
* Ibid.. 83o9, 8326, 8327, 833o. |
io658, 10667. |
= Ibid., 6357. |
|
II. |
5 |
lUmiIttRlS KATIO:<ALE. |
--«.( 34 ).«—
muga(li\ Mascula^, Lambaesis^, Zaraï\ Macomades^; sur tout le versant méridional de l'Aurès jusqu'à Ad Majores^, et enfin àBondjem^, frontière sud-est de laTripolitaine, etàCydamus^.
Le proconsul continuait à administrer directement et exclu- sivement toute l'Afrique ancienne, y compris le littoral tripo- litain ^ et le sahara tunisien ^°, ainsi que la partie nord-est de la Numidie. On peut donc distinguer dès ce moment, comme l'a fait observer M. Mommsen, deux Numidies ; celle du proconsul et celle du légat ''.
Bien qu'officiellement maintenue, l'unité de la province d'Afrique n'en avait pas moins reçu une réelle atteinte, et la mesure prise par Caligula ne contribua pas peu à préparer le changement qui s'accomplit vers la fin du ii^ siècle.
S 5. — LA PROVINCE ROMAINE, DU RÈGNE DE SEPTIME sévÈRE JOSQL'X L'éPOQLE DE DlOCLéTIEN.
Un premier démembrement de la province d'Afrique eut lieu sous le règne de Septime Sévère. La plus grande partie de la Numidie fut constituée en province séparée.
Les textes antiques se taisent sur la date de ce changement aussi bien que sur les motifs qui l'amenèrent. On a supposé que cette mesure se rattachait aux dispositions prises en Afrique
> C. /. L.. t. VIII, poitim. '• C. /. L., t. VIII, n' 84 (Turri» Ta-
' Ihid., aada, aaAA, 10773. malleni),n"" 98, iio(Capsa).
* Ihid., passim. " Ibid., t. VIII, p. xvi : • Divisa il;i pro- ' Ibid., 45 16. vincia ut Africa vêtus universa proconsul! ' Ibid., 4764, 4766, 4767, 4771- mansit, ita Africa nova sive Numidia le-
* Ibid., a478, a479, ^^S^> ^à^à, gnto non tota ccssit, sed sub proconsule a495, a499. a5oi. fuit tara ont Tripolitnna quani Hippo Re-
^ Ibid., 6. gius et Calaina et omnino regni ejus pars
' Ibid., I. mari vicina, exccplo agro Ciricnsi. Itaque
* C. I. L., t, VIII , n* 8 (Leptis), n* a4 ab co lempore distinguuntur vei ceiie dis- Oea). ttngui potuerunt Numidiae dtute.»
~^>{ 35 )k-»~-
par Septime Sévère pour empêcher que cette province ne fût occupée par Pescennius Niger ^ Il est plus probable quelle rentra clans le plan général des réformes que Sévère réalisa. On sait qu'il partagea la Bretagne en deux provinces après la défaite d'Albin^, et que les grandes circonscriptions de l'empire furent amoindries sous son règne.
M. Henzen, induit en erreur par une copie défectueuse de l'inscription de Menâa, avait cru pouvoir fixer à Tannée 194 la constitution de la Numidie en province séparée^. Il a été re- connu depuis que cette prétendue date provinciale n'était que celle de l'accomplissement du vœu rappelé dans la dédicace du monument^. Un diplôme militaire de Tannée 198 prouve du moins qu'à cette date la séparation des deux provinces était un fait accompli^. Tout porte à croire qu'elle ne fit que régu- lariser la situation qui existait déjà de fait : le légat impérial continua à administrer, mais cette fois comme chef de province, les territoires compris dans son commandement militaire. Le proconsul garda sous sa juridiction les districts numides qui n'en avaient jamais été distraits. Nous voyons figurer dans une inscription de Calama datant du règne de Caracalla® le nom d'un proconsul d'Afrique, Claudius Julianus, et il s'agit évi- demment, dans Tespèce, d'une mesure de juridiction adminis- trative : consensu utrarumqiie pardam, decernente Claudio Jiiliaiio proconsiile , clarissimo viro. Deux inscriptions de Tépoque de Dio- clétien. Tune de Thagura^, Tautre de Calama^, celle-ci datant de la fin de Tannée 298 ou du commencement de Tannée sui-
' Spartien , iSever. , viil. Mommsen [Berichte iiber die Verhandlun-
* Hérodien, III, viii, 2. gen der K. Sâchs. Gesellsch. der Wissen- ' Annali deW Inst., t. XXXIl, p. 33, schaften, i853, p. 220).
199. " C.I.L.. t. VIII, n» 4845.
* LA., 1611 ; C. /. L., t. VIII, 2465. ' Ibid., n" 4645. '" Kellermann [Vigil, io5), cité par ' Ibid. , n" b2^o.
5.
~^{ 36 ).«—
vante ', constatent également l'intervention du proconsul d'Afrique, P. Aurelius Aristobulus, dans la dédicace d'un mo- nument. Comme il est peu vraisemblable, d'autre part, que Thagura et Galama aient formé à elles seules une enclave delà province d'Afrique, et que leur sort ait été séparé de celui d'Hippone, leur unique débouché sur la Méditerranée, on peut affirmer que l'érection de la Numidie en province séparée sous Septime Sévère n'eut pas pour résultat de restreindre les limites de la juridiction du proconsul.
C'est probablement de cette époque que datent les dénomi- nations par lesquelles les textes des iv*" et v*" siècles distinguent les deux Numidies. La partie soumise à la juridiction du pro- consul reçoit le nom de Niimidia inferior, u Numidie septentrio- nale^», ou Numidia proconsularis , «Numidie proconsulaire ^». La nouvelle province est appelée Numidia Cirtensis'^^ et plus tard Numidia Conslantina^, du nom de sa capitale, ou Numidia consularis^, à partir du moment où son gouverneur reçut lui- même le litre de consularis. Le nom de Numidia superior, corré- latif de celui de Numidia inferior, n'est donné par aucun des textes découverts jusqu'ici.
' Cassius Dio , successeur d' Aristobulus , était proconsul d'Afrique le iv des ides de mars agS . date du martyre de saint Maxi- milien. Les gouverneurs ne se rendant d'ailleurs dans leurs provinces que vers la iin du printemps, son entrée en fonctions remontait au mois de mai ag^. La qua- trième année du proconsulat d' Aristobulus serait donc l'année proconsulaire agS-aQ^i.
* Mansi, II, p. 433.
' Cod. Theod.,\\, I, ag. — C. /. L..
t. VIII, 534d, fragment de dédicace, delà lin du IV* siècle. — Mansi, II, p. 436.
' Liste de Vérone, C. I. L., t. VIII, 5aa6, inscription de Thibilis: Val[erius (i]NTON[inus] j){raeses) p{iwinciae) N{umi- diae) C{irteiuis).
* C. I. L., t. VIII, n' 7o34 , inscription de Constanline : Caecina Decius Albinos junior consularis »(«x) f[ascalis) p{rovinciae) N{uinidiae) Constantinae.
* Aiigustini Epist. 58, i3o, 6.
— ^w.( 37 )^-i—
S 6. L'AFRIQUE ROMAINE, DEPUIS LA REFORME DE DIOCLÉTIEN
JUSQU'À. L'INVASION DES VANDALES.
Le règne de Dioclétien est signalé par une réforme complète du système provincial, réforme que caractérisent à la fois la création des grandes circonscriptions administratives et le morcellement des anciennes provinces.
L'Afrique romaine tout entière, sauf la Tin gitane, que sa situation géographique rattachait à l'Espagne, constitua un diocèse subdivisé en provinces. Un document contemporain, la liste de Vérone, qui paraît dater de l'année 297, compte sept provinces et en donne l'énumération suivante : « Diocensis Africae habet provincias numéro VII : Proconsularis BIzacina Zeugitana, Numidia Cirtensis, Numidia Miliciana, Mauritania Caesariensis, Mauritania Tabia insidiana. »
Ce texte, comme nous allons le voir, a donné lieu à des in- terprétations fort différentes; mais on est d'accord sur deux points. Il n'est pas douteux, d'une part, que la Mauritania Ta- bia insidiana ne soit la Mauritania Sitifensis des listes de Rufus Festus (369) et de Polemius Silvius (385-386), ainsi que de la Notitia dignitalum (398-408). Il est évident, d'autre part, que les deux mots Proconsularis Zeugitana, séparés à tort par le nom de Bizacina, ne désignent qu'une seule et même province, la Proconsulaire ou Zeugitane ^ correspondant à la Proconsu- laris des listes de Festus et de Silvius et à YAfrica de la Notice.
