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JOHN M. KELLY LIBDADY
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from the Library Collection of Holy Redeemer Collège, Windsor
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L'APOCALYPSE DE JEAN
DU MKME AUTf:UU
Histoira du Canon de l'Ancien Testament (iSyo), i vol. in-8, a6o pages. Epuisé
Histoire du Canon du Nouveau Testament (1891),! vol.gr. in-8, 3o5 pages.. . Épuisé Histoire critique du texte et des versions de l'Ancien Testament {1892-1893), 2 vol.
iii-S Épuisé
Les Mythes babyloniens et les premiers chapitres de la Genèse (1901),! vol. gr. in-8,
MX-212 pages Epuisé
Études bibliques, troisième éil^lion (1908), i volume in-8, 240 pages 3 fr.
Les Évangiles synoptiques (1907-1908), 2 vol. gr. in-8, 1.014 et 818 pages... 3o fr.
L'Evangile et l'Église, quatrième édition (1908), i aoI. in-12, xxxiv-280 p.. Épuisé Autour d'un petit livre, deuxième édition (1904), i vol. in-12. xxxiv-
3oo pages Epuisé
Simples réflexions sur le décret du Saint-Office Lanienta'oiii sane exilu et sur
l'tncycliliue Pascendi doniiaici gregis, deuxième éilition (1908), i vol.
in-12, 3o7 page.i 3 fr.
Quiiqujs lettres sur des questions actuelles et sur des événements récents (1908),
I vol. in-12, 295 pages 3 fr.
La Religion d'Israël, deuxième édition (190S), i vol. in-12, 297 pages 3 i"r.
Leçon d'ouverture du cours d'Histoire des religions au Collège de France (1909), in-12,
43 puges o 75
Jésus et la Tradition évangélique (1910), i vol. in-12, 288 pages 3 fr.
A propos d'Histoire des Religions (191 1), i vol. in-12, 326 pages 3 fr.
L'Évangile selon Nlarc 1912;, 1 vol. in-12, 5o3 pages 5 fr.
Choses passées (191 3), i vol. in-12, x-398 pages 3 00
Guerre et Relgion, deuxième édition (1910), 1 voluuie in-12, 196 page.s... 2 5o
L'Épitre aux Galates (191G), i vol. in-12, -.^04 pages 2 5o
Mors et Vita, deuxième édition (1917), i vol. in-12, 90 pages i 5o
La R,ligi:n (1917). 1 vol. in-12, 3io pages 3 5o
La Paix des nations et la Religion de l'avenir (1919), ii\-i2, 3i pages . r-r i 20
De la D.sciplme intellecluelle 11919).! vol. in-12, 192 pages • 3 5o
Les Mystères païens et le Mystère chrétien (1919), i vol. gr. in-8, 368 pa^«es... Epuisé
Essai historique sur le Sacrifice (1920), i vol. gr. in-8, 552 pages 3o fr.
Les Actîs des Apôtres (1920), 1 vol.gr. in-8, 963 pages 5o fr.
L'î Ojattij-na Év:ngile, deuxième édition (1921). 1 vol in-s, Oo^ pages . 3o fr.
Les L'vres du Noj/eau Testament (i9'.^2), i \«d. gr. in-8, 714 pages 3o fr.
ALFRED LOISY
L'APOCALYPSE DE JEAN
PARIS
EMILE NOURRY, ÉDITEUR
62, Rue des Ecoles, 62
i9q3
Tous droits réservés pour tous pays
MLY REDEEMER UBRARY, WIND8OR
INTRODUCTION
L'Apocalypse est un livre unique en son genre dans le Nouveau Testament, et il est aussi bien, de tous les écrits dont ce recueil est formé, celui qui serait le plus déconcertant pour les hommes de nos jours, non seulement pour les non-croyants mais pour le commun des fidèles, si les uns comme les autres n'avaient pris le parti de l'ignorer. Ce n'est pas à dire (pie ce livre n'ait qu'une importance secondaire pour l'intelligence du christia- nisme primitif. Il en est, au contraire, un témoin des plus indis- pensables, car c'est celui qui peut être représente le plus fidè- lement l'aspect original de la nouvelle foi, un aspect qui bientôt s'est effacé au point que l'œuvre littéraire qui en perpétuait le souvenir a failli être exclue du recueil biblique. La raison par laquelle se justifie le présent commentaire est démontrer cette signification de l'Apocalypse par rapport au thristanisme nais- sant. Mais il convient d'exposer d'abord sommairement l'histoire de l'Apocalypse dans la tradition chrétienne, le travail critique sur l'Apocalypse, le contenu du livre et les particularités de sa composition, l'idée qui se peut maintenant prendre de ses sources, de son auteur et de son caractère, enfin les traits les plus notables de la forme littéraire et du langage qui lui sont propres.