La liste de Vérone compte donc sept provinces et n'en nomme que six. L'erreur est-elle dans le chiffre ? Est-elle dans
' Pline, V, IV : «A Tusca Zeugitana re- Hisp. , XIV, v: «Zeugis ubi Garthago
gio et quae proprie vocetur Africa est. » — magna est : ipsa est et vera Africa , inter
Ethicus , Cosmogr. : « Zeugis est ubi Car- Byzacium et Numidiam sita. » thago civitas constituta est. » — ïsiclor.
^rt.( 38 ).« —
rénumération ? Suivant que l'on s'arrête à l'une ou à l'autre de ces deux hypothèses, on est conduit à formuler des théories fort différentes. Le problème se complique en outre de la ques- tion que soulève le surnom de Miliciana, donné par la liste à la seconde de ses deux Numidies. Faut-il admettre que ce nom est correct ? Doit-on le considérer comme la transcription cor- rompue d'un autre nom?
M. Mommsen fait bon marché du chiffre des provinces et n'hésite pas à voir dans la Nuniidia Miliciana une Numidia Tripoli- tana, correspondant à la Tripolis des listes de Festus et de Silvius et à la Tripolilana de la Notice. Le nom de Numidia s'explique, selon lui, par l'adjonction à la Tripolitaine des districts limi- trophes de la Cyrénaïque qui faisaient précédemment partie delà Numidie du légat ^ Une autre opinion, par contre, consi- dère le mot Miliciana comme correct. On avait cru le reconnaître dans trois inscriptions de Thamugadi datant de l'année 3o4. Wilmanns a contesté depuis l'exactitude de cette lecture, et affirme que les deux sigles N M N[umidiae) M(ililianae] ne représentent en réalité que l'abréviation NVM [Niim[idiae)'^.
Une autre théorie, partant de ce principe que les subdivi- sions de Ptolémée fondées sur les circonscriptions financières de
' C./. L., t.VIII,p.xvii:«ElTripolitana ciae legati aliqua portio novo praesidi
quidem constitula est parte proconsularis cessit. »
antiquae oriciitali in provinciae foruiam * C. /. L., t. VIII, n" 2345, a346. 33^7
commuta ta , adjectis praeterea, ul videtur, {/.y4.,n" i5i5, i5i4, i5i3). — Wilmanns'
rcginnibus Numidiac Ciricnsis ad Cyre- dit, à propos de la première: Vf/ M //«eme
naicani attincntibus : co enim et natura ligatae mihi et in hoc et in seqiuntibus litults
locorum ducit, et nomen sub quo provin- certae visae sunt. Dans la seconde, l'U qui
cia liacc in provinciarum Dioclelianaruni les réunit a une forme carrée : NJM. Dans
bterculo omnium antiquissimo nominatur la Iroisiènie , il prolonge les deux hastes
Numidia Tripolitana (hoc enim vocabulum intérieures de la lettre M : NM. Les trois
Nidetur rcstitucndum esse pro corrupto titres nomment d'ailleurs le même person-
miliciana); Numidiae enim appellatio inde nage. Valerius Florus, v{ir) p{eifectissimus)
tantum oriri potuit, quod antiquae provin- p(rae$es) p{rovinciae) Nam{idiae).
l'époque d'Auguste peuvent être considérées comme l'origine du fractionnement des anciennes provinces, identifie la Numi- dia Cirtensis de la liste de Vérone à la Cirtésienne des tables Ptoléméennes, et la Numidia Miliciana à la '^ovfJLiSiOL véœ de ces mêmes tables. La première aurait eu pour capitale Cirta, la seconde, Lambaesis. Quant à l'omission de la Tripolitaine dans la liste de Vérone, elle s'expliquerait soit par l'existence d'une lacune dans cette liste, soit par le fait que la Tripoli- taine n'aurait été détachée de la Byzacène que postérieure- ment à l'année 297.
Le nom de Numidia Miliciana a enfin donné lieu, tout récem- ment, à une troisième hypothèse. M. C. JuUian ^ ne voit dans le mot Miliciana qu'une mauvaise transcription de la forme Limitanea, et pense que cette expression de Numidia Limilanea désigne la Tripolitaine. La conjecture de M. Jullian ne fait que reproduire, au fond, la théorie de M. Mommsen, en ce qui concerne la question géographique : mais elle la complète en donnant une explication plus satisfaisante de la forme Mi~ liciana, beaucoup plus voisine de Limilanea que Tripolitana.
Un examen attentif de la question ainsi que des divers sys- tèmes auxquels elle a donné naissance nous conduit, pour notre part, à formuler les conclusions suivantes :
1° Il n'y a pas lieu de tenir compte du chilTre VII de la liste de Vérone. Ce chiffre peut s'expliquer par une méprise du copiste, qui, en séparant par erreur les mots Proconsularis et Zengitana et en intercalant le nom de la Byzacène, a pu compter trois provinces là où le texte officiel n'en nommait que deux. Il est impossible, en tout cas, de la justifier par f existence d'une Tripolitana distincte de la Numidia Miliciana
' Corrections à la Liste de Vérone (Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École fran- çaise de Rome , n" i ) .
OU Limitanea: ce serait admettre que \à Numidia Cirtensis, qui était elle-même une province militaire et limitanea par excel- lence, aurait été doublée, dans le sud, d'une province jouant le même rôle. Or rien n'autorise à avancer un fait aussi peu vrai- semblable. Le chiffre de six provinces est d'ailleurs d'autant plus probable que c'est celui que donnent les listes postérieures '. Le seul argument qu'on ait pu invoquer pour justifier le chiffre de sept provinces et affirmer la coexistence, si peu pro- bable en elle-même, d'une Numidia Cirtensis, d'une Numidia Miliciana et d'une Tripolitana omise par la liste de Vérone, était celui qu'avaient paru fournir les deux inscriptions sui- vantes, publiées dans le Recueil des notices de la Société ar- chéologique de Constantine (1876-1877, p. 465) :
RESTITVTOaiS PVBLICAE LIBii TAXIS AC PROPA GATORl TOTWm GENERIS HVMANi NOMINISQVE ROMANI DN L DO MITIO ALEXAN DRO P-FINVAVG SCIRONIVS PA SICRATES VPP
LISTE DE ROFCS PB3TUS :
1. ProconsularU.
3. Byiacium.
3. Numidia.
&. Tripolis.
G. Mauretania Cae.^ariensis.
ô. Mauretania Sitifensis.
LISTE DE POLEMIUS SaVICS
3&. Proconsularis.
36. Rysacium. 35. Numidia.
37. Tripolis.
3g. Mauretania Caesariensis.
38. Mauretania Sitifensis.
NOTiriA Dl«!tITATCM
Africa.
Byiarium.
Numidia.
Tripolitana.
Mauretania Caesartensii.
Mauretania Sitifensis.
kW 41
Or il a été établi que la seconde de ces deux inscriptions, dans laquelle on avait cru reconnaître à la troisième ligne une partie du mot Numidarum, avait été mal copiée. Le personnage qui y est nommé n'est pas un Ae[lius Aelia]nus, v(ir) p(erfec- tissimus) [praeses Numi]cliar[um], mais bien le Valerius Anto- ninus mentionné par l'inscription de Thibilis n° 5526, et, dans ce dernier document, Valerius Antoninus est qualifié de Pixie- ses Numidiae Cirtensis.
Quant à l'inscription de Scironins Pasicrates, elle avait été lue : Restitut[ori\ publicae hb[er]tatis ac propagatori totiu[s] cjeneris haman\i\ nominisque romani d[omino] n[ostro] L[iicio] Domitio Aleœandro P(io) F{elicî) inv[icto) ang{usto) Scironins Pasicrates î;(ir) p[erfectissimns) p{raeses) [Numi]diar[ujn]. Mais la lecture de ce dernier mot est très contestable; M. de Rossi ne l'a pas admise. Fût-elle exacte, par impossible, il serait encore téméraire de l'expliquer par l'existence simultanée d'une Numidia Cirtensis et d'une Numidia Miliciana. L'usurpation d'Alexandre ayant modifié pendant près de trois ans l'ordre de choses établi en Afrique et suspendu faction du proconsul, le pluriel Numidiae désignerait plus naturellement les deux Numidies, proconsu- laire et présidiale : c'est avec cette signification qu'il est em- ployé dans la lettre de Constantin à Ablavius \ et que nous le retrouvons, en 897, lorsque Crescentianus est qualifié de pri-
' « Secl et de Byzacenae, Tripolitanae , Numidlarum et Mauritaniarum provinciis sin- gulos quosque cum aliquibus ex suis quos putaverint eligendos Arelatem naittat. »
II. 6
ivrniyEnie i(atio:<ale.
mae sedis Numidiarum episcopus , zjpœTVS K<xdé§poLs twv Svo Nov- fiiSiwv.