§ I. — L'Apocalypse dans la tradition chrétienne
Nous avons dit ailleurs {Le quatrième Evangile^, 6-18. SS-Sq) la place qui revient à l'Apocalypse dans la bibliothèque johan- nique. Il nous est permis de passer rapidement sur le témoi-
6 l'apocalypse de .lEAN
moignage traditionnel et de nous arrêter un peu plus à l'histoire de l'exégèse.
Papias connaissait l'Apocalypse, mais on ne sait pas s'il en identifiait lauleur à l'apôtre Jean. Justin {Ttyph. 8i) fait cette identification sans hésiter. Irénée {Haer . V, 3o, 3) sait de plus que l'Apocalypse a été écrite vers la fin du règne de Domitien; mais, de son temps, Caius et d'autres adversaires du montanisme ne craignaient pas d'attribuer le livre à l'hérétique Cérinlhe; HippoLyte de Rome a réfuté Caius. Méliton de Sardes a écrit un livre sur l'Apocalypse (Eusèbe. H. e., IV, 26, 2), qu'il tenait certainement pour authentique et apostolique. Ainsi fait l'auteur du Canon dit de Muratori. Ni les défenseurs ni les adver- saires n'étaient en mesure de prouver historiquement leur opi- nion, et ils n'en n'avaient pas non plus le souci. Cependant l'esprit de l'Apocalypse répugne aux docteurs alexandrins ; Ori- gène allégorise, et l'évèque Denys (Eusèbe, //. e., VIII, 24-25), remarquant les différences essentielles des deux écrits, et s'avi- sant qu'Ephèse possède deux tombeaux dits de Jean, attribue l'un à Jean l'apôtre avec le quatrième évangile, l'autre à un autre Jean avec l'Apocalypse. Si l'Apocalypse n'était pas d'un apôtre, elle perdait son litre à la canonicilé. Denys est écouté en Orient, où le livre tombe en discrédit: Eusèbe le range parmi les livres contestés {H. e., III, 24, 18), et il s'oublie même une fois (//. e.,III, 25,4) à le qualifier d'apocryphe. Ainsi s'ex- plique-t-on que l'Apocalypse manque dans la version syriaque dite Peschito; elle manque aussi bien dans la version syriaque dite dePhiloxène,et Barhebraeus.au xiii siècle, attribue encore l'Apocalypse à Cérinthe ou à Jean l'Ancien. Mais 1 Occident lui était resté fidèle, et si Cyrille de Jérusalem, Théodore de Mopsueste, Théodoret, Chrysostome continuent de l'ignorer, Alexandrie lui revient avec Athanase, Didyme, Cyrille ; ainsi l'Apocalypse est restée dans le canon de l'Eglise orthodoxe, comme dans celui de l'Eglise latine.
Pétant ce qu'elle était, l'Apocalypse n'a pu conserver son cré- dit qu'à condition d'être de moins en moins comprise. Déjà Iré- née n'a pas le moindre sens du rapport historique de l'Apocalypse avec le temps où elle a |)aru ; il ne sait ce que signifie le chiflVe de la Bête (cf. Ilaer. V, 28,2) ; il pense que les quatre chérubins sont
INTRODUCTION
les quatre évangélisles {Haer. III ii, ii) ; mais il croil bonnement au règne de mille ans {Haer. V, 3o, 4; 32, ,'55). Hippoiyte suit les Iraces dirénée: mais il sait {In Dan.,i'^3,'î3) que le monde actuel doit durer six mille ans et que le Christ est né en l'an 55oo; au septième millénaire correspondra le règne de mille ans. Victorin de Peltau (martyr en 3o3) est le plus ancien commen- tateur cori nu de l'Apocalypse; il professait encorde millénarisme (jusqu'à présent le commentaire de Victorin n'était connu qu'en deux recensions expurgées ; Haussleiter a retrouvé l'œuvre primitive dans le Cod. OttoboniamisMi. 8288 A, et en a publié la conclusion, Theolog. Litteraturblatt, iHqS, p. 194 ss.) et il a for- mulé ce qu'on appelle la théorie de la récapitulation, c'est-à-dire qu'il considère les trois séries de fléaux, visions des sceaux, des trompettes, des coupes, comme constituant des descriptions paral- lèles et complémentaires, non comme une description unique de fléaux qui se succéderaient en trois étapes ; selon lui la Bète est Néron ressuscité, qui siégera en Antichrist juif; contrairement à la tradition commune, qui voit dans les deux témoins (Ap. xi) Hénoch et Elie, Victorin désigne Elle et Jérémie. Vers la tin du iv^ siècle l'inlerprétation spirituelle est inaugurée parle dona- tiste Ticonius (œuvre perdue, mais qu'ont exploitée les HomilLr in Apocaljysin conservées dans les œuvres de saint Augustin, révèque africain Primasius, l'espagnol Beatus de Libana, en 776, et Bède). Ticonius professe aussi la théorie de la récapitula- tion, mais il rompt décidément avec l'eschatologie réaliste et l'interprétation littérale, entendant que le règne de mille ans est le temps de l'Eglise, compris entre les deux avènements du (christ ; que les deux témoins sont l'Eglise qui enseigne avec les deux Testaments; que l'Apocalypse exprime les douleurs et les espérances de l'Eglise véritable, c'est-à-dire lEglise donaliste. Jérôme paraît hésitant entre l'interprétation réaliste et l'interpré- tation spirituelle {In. h., 1. XVIII, proœm.), mais il a expurgé du millénarisme le commentaire de Victorin, et personnellement il penche versTinlcrprctalion spitilucile (cf. Ep. LUI, S : « Apora- lypsis t«)t habct sacramcnla (juol verba »).