2** La Numidia Miliciana de la liste de Vérone ne peut re- présenter, comme Ta supposé M. Mommsen, que la Tripoli- taine, non mentionnée dans ce document.
3" Gomme M. Mommsen, nous pensons que le nom de Numidia donné à la partie orientale de l'ancienne province d'Airique peut s'expliquer par l'adjonction à la Tripolitaine de la Numidia Cirtensis, qui l'entourait d'une zone militaire. Mais nous croyons que certaines mesures temporaires ren- dent encore mieux compte d'une dénomination qui paraît n'avoir été elle-même que passagère. On sait que l'Afrique, à ce moment, était profondément bouleversée par les insurrec- tions qui y appelèrent Maximien. La partie sud-est des hauts plateaux numides dut être, dans l'intérêt de la défense, étroi- tement rattachée à la Tripolitaine : c'était le seul moyen de fermer aux Gétules et aux Gara mantes la vaste trouée qui sépa- rait Ad Majores, la position la plus orientale de la Numidie, des petits postes échelonnés sur le versant méridional des montagnes du Nefzâoua, ainsi que sur les crêtes de la chaîne tripolitaine. La proconsulaire, dépourvue de troupes, était protégée par une zone militaire continue.
4° Nous croyons, avec M. JuUian, qu'il faut lire, sur la liste de Vérone, Limitanea am lieu de Militiana. Abstraction faite de l'analogie des deux noms, presque identiques lorsqu'on admet une transposition des deux premières syllabes, cette conjecture nous paraît justifiée par des raisons d'ordre pure- ment historique : la nouvelle province n'a probablement pris son nom de Tripolilana que lorsque, après la rupture du lien qui l'avait momentanément rattachée h la Numidie, elle a eu véritablement une existence propre. Le nom de Numidia Limi-
tanea, en d'autres termes, appartiendrait à la période de transi- tion pendant laquelle la confédération des trois villes orientales, Oea, Leptis et Sabratha, n'a été détachée de la proconsulaire que pour être mise en relation étroite avec la Niimidie méridio- nale. Le nom de Tripolitana ne daterait que de sa complète émancipation.
On ne connaît pas la date exacte de la réforme de Dioclétien. Certains indices, toutefois, semblent prouver que la Mauré- tanie Sitifienne fut séparée de la Césarienne en 292 ^ et ce serait par conséquent à cette date qu'on pourrait reporter le morcellement des provinces africaines.
Les listes de Rufus et de Silvius prouvent, aussi bien que la Notice des dignités de l'empire, que l'organisation de Dioclé- tien se maintint jusqu'au commencement du v*" siècle et, par conséquent, jusqu'à l'invasion des Vandales. Nous pouvons donc essayer de rechercher, au moyen des documents épigra- phiques et des textes du iv^ siècle, les modifications que su- birent les limites de la proconsulaire, à l'ouest et au sud.
Onze inscriptions ou fragments d'inscriptions trouvées à Guelma, et dont les dates sont comprises entre l'année 294 et le commencement du v^ siècle, prouvent que Calama, pendant toute cette période, n'avait pas été distraite de la juridiction du proconsul d'Afrique^. Les documents ecclésiastiques men-
^ Voir le mémoire de M. Poulie sur l'époque probable de la division de la Maurétanie Césarienne en deux provinces [Annuaire de la Société archéologique de Constantine , 1862, p. 261 et suiv.).
^ C. I. L. , t. VIII, 6290 : Proconsulatu quarto insignis Aurelii Aristohuli viri cla- riss. et ornatissimi, provisione gloriosi Ma- crini Sossia?ii V. C. leg. quarto, Juliiis Rus- ticianus civis et Car. Kalamensium.
C. L L., t. VIII, 5334 : Proconsu[latu] Clodi Hermo[genis] inlustri[s].
Ibid., 5335 : Procons[ulatu V. C. P. Ampelii].
Ibid., 5337 : Procons[ulatu] P. Ampelii C.V.
Ibid., 5336 : Temporibus beatissimis [Va- lentiniani et Valentis] Augg. restituit v{ir) c[larissimus) JuUus Festus [proconsul].
Ibid., 534 1 : Beatissimis temporibus Do-
6.
donnent toujours deux Numidies^ Saint Augustin se plaint, dans ses lettres, de ce que les Donatistes sont très puissants dans la Numidie consulaire, alors que lui-même défend plus efficacement forthodoxie dans la Numidie proconsulaire. Le nord-est de la Numidie continuait donc à relever du pro- consul.
Il est certain, d'autre part, que Théveste avait été enle- vée à la Numidie, à la réforme de Dioclétien, et rattachée à la proconsulaire. C'est ce que prouvent non seulement les actes du martyre de saint Maximilien, condamné à mort à Théveste en 296 par le proconsul d'Afrique, Cassius Dio, mais deux inscriptions de Tebessa, dans lesquelles figurent deux autres proconsuls : Q. Clodius Hermogenianus^, qui gouverna la pro- vince en 354, et Flavius Rhodinus Primus^.
Les documents ecclésiastiques ne nous permettent pas de compléter le tracé de la frontière occidentale de la province d'Afrique. D'une part, en effet, ces textes ne distinguent la Nu- midie consulaire ni de la Numidie proconsulaire, ni même de la proconsulaire proprement dite''. D'un autre côté, la liste de
minoruni nostroru[m] . . . et Theodosi semper et ubi<jue vincentium administrante Pomp . . . v{iro) c{larissimo) amplissimoque Procon- suîe.
Ibid., 5343 : Beatissimis t[emporibus . . . vice] sacra cognosc[ens] . . .
Ibid., 5 3/1 4 : [P]rocon[s. , .
Ibid., 5347 : [Proco]nsulat[u Au]relii Summa[chi V. C.].
Ibid., 5348 : L. Crepereio Muduliuno V. C. proco[n)s{ulî) p[i-ovinciae) A(Jricue) et vice sacra iudicanti.
Ibid., 5358 : C. pivconsnhila. . .
' Acles du concile de Carthage de A 1 9 ( Mansi , t. U , iioa . 4 1 9. Cf. II , 433 , /|3G ).
' C.I.L., t. VIII, 1860: Quintas Clo- dius Uerm[og]en[ianus . . . v. c. proc]unsule p{i'Ovinciae) Aijricaé) . . .
» Ibid., 1873.
' C. /. L. , t. VIII , p. XVIII : « Fines inter quattuor provincias titulis fere déficient i- bus, quiquc qui adinodum raro pracsides nominant, satis iii universum signilicat Notitia episcoporum anni 48a , quaeque similia in aclis Ecclesiae africanae inve- niuntur, nisi quod laterculi ii cum Numi- dias duas uno capite comprehendanl , ad fines inter Nuniidiam et proconsularem provinciani regendos non perveniunl. »
Un évêque de Thabraca siège parmi les
• — §■»•( 45 )<^ —
482 ^ date du règne d'Huneric, et semble porter la trace des modifications que subit la frontière à fépoque de finvasion \andale. Nous pouvons toutefois tirer de ces documents quel- ques indications sur les limites de la proconsulaire et de la Byzacène.
La ligne qui séparait ces deux provinces laissait, du côté de l'ouest, Assuras (Zanfour) à la province d'Afrique, dont faisaient également partie Muzua (Hencbir Khachnoun), Thu- burbo Majus (Hencbir Kasbat) et Uzippira ou Utzipirra, fUli- sipirra de la Table de Peutinger (Zembra). Du côté de fest, elle aboutissait au littoral, entre Putput (Hencbir el-Abiad, près de Bir el-Bouita) et Horrea Coelia (Hergla). Nous pouvons même préciser davantage depuis une découverte récente. Si, comme nous en avons la conviction, les ruines à'Uppenna'^ (Hencbir Frara ou Hencbir Cbigarnia), situées au sud du ma- rais de Bir Sekoum, sont celles de Yecclesia Oppennensis qui figure dans la liste de 482 parmi les sièges de la Byzacène, la frontière était probablement indiquée parle cours d'eau qui se
prélats de la province d'Afrique à la con- férence de Carthage de 4x1. Un episcopus Simittensis assiste également à un concile des évêques de la proconsulaire. Bulla Re- gia (Hammam-Darrâdji), Naraggara (Kasr Djàbeur) et Altliiburos (Medeïna) font partie des sièges épiscopaux de la province d'Afrique dans la Notice de ^82. Ammae- dara n'y figure pas, mais son évêque n'est pas nommé non plus dans la liste des cent treize prélats de Numidie , et on peut supposer, avec Morcelli , que ce siège n'ap- partenait plus à cette dernière province. Par contre, nous trouvons parmi les évê- chés numides de la Notice, Calama, Tha- gura , Tliagaste , Tipasa et Théveste, 11 est
assez remarquable que la frontière indi- quée par les documents ecclésiastiques est à peu près celle qui sépare encore le Bey- lik de Tunis de l'Algérie.
' Telle est , comme le fait remarquer M. Mommsen , la date véritable de ce do- cument , qu'on reporte d'ordinaire à l'an- née àSA '■ « scripta est die K. Febr. anno sexto régis Hunerici , id est anno 48a Fe- bruar. I. Nescio quo tralaticio errore Notitia haec plerumque adscribitur anno 484 vel 485.1 (C. I.L., t. VIH, p.xviii.)
^ [Cf. Gagnât , Explorations épigraphiqaes et arvhéologiques en Tunisie, 2* fascicule, i884,p. 19. — S. R.]
jette dans le golfe d'Hammamet, au nord de Sidi Klialifa et des marais dont nous avons parlé. Sufes (Sbiba), Zama Regia (Djâma), Musuca (Henchir Bisra) , Aquae Regiac (ruines sur rOued Merg-el-Lil , au pied du Djebel Troza), appartenaient à la Byzacène. La frontière suivait donc à peu près, entre Assu- ras et le littoral, THamada des Oulad-Aoun, le Djebel Barkou, et la série de hauteurs qui marquent, au nord de la plaine de Kaïrouân, la limite des hauts plateaux et des basses terres.
Du côté de l'ouest, nous trouvons, parmi les évêchés de la Byzacène : Cillium (Kasrin), Capsa (Kafsa), Tices (Taguious, dans l'oasis d'Oudiân), Tuzurus (Tôzeur), Nepte (Nefta). La liste de 483 compte Théveste parmi les sièges numides, alors que les documents du iv* siècle l'attribuent à la proconsulaire.
La frontière de la Byzacène ' est déterminée, du côté du sud, par la route qui, dans la Table de Peutingcr, suit la rive méri- dionale du lac Tritonide et aboutit à Tacape, en passant par Putcus [ecclesia Patiensis) et le versant méridional du Djebel Tbaga. Elle donnait par conséquent à la Byzacène le district de Nefzâoua, dans lequel se trouvait Y ecclesia Tamallenensis , que la Notice de 482 classe effectivement parmi les évêchés de cette province. La frontière toutefois laissait au sud Tacape (Kabès) , qui figure parmi les sièges tripolitains : elle aboutissait sans doute au littoral à la hauteur de fembouchure de l'Oued Akarit.
$ 7. L'AFRIQUE APRÈS L'INVASION DES VANDALES.
Les divisions territoriales que nous venons d'indiquer firent place à des délimitations éphémères pendant toute la période qui s'écoula entre la prise d'Hippone et la conquête définitive de l'Afrique par Genséric.
' Byzacina (liste de Vérone); Provincia Valeria Byzacena (C. 1. L., t. VI, 1 68/1- 1689; t. VIII, 1 137); Byzacium (listes de Rufus et de Silvias et Notifia dignitatam).
— 1^( 47 )<^>—
La capitulation d'Hippone (^3 1) paraît avoir été suivie d'une convention conclue par Boniface, avant son départ pour l'Ita- lie. Le témoignage de Procope et celui de Prosper d'Aquitaine ne permettent guère de mettre en doute l'existence de ce pre- mier traité, dont les clauses nous sont d'ailleurs inconnues. Les termes dont se sert Prosper \ aussi bien que l'hommage rendu par Procope à la prudente modération de Genséric^, autorisent à penser que le roi vandale n'abusa pas de ses pre- miers succès, et que la Cour de Ravenne s'estima heureuse de ne perdre qu'une partie de ses provinces africaines. Gen- séric resta probablement en possession des trois Mauréta- nies. Il s'engagea à payer un tribut et donna son fils Huneric en otage à Valentinien^, qui eut l'imprudente générosité (le le renvoyer.
Il est probable que Genséric ne tarda pas à violer la conven- tion de 432, car un nouveau traité, négocié par Trigetius, fut signé le 1 1 février 435 à Hippone. «Plus nécessaire qu'avan- tageux», ainsi que le fait remarquer Paul Diacre'', ce second traité légitimait les envahissements de Genséric ^ et lui donnait évidemment la partie occidentale de la Numidie. Nous voyons en effet, en 437, le roi vandale chasser de son siège l'évêque de
^ Prosper, Chron., p. igS : «Totiusor- ^axTikeï (pépetv, éva re tmv vralhcov Ùvdo-
bis pace et consensione mirabili Bonifa- P'X^" èv ourjpov fto/pa STttTavTr} hrf rifoixo-
cius ab Africa ad Italiam pervenit. » Xoyla TSapéhcoxe.
* Procope, De bello Vand., I, iv: Ti^é- ^ Procope, ibid.
piyps Si TÔTS Acnrapi re xal Bovi(pàTtov * « Pax necessaria magis quani utilis. »
p-à^T) viKTJcras, Tnpàvoiàv re èiiihei^àpsvos (Paul. Diacon. in Eutrop., XIV, p. 38o.) à^ijy-^oews à^tav, Tr)v evTV)(^lav œs p-àXialt * Isidorus Hispalensis , Chron. Vand. .
èKpxTwa'TO' ^ehas yàp , ^v xai axtGis eu te p. 783 : «Cui (Genserico) Valentinianus
Pci)(iï)s Kal Bv^avrlov al paras è-rc aitbv non valens subsistere pacem mittit , et par-
îot,... oùp^ oh evrjpéprjaev èirrjppévos, tem Africae quam Vandali possederant,
âXA' oîs éZeiae pérpios ysyovobs, cnrov- lanquam pacifico dédit, conditionibus ab
Sis iffpôs ^aaiXéa OùaXevrivtoLvdv -croisîTat eo sacramenti acceptis, ne quid ultra in-
è^ y es ëxaurlov éros hatrpoxis sk \i€vy}s vaderet. »
— 1>{ 48 )<<—
Cala, localité numide voisine (l'Hippone\ Cette dernière ville, toutefois, aussi bien que Cirta, appartenaient encore à l'em- pire. Le témoignage de Possidius est formel à cetégard^.
La paix n'était sincère ni d'un côté ni de l'autre : le 19 oc- tobre 439, Genséric, sans la dénoncer, s'emparait de Carthage et occupait la Zeugitane et la Byzacène ^
En 442, Valentinien, menacé par Attila, conclut un troi- sième traité avec les Vandales. 11 renonça définitivement aux provinces envahies et recouvra en échange les trois Mauréta- nies, ainsi que la plus grande partie de la Numidie''. La Tripo- litaine n'ayant pas cessé de lui appartenir, l'Afrique romaine se trouvait ainsi coupeé en deux tronçons par les possessions de Genséric.
La guerre éclate de nouveau en 455, après le meurtre de Valentinien'*. Les Vandales s'emparent de la Tripolitaine et des trois Maurétanies. De 455 à 459, ils occupent Malte et les îles africaines.
En 469, Héraclius reprend la Tripolitaine, mais les Van- dales la lui enlèvent de nouveau en 471, après la malheureuse expédition de Basiliscus (470).
L'Afrique était définitivement perdue pour l'empire et, par un dernier traité, conclu en 476, Zenon reconnut Genséric comme légitime possesseur de toute la contrée qui s'étend de la Cyrénaïque à l'Océan, ainsi que de la Sicile, de la Sar- daigne, de la Corse et des îles Baléares.
' Saint Augustin, De civitate Dei, Novell 2 i (aa juin M5) clSyfiSjuil-
XXII, V. Iet45i).
* Possidius, Vita S. August., c. xxviii. ' « Post cujus obitum totius Africae am-
* Marceilinus Illyr. , Chron., p. 4o, bilum oblinuitGensericus. • (Victor Vlten-
* Victor Vitensis , I , iv ; cf. Val. etTheod, sis , 1 , iv. )
§ 8. L'AFRIQUE PENDANT LA PERIODE BYZANTINE (53 4-647 )•
Reconquise par Bélisaire en 534, l'Afrique forma, sous le nom de Praejectura Africae, une des grandes circonscriptions administratives de l'empire. Une constitution datée de la même année la subdivisa en sept provinces, placées sous l'au- torité du préfet du prétoire d'Afrique ^ :
1 . Zeugitane [Zeugi, qiiae Proconsularis antea vocabatur),
1. C arthage (Carf/ia^o).
3. Byzacène [Byzacium).
à. Tripolitaine (7V«joo/w).
5. Numidie [Niimidia).
6. Maurétanie [Maaretania). y. Sardaigne [Sardinia).
Les quatre premières provinces sont gouvernées par des consulaires; les trois autres, par des Praesides.
Les pouvoirs militaires sont confiés à quatre Duces militum. Le Dux militum Tripolitanae provinciae doit résider à Leptis Magna; le Dux Byzacenae, alternativement à Capsa et à Lepti- minus^; le Dux Numidiae, à Constantine; le Dux Mauritaniae , à
' Cod. Just., lib. I, t. XXVII. De officia le nom romain ait été Lepte: tous les do-
Praefecti Praetorio Africae et de omni ejus~ cuments anciens , tous les textes épigra-
dem Dioceseos statu, S 2. phiques, donnent exclusivement la forme
^ Le texte porte in Capsa et altéra Lepte Telepte, TAe?epfe. Au point de vue du texte,
çivitatibas. Movers a supposé que cette d'autre part, il est évident que les mots
« seconde Leptis » était Theleple (Medinat altéra Lepte, suivant de si près le nom de
el-Kdima, à ^44 milles nord-nord-est de Leptis Magna, désignent «l'autre Leptis »,
Kaisaj.en se fondant sur la simple con- c'esl-à-dire la Petite Leplis. Au simple point
jecture que le nom romain de cetle ville, de vue du bon sens, enfin, il n'est pas ad-
dépouillé du préfixe libyen Ta ou Te, au- missible que le Dux de la Byzacène ait été
rait été Lepte. L'opinion de l'auteur des invité à résider alternativement dans deux
Phônizier ne nous parail pas soutenable. villes aussi voisines que Capsa et Tbelepte :
En admettant avec lui que le nom de Te- le changement de résidence ne s'explique
lepte, ou plus exactement Thelepte, soit un qu'autant qu'il vise Capsa et Leptiminus,
composé du mot phénicien lepte, et d'un c'est-à-dire les deux points extrêmes de la
préfixe libyen , on ne peut en conclure que province.
n. • 7
--«.( 50 )-^
Césarée^ Tous sont invités par l'empereur à ne négliger aucun effort pour rendre aux provinces africaines leurs limites pri- mitives : etfestinent die noctu(jue, Dei invocando auxilium et ddi- genter laborando, usquead illos fines provincîas africanas extendere , uhi ante invasionem Vandaloram et Maurorum res publica romana ■ fines habuerat, et uhi custodes anticjiii servabant , sicut ex claiisuris et bunjis ostenditur^.
Ces limites furent reconquises, en effet, mais au prix de san- glants efforts; de 568 à 670, trois préfets du prétoire furent tués à l'ennemi^. Les reconstructions byzantines qui couvrent la limite méridionale de la Numidie et des deux Maurétanies, les burgi qui s'échelonnent sur la lisière du Sahara, les clau- surae, longues murailles qui ferment tous les défilés de quelque importance au point de vue stratégique, prouvent que les instructions de Justinien furent exécutées à la lettre. Mais si les chefs militaires furent à la hauteur de leur tâche, l'admi- nistration civile manqua à la sienne. Opprimées par le plus abominable régime que l'Afrique eut encore subi , les popula- tions indigènes étaient prêtes à faire cause commune avec les ennemis du dehors, et lorsque les Arabes pénétrèrent dans l'Ifrikia, en 647, ils ne rencontrèrent de leur part aucune ré- sistance sérieuse. Les premiers succès des Musulmans ne s'ex- pliquent que par cette indifférence de la race libyenne, dont le réveil coûta si cher aux nouveaux venus. On sait aujourd'hui que l'Afrique, en cessant d'être Byzantine, ne devint pas Arabe: elle se retrouva Berbère, et il ne s'écoula pas moins de quatre siècles avant que la grande immigration hilalienne marquât rétablissement définitif de l'élément sémitique sur les côtes méridionales de la Méditerranée.
' Constitution du 1 3 •vril .S34 < S i . — ' ConstltutioQ du 1 3 avril 534 .Si. — ' Theo- dorus en 568, Theoclistus en 569, Amabilis on Ô70.
ir>{ 51 )^-+—
CHAPITRE II.
CHOROGRAPHIE.
Après avoir fixé les limites successives de la province d'Afrique aux différentes époques de son existence, il nous reste à préciser, autant que possible, l'emplacement des nom- breuses cités qui la peuplaient. Pour donner à nos investiga- tions la méthode qui a trop souvent fait défaut, jusqu'ici, à ce genre de recherches, nous nous astreindrons à prendre pour cadre le réseau des voies romaines. Nous analyserons toutes les routes indiquées par les itinéraires anciens, et nous placerons dans chacune des mailles de ce vaste filet les positions qui ne figurent pas dans les routiers impériaux, mais dont les textes ou les inscriptions permettent de déterminer la synonymie. Nous donnerons enfin dans un paragraphe spécial la liste de toutes les localités dont la correspondance est encore in- connue.
Deux documents antiques, d'un caractère fort différent, mais également précieux pour la géographie comparée, la Table de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin, nous font connaître la plu- part des routes militaires qui sillonnaient le monde romain et permettent, en ce qui concerne la province d'Afrique, d'en reconstituer en partie le réseau.
L'Itinéraire d'Antonin est un recueil de routes choisies, n'indiquant en général que les gîtes d'étapes, les mansiones que le voyageur rencontrait au bout de la journée de marche. Il omet un certain nombre de routes importantes et passe sous silence la plupart des stations intermédiaires [mutationes) . On peut le considérer comme un livret de postes, muet sur certaines
parties du réseau, très explicite pour d'autres, en ce sens qu'il offre parfois des variantes de la même route. La Table de Peu- linger est conçue à un tout autre point de vue. Elle est avant tout un itinerarium pictam, une carte descriptive en même temps qu'une carte routière. Elle trace le réseau général des routes militaires, elle nomme toutes les stations échelonnées sur la même voie, elle signale les temples, les thermes, les en- trepôts, elle dessine les principaux accidents du terrain, mon- tagnes, fleuves, lacs, sinuosités du littoral; elle indique enfin un certain nombre de divisions politiques ou ethnographiques. Ce n'est plus un simple recueil d'itinéraires, c'est une véritable carte reproduisant, aussi fidèlement que le permet le système de projection qu'elle adopte, la configuration et le détail topo- graphique du terrain.
Il résulte, des différences que nous signalons, que la Table de Peutinger est, pour l'ensemble de la province d'Afrique, le document le plus utile à consulter. C'est surtout d'après ses renseignements que nous pouvons reconstruire la carte pro- vinciale et reconstituer le réseau routier. Il y a lieu, toutefois, de distinguer à cet égard entre la Numidie et l'Afrique propre. Très complète pour la première de ces deux provinces, la Table de Peutinger présente, dans l'intérieur de la Byzacène et dans la région syrtique, deux lacunes que comble l'Itiné- raire d' Antonio. Les deux documents se complètent donc l'un l'autre, et Ton peut, en comparant leurs données numériques dans les parties communes, arriver à une certitude que, pris isolément, aucun des deux textes ne saurait donner.
Le système général des voies romaines dans la province d'Afrique se compose :
1° D'une route principale tracée le long des côtes, à laquelle se rattachent quelques routes secondaires, com^e/i(/ia, destinées
à établir des communications plus directes entre certaines sta- tions du littoral ;
2** D'un certain nombre de grandes roules intérieures, pa- rallèles à la voie du littoral, et auxquelles se rattachent égale- ment quelques compendia ou divertie ula;
3° De quelques routes transversales reliant entre elles les routes parallèles et complétant ainsi le réseau.
Cette classification s'impose d'elle-même pour la Numidie, où le littoral court de l'ouest à l'est; elle est moins facilement applicable à l'Afrique propre, où, par suite de la direction nord— sud que prend le littoral à partir du cap Bon, les voies sont à la fois parallèles et perpendiculaires aux côtes. Nous nous bornerons donc à les classer en routes du littoral et routes de fintérieur, en distinguant toutefois, parmi ces dernières, celles qui formaient la limite méridionale de la province.
ROUTES DU LITTORAL.
La capitale de la province d'Afrique a été, historique- ment, le point de départ de la grande route côtière, qui s'est prolongée, à mesure que s'étendait la domination romaine, à fouest jusqu'aux frontières de la Tingitane, à l'est jusqu'à Alexandrie d'Egypte. L'analyse de cette grande voie se par- tage donc naturellement en deux segments principaux, dont Carthage est l'origine commune. L'un s'arrête aux confins occidentaux de la Numidie; l'autre aboutit aux Autels des Philènes, limites traditionnelles de l'Afrique propre et de la Cyrénaïque.
PREMIER SEGMEM. DE CARTHAGE À L'AMSAGA,
$ 1. DE CARTHAGE X HIPPO RÉGIOS.
Nous donnerons, en tête de chaque route, le tableau des stations et des distances qui figurent dans les deux documents antiques, complété par deux colonnes indiquant les chiffres rectifiés ou suppléés et les synonymies modernes.
TABLE DE PEUTINGLR.
STATIOîlS.
Cabthaginb Colonu Gallvm Gallinatitm Fl. Baoamada
VnCA COLONIA
Membiome
TVNISA
Ippontb Diarito. . . .
Cabbaca
TvsrnA
Armoniacvm PL. . . .
VbVS PL
HlPPONK ReGIO ....
DinUnrM.
\v
vr II
VI X XX
1.x
XXIV
\v w
Chiffret
rectifies.
ITINERAIRE D'ANTONIN.
Carthaoine
AdGalltm Galliuacitm.
Vtica
Membro
Ttnbiza
HipPONB Zarito.
Tabbaca
TrwtA
Ad Dianam
Ditli
X
XX
I.X
XXIT
XV
HiPPONB RbSIO COLOIXIA.
ChiffrM rectifia.
STMOHYMIPJ.
Sabbelat es-Sahab-
tt-Taba, Oued Medjerda.
Bou-Ckdter.
Sidi-Ahmed-bou-Fo'
rès. Rtu el-Djebel.
Bentert,
Tahark:
Lu Colle.
RfÙMi du Djebel
bou-Fhai Oaed Mafrag.
Oued Setbottt (Sey- ^tottse). Bona.
Les deux routiers indiquent le même tracé, les mêmes sta- tions et les mêmes distances, sauf une différence de deux milles entre Ad Dianam et Hippo Regius. Les chiffres peuvent donc être considérés comme exacts.
La première station que nomment les deux itinéraires. Ad AdGallum Gallum Gallinaceum\ était sans doute une de ces hôtelleries, /eu^^rr^cTt tabemae, que l'administration impériale faisait construire sur et-Taba). les routes militaires en même temps que les postes fortifiés destinés à protéger les communications. Les voies stratégiques étaient en outre pourvues, en Afrique, de citernes, dont on retrouve les vestiges de distance en distance, sur toutes les grandes lignes^.
La voie romaine de Carthage à Ulique n'a pas laissé de traces, et son parcours, jusqu'à la station de Ad Gallum, est difficile à déterminer. La chaîne peu élevée, mais abrupte, du Djebel Ahmor, qui sépare la plaine de Carthage du bassin de la Me- djerda, est partagée en trois massifs par deux grandes dépres- sions qui peuvent servir de passage. La route arabe de Tunis
' GallumGallinacium^Rav. knon., Y, b. lova et qui date de l'an 6i de notre ère,
Gallo Gallinacio, ibid., III, 5. Gallum Gai- consacre le souvenir de la construction de
linaccium, Guido, lxxxvii. ces posles et de ces hôtelleries sur les
' L'inscription suivante , trouvée à Car- grandes routes de la Thrace :
DIVI-CLAVDI -F- G ER M- C AES A RI S- N- TI-CAESARIS-AVG PRON-DI VI-AVG-ABN. CAES AR-AVGGERM- PONTIFMAX-TRIB-POT-
V IIM M P-V II I-CO S-IIII
P P- TABERNAS'ET-PRAETORIA PERVIAS-MILITARES F I E R I • I V S S I TvP E R TIVLIVMVSTVM.PROC- P RO VI N C lAETHRAC-
~^{ 56 )^«—
i\ Benzert traverse la plus méridionale de ces deux gorges; l'autre défilé s'ouvre précisément à l'ouest de Carthage, entre Henchir Motlâa et Henchir Djâfeur', et débouche, comme le premier, dans la plaine d'Utique,à la hauteur de la Sabbèla du Sahab-et- Taba^. Située sur le versant occidental du Djebel Ahmor, au point où les deux routes se réunissent, la Sabbèla représente, d'après le calcul des distances, l'emplacement de la station de Ad Gallum Gallinaceum.
Les deux groupes de ruines qu'on remarque dans le voisi- nage, l'un à Henchir Makloub, à deux milles au nord-est de la Sabbèla, l'autre à El-Mélina, à un mille trois quarts au sud- sud-est du même point, ne se trouvent pas placés, par rapport à Utique et à Carthage, aux distances indiquées par les deux routiers.
Mannert identifie Ad Gallum au bourg de Gela, qui n'existe plus aujourd'hui et que je suppose être le Kasr Djella qu'Edrisi place sur le littoral à 4 milles au sud de l'embouchure de la Medjerda et à la même distance de Carthage. La direction que Mannert assigne à la voie romaine n'est pas admissible : il existe bien un chemin arabe conduisant de Tunis à Benzert par le littoral, mais cette piste n'est praticable qu'en été : aux pre- mières pluies d'hiver, l'ancien estuaire du Bagrada se transforme en une vaste fondrière, et la route antique le contournait en suivant le tracé qui passe par la Sabbèla.
' Le mot Henchir, ^iitJJKt, emprunté à plus usité, el il est devenu si général que,
la langue berbère, désigne, dans le dia- dans le langage familier, ■Hencliin et
lecte tunisien, une ferme, une terre culli- «vieille femme» sont synonymes,
vée; et comme les terres les plus fertiles * On donne le nom de sabbèla, dans la
sont toujours indiquées par des vestiges régence de Tunis, à des abreuvoirs con-
d'établissemcnts ontiqucs, ce même mot struits le long des routes et qui remplacent
signifie, par extension , un amas de ruines , les citernes du réseau routier romain, une ruine. Ce dernier sens est même le
--«.( 57 )<^-^
VArtia, que Lapie fait correspondre àAdGallum, a disparu, comme Gela ou Djella; elle ne figure plus, ni sur nos cartes, ni dans la nomenclature locale.
L'Itinéraire d'Anlonin évalue à i 2 milles le trajet de Ad Gallum Gallinaceum à Utique. Le chiffre vi, qu'on lit dans la Table de Peutinger entre ces deux stations, à droite et un peu au-dessous des mots FL • BAGAMADA, inscrits en dehors du littoral, ne représente donc que la distance qui séparait le Bagrada de Ad Gallum; le chiffre vi qui devait également se trouver entre le nom du fleuve et celui d'Utique a été omis parle copiste. La voie romaine franchissait donc le Bagrada à égale distance de Ad Gallum et d'Utique, au-dessous du point où le Djebel Gabeur-el-Djeheli projette, dans la direction du sud-sud-ouest, l'arête qui sépare le cours actuel de la Medjerda du lit qu'elle occupait à l'époque romaine. Ce point est déter- miné par les vestiges de ce lit et par la distance de 6 milles, implicitement indiquée par la Table entre Utique et le Bagrada.
Immédiatement au delà du fleuve, la voie romaine traversait l'arête dont le cours actuel de la Medjerda baigne le versant occidental, contournait le marais dont parle César et que forme encore l'Oued Menzel-el-Ghoul, passait devant le théâtre dont il est également question dans les Commentaires et pénétrait dans Utique par la porte voisine du port marchand.
D'après une tradition universellement acceptée, Utique pas- sait pour un des premiers établissements que les Phéniciens eussent formés sur la côte septentrionale de l'Afrique, et avait été fondée trois siècles avant Carthage :
Proxima Sidoniis Utica est effusa maniplis, Prisca situ, veteresque ante arces condita Byrsae.
La date de sa fondation, en réalité, est aussi incertaine
VTICA.
COLOMA IULIA AeLIA
Hadbiana
Adgusta Utjka
(Bou-Châter).
UPIllSIEniS !(«TtO!IAlE.
58 ).«—
pour nous que celle de Carthage, et nous ne connaissons même pas la signification exacte de son nom. Movers a rejeté avec raison l'explication qu'en a donnée Bochart : xp^ny A'tika, l'a ancienne», par o position à Carthage, la t ville nouvelle », Kart Hadacht ne^in nnn;il est évident que, si (jtiquea été fondée avant Carthage, elle portail dès ce moment le nom dans lequel on a voulu trouver depuis une antithèse. L'hypothèse qui tra- duit le nom d'Utique par Ni^^riy A'tika, «splendida, nobilis», paraît également suspecte. Movers a proposé nsnv A'tikah, « di- versorium, statio nautarum ' » ; Olshausen, p^ny Itouk, « colo- nia», du radical pnv, «translatus est^». Quant à la légende ariN Atag, qu'on lit sur les monnaies attribuées à Utique, elle désigne probablement une autre cité"\
Quelle que soit l'orthographe exacte du nom phénicien, les Grecs l'ont traduit par les mots ItOxi?*, OOt/xî;', OOT/xa^; les Latins, par la forme constante Utica^ , où la voyelle initiale reproduit la gutturale sémitique y.
Rattachée à Carthage parles liens d'une alliance qui sauve- gardait son autonomie*, Utique lui resta fidèle pendant l'expé- tion d'Agathocle et la première guerre punique^. Sa défection, à l'époque de la guerre des Mercenaires, eut pour résultat de modifier la nature du lien qui funissail à Fempire carthagi- nois : Polybe laisse entendre qu'elle eut, comme Hippo Diar-
' Die Phônizier, II, a* parlie, p. 5ia. * Stadiasm. maris magni, cxxvi.
* Bhein. Mus., i853, p. Sag. ' L'orthographe des inscriptions est ' MuWer,Numism. de l'ancienne Afrique , tantôt VTIK A (C. /. L. , 1181, ii8a,
I. II, p. 159; t. III, p. 70. Cf. Schrôder, ii83; Renier,/. ^4., 137). tantôt VTICA
Die Phôniziche Sprache , p. 1 35, note 11, (Renier, /. A., i33; Ephem. epiçjr., II,
et Lévy, Phôn. Wôrterb., p. 8. p. 389 , u' 334).
* Scylax , Periph ,111; Polybe , I , lxxv ; * Movers , Die Phônizier, t. II . p. 5 1 3 ; Ptolémée, IV, m. Polyhc. III, xxiv.
' Dio Cassius, XLI,xLi. * Polybe , I , lxxxii.
— ^j.( 59 )k-»—
rhytus, à accepter les dures conditions qu'il plut au vainqueur de lui imposera Vainement assiégée par Scipion pendant la seconde guerre punique ^ elle n'attendit pas le début de la troisième pour abandonner de nouveau la fortune de Car- thage : avant qu'une seule galère romaine eût pris la mer, elle envoya à Rome une députation chargée d'offrir son entière soumission^. Aussi, après la ruine de Carlhage, obtint-elle le titre de cité libre, un agrandissement de son territoire, dont les limites furent reportées, d'un côté, jusqu'à la banlieue de Car- tbage, de l'autre, jusqu'à Hippo Diarrhytus'^, et une organisa- tion autonome^.
Devenue le siège de l'administration de la province romaine^ jusqu'au moment où Carthage sortit de ses ruines, Utique re- çut probablement par une loi Julia le droit de latinité : c'est du moins le sens que Mommsen attache à la phrase dans la- quelle l'auteur du livre sur la guerre d'Afrique, en constatant l'attachement des Uticéens à la cause de César, l'explique par leur reconnaissance pour les privilèges que lepr avait assu- rés cette loi^. Huit ans après la défaite des Pompéiens, Utique reçut du fils adoptif de César le droit de cité romaine^
' Polybe, I, Lxxxviii : Où fii)v àXXà "aapcKrl paToirshsia-avres , ttj fièv Avvcov, T); 8é Bépxas, Ta^écos vvàyKaeras aùrovs àfiokoyias tsoiij(Ta,(Tdat , xaï haXvtreis eùho- HOV(iévixs K.ap)(r}hovioi5.
* Liv. , XXIX, XXXV; XXX, ni, v, vin. ' Liv. , Epit. XLIX : « Utica . . . prius-
quam ullae copiae innaves imponerenlur, legatos Romam misit se suaque omnia de~ dentés. «Cf. Polybe, XXXVI, i; Appien,
VIII, LXXV.
* Appien , VIII , cxxxv ; cf. C. 7. 1. , 1. 1 ,
200.
' Voir, sur le Conventus d'Utiquc , Caes. ,
De bello civili, II, xxxvi; Auct. helli Afr. , Lxviii; Tertullien, AdScapuh, m.
* Strabon, XVII, p. 832 : ûs âv pmjtpà- TToXis TOts Pcop.aiois Kal èp(ir}Trjpiov zrpos zàs èv AiSvrj ispi^eis.
' De bello Afric. , lxxxvii : « Superiore tempore M. Cato, quod ip Uticensibus propter beneficium legis Juliae parum suis parlibus praesidii esse existimaverat, ple- beminermemoppidoejecerat. » (Voir C./.L. vol. I, p. g8. Mommsen, Hist. rom., t. III , p. 535 de l'édition allemande.)
' Dion , X LIX , xvi ; cf. Pline , Hist. nat. , V, IV, 24.
--«.( 60 )<-*-- elle titre de Municipium lalinni UticenseK Sous le règne d'Ha- drien, elle demanda et obtint le titre de colonie romaine ^ et prit le titre de Colonia Jiilia Aelia Hadriana Augusta Utika^. Sévère lui accorda le droit italique\
Utique était encore la seconde ville de la province d'Afrique au II*' siècle de notre ère^ : mais, à partir de cette époque, ses ports paraissent s'être graduellement ensablés^, et Hadrumète ne tarda pas à lui enlever le rang et l'importance commer- ciale qu'elle avait longtemps conservés.
Les ruines d'Utique portent aujourd'hui le nom d'Henchir bou-Châter'^. Elles couvrent une colline à double sommet, do- minée elle-même par une hauteur qui se rattache à la chaîne
' L. Mûller, Numism., t. Il, p. 169 et
seq. Ses habitants étaient inscrits dans la tribu Quirina. {Ephem. epigr. , II, p. 389, n'334.)
' Aulu-GcUe, Noct. atlic. XIII, iv : « Divus Hadrianus in oratione quani de Itali-
' C. /. L..t. VIU, n8i :
censibus, unde ipse ortus fuit, in senalu habuil . . .mirari se ostendit, quod et ipsi Itaiicenses et quaedamiteiualia municipia antiqua, in quibus Uttcenses nominal, cum suis moribus iegibusque uti possent, in jus colonarium mutari pelivennt. »
L- ACCIO- IVLIANO. ASCLEPIANOC- V- COSCVR- REIP- VTIK ET- GALLONIAE- OCTAVIAE- MARCELLAE- C- F- EIVS- ET- ACCIAE HEVRESIDI- VENANTIO- CV q- ET ACCIAE- A S C L E P I A N I L L A E CASTOREAE- CV 1 ï FILIABVS- EORVM- COL* IVL' AEL' HADR- AVG- VTIK. PATRONIS- PERPETVIS- D- D- P- P-
Ibidem, 1 183 : spl( en(2i(^J<(ma) coi.{onia)
* Dig., 5o, i5,8, 11.
* Appien, Punie, lxxv : It^xi; le, >) A»€0»;s fxey hlrj fiera Vieipxïjiôvci "màXis, Xtfiévae re éypvaa. ei)ôp(iovs, xal alparo- Ttéiùiv xaTdyeijyàs Soo^iXcrp. Cf. Strabon, XVII, p. 83a : ^ hevrépa (isrà lHapxïjiàva TÛ (leyédei xai tû à^ifi^jxaTi.
* Le Stadiasmus maris magni (cxxvi) ronslatc déjà qu'elle n*a plus de port, mais seulement un mouillage : Xtpiéva ovx iX'^t, fllAXà oiXov i/^et iv^aXliov.
VTit{a).
' Grenville Temple et Pellissier ont voulu voir dans ce nom de Bou-Châter, f|u'il5 ont inexactement traduit par • Père (le rintelligcncc •, un souvenir de Caton. Le mot Châter, ainsi que le fait observer M. de Maltxan, désigne en réalité, dans la lùérarchie administrative tunisienne, un « Garde du palais •. Henchir boa-Ckâler signifie donc simplement • la forme du garde *.
— i->{ 61 )<^—
(le la rive gauche de la Medjerda. Baignée autrefois par la mer, la pointe d'Utique plonge aujourd'hui dans les marais qui couvrent la partie du golfe qu'ont envasée les alluvions du fleuve.
Une plate-forme d'un relief assez accusé, qui était autrefois une île, est située dans l'axe de cette pointe, dont elle n'est séparée que par une coupure de quarante mètres de largeur environ, sur trois cents mètres de longueur. Elle représente l'extrémité du promontoire primitif, isolée du continent, à l'époque de la fondation d'Utique, par un canal creusé dans le double dessein de créer à la colonie naissante un refuge inac- cessible et de lui donner un port parfaitement abrité. Un second port rectangulaire, creusé dans la rive même, paraît avoir été le Cothon primitif de la colonie sidonienne.
La citadelle occupait, au centre de la ville, la plus orientale des deux hauteurs dont nous avons parlé. L'amphithéâtre cou- ronne le second sommet, au delà duquel, du côté de l'ouest, on remarque tout un système de vastes citernes. La ville pro- prement dite avait la forme générale d'un rectangle allongé, dont les deux côtés nord-ouest et nord-est étaient baignés par la mer. Elle s'étageait sur les trois versants de l'extrémité de la petite chaîne dont nous avons parlé.
Tel est, dans leur ensemble, l'aspect des ruines d'Utique (pi. II); mais ces ruines méritent une étude particulière : elles nous oflVent, en effet, à côté de monuments de la meilleure époque de l'art romain, des vestiges bien caractérisés de l'ar- chitecture punique K
' D'après Dau\, qui a fait une étude massifs d'une grande densité, formés
spéciale de ce sujet, l'architecture liby- de pierres de petites dimensions, sans
phénicienne serait caractérisée, au point formes bien déterminées, prises en géné-
de vue des matériaux, par des blocages rai sur place, noyées et soigneusement
—«.( 62 ).«--
Ces débris sont ceux du port militaire et de l'édifice qui en occupait le centre, forteresse plutôt que palais, dont les ruines gigantesques, en partie debout, en partie couchées sur le sol, ont assez résisté à l'action destructive des siècles pour qu'il soit facile d'en reconstituer l'ensemble. Le pou inUitaire. Le port militaire, ainsi que nous l'avons dit, s'ouvrait au nord-ouest de la ville, à 35o mètres environ de la pointe occi- dentale de l'île. Comme ceux d'Hadrumète et deThapsus, il offre la forme d'un carré aux angles largement arrondis. Au centre du bassin, comme à Carthage, un îlot rattaché à l'un des quais par une langue de terre était occupé par un grand édifice, résidence du commandant des forces navales.
La superficie du bassin principal était de 4i»ooo mètres carrés; celle de l'îlot et de ses dépendances, de 8,010 mètres. La surface utilisable était donc de 3 3, 000 mètres carrés, ou trois hectares et un tiers (pi. III).
Sur trois côtés, à gauche, à droite et au fond, s'élevaient, sur
tassées dans un bain de mortier. Composé d'une chaux provenant de cette même pierre , le mortier ne se dislingue pas de la pierre à la cassure et offre la même cou- leur gris-brun, tandis que dans le blocage romain , beaucoup moins soigné , la pierre tranche par sa couleur d'un jaune plus ou moins foncé sur le blanc mat du mortier. La construction liby-phénicienne, d'autre part, se distingue par l'emploi exclusif du blocage. Les gros murs extérieurs ne sont que très rarement revêtus de parements en pierres de taille, et ces pierres sont presque toujours de pclitcs dimensions et de formes irrégulières. Les surfaces inté- rieures sont couvertes d'un simple crépi de nuirtier. Les voûtes ainsi que leiu's pieds-droits sont également construits en
blocage , avec ou sans arêtes, mais toujours sans voussoirs. Les angles sont largement arrondis et construits le plus souvent en quart de sphère.
Les murs extérieurs n'ont pas de mou- lures, si ce n'est parfois, lorsqu'ils sont d'une grande puissance, un boudin d'une forme grossière. En général , il v a absence complète d'ornements extérieurs. Les murs intérieurs, ainsi que les colonnes, sont enduits d'un stuc que recouvre une pein- ture d'ocre jaune. Ils présentent quelque- fois des moulures à formes molles et in- décises.
Le dernier truit caractéristique de cet art africain est une préférence marquée pour les courbes : les angles intérieurs et extérieurs sont presque toujours arrondis.
, 63 )k^^
des quais à fleur d'eau, deux rangées de cales ou magasins superposés, en retrait l'une sur l'autre. Le dessus des rangées inférieures, disposé en terrasses plates et dallées, formait éga- lement un quai élevé, à peu près au niveau des bas quartiers de la ville. La hauteur de l'étage inférieur des cales était de 7™, 20; celle de l'étage supérieur, de 5"\5o à 6 mètres. La pro- fondeur horizontale de ces mêmes cales était de 18 mètres; leur largeur, de 4'", 60 dans œuvre; l'épaisseur des murs de séparation, de o™,6o. Murs et voûtes sont construits en blo- cage; les murs ne paraissent pas avoir été crépis sur leurs faces. La façade sur champ des murs de séparation était, par excep- tion, décorée d'un revêtement en pierre de Malte, formant une sorte de pilastre uni, sans saillie ni moulure. Çà et là on re- marque dans ces murs des remaniements datant de l'époque romaine, caractérisés par des assises régulières faisant pare- ment. Une partie des voûtes pai*aît avoir été refaite à la même époque.
Un quai presque à Heur d'eau séparait les magasins infé- rieurs du bassina Le peu de profondeur et de largeur de ces magasins ne permet guère de supposer qu'ils aient été uti- lisés comme cales. Ils n'auraient pu abriter que des navires de très petites dimensions.
La hgne principale de ces cales ou magasins, celle qui for- mait le fond du port sur un développement de 2 19'", 20, d'un angle arrondi à l'autre, était interrompue au centre, en face de la taenia qui rattachait l'îlot de l'Amirauté au quai, par une coupure de 4i mètres. Cette coupure, toutefois, n'était prati-
' L'état de dégradation du port d'Utique pouvait ^re de 5 mètres. Elle était proba-
n a pas permis à Daux de s'assurer de la blement de 6 mètres, comme celle des
largeur de ces magasins. Quelques indices quais de l'Amirauté, parallèles à ceux du
lui avaient d'abord fait penser qu'elle port.
-^{ 64 )H^
quée que dans la rangée supérieure des magasins. Au-dessous régnait un épais massif de maçonnerie, dans l'épaisseur duquel était réservé un large escalier conduisant à la taenia. Ce mas- sif, ainsi que les quatre courbes arrondissant les angles du port, étaient revêtus extérieurement d'un parement en grandes pierres de taille, profilé d'une moulure simple en boudin, au- dessus de laquelle le parement s'élevait en retrait de 8 centi- mètres.
Le segment de la courbe des angles arrondis du bassin est de 26 mètres et donne par conséquent une flèche de 4"\oi. La hauteur de ce revêtement courbe, du quai à fleur d'eau jusqu'au dallage du quai supérieur, est de 7'", 20, dont 3"", i3 à partir de la moulure en boudin jusqu'au dallage. Un passage souterrain existait sous chacune des deux courbes du fond et établissait une communication avec l'arsenal. L'agencemenl des voûtes de ces deux passages ofl're un caractère tout parti- culier, et diffère complètement de la méthode par voussoirs de l'architecture