L'Eglise grecque n'a pas fourni de commentateur à l'Apoca- lypse avant André, évêque de Césarée en Gai)padoce (vers 5oo) : répertoire des opinions anciennes, qu'a repris et complété un
8 l'apocalypse de JEAN
aulre évèque de Césarée, Arétbas (commencement du x^ siècle). En Occident les commentateurs sont plus nombreux et suivent généralement la méthode de Ticonius et d'Augustin. {Civ,Dei, XX, 7-17). Ainsi fait Primasius ((in vi« siècle), qui relient cer- taines interprétations réalistes (par exemple, lidenlilicalion de la seconde bète, Ap. xiii, à Simon le Magicien) , de même Gas- siodore et l'auteur d'iiomélées conseï vées dans les œuvres d'Au- gustin, Apringius de Béja; Bède et Ambroise Ansperl (vers 770) suivent Primasius; Beatus compile Viclorin, Ticonius, Aprin- gius; Alcuin et Haymond d'Halberstadt résument Ambroise Anspert ; la Glossa ordinaria de Walafrid Strabon résume Ilaymon ; de la Glossa dépendent Anselme de Laon, Bruno d'Asti, Rupert de Deutz, Richard de Saint- Victor, Albert le Grand (le commentaire conservé dans les œuvres de Thomas d Aquin n'est pas de lui, et serait, d'après Bousset, une œuvre vaudoise), Hugues de Saint-Cher, Denys le Chartreux.
Mais l'Apocalypse était dès lors exploitée avec un intérêt plus passionné par les réformateurs de l'Eglise. Joachim de Floris (-J-1202), en son commentaire de l'Apocalypse, retrouve le règne de mille ans, marque à l'an 1260 la fin de l'ère du Nouveau Tes- tameul, l'apparition du Christ et l'avènement au règne de l'Es- prit, qui sera aussi bien le règne des moines, le temps de l'An- cien Testament ayant été le règne du Père, et celui du Nouveau Testament le règne du Fils. L'auteur, dans un exposé tout sco- lastique de forme, mêle ses vues originales à celles des com- menlateurs plus ancieus, qu'il connaît et exploite, et il recourt même au texte grec. Depuis longtemps la Bêle était l'Islam, et Joachim s'en tient à celte ex[)licalion ; mais il identitie la seconde bêtes aux patarins; l'Autichrist, dont la venue était proche, devait être vaincu par le Christ en personne. Ainsi l'abbé de Floris interprétait l'Apocalypse par rapport à 1 histoire de son temps. Les idées de Joachim, qui répondaient aux [Jréoccupations de l'époque, curent un grand rctcnlissement, et d'aulant {)lus que rapi)arilion des ordres mendiunis semblait juslilicr sa prophétie. Bientôt les franciscains spirituels font valoir ces idées contre la papauté. Pierre Jean Olivi (j- 1298), dans sa Postilla super Apo- calj-psi, renvoie à la (in des temps la n)anifestalion du (Christ, l'âge de l'Esprit ayant commencé avec la fondation de Tordre
INTRODUCTION 9
franciscain : la papauté, qui s'est prononcée comme les spiri- tuels, est un Anticlirist mystique, précurseurdu grand Antichrist, qui sera Frédéric II ressuscité, avec un pape simonia(|ue. Pour Ubeitiiio de Gasale {Arbor vitœ criicijixœ), la première Bête était Bonifacc VIII, la seconde Benoît XI. Nicolas de Lyra, qui commente l'Apocalypse en iSag, suit d'autres errements; il sait retrouver dans l'Apocalyse toute l'histoire de l'Eglise jusqu'à son temps. Wicief, qui a lu Joachim, se reprend à considérer la papauté comme l'Aûtichrisl. Luther, qui, par ailleurs, suit la même méthode que Nicolas de Lyra, voit dans les deux Bêtes le pape et l'empereur. Ainsi firent après lui et pendant longtem[)s les théologiens protestants, avec des variantes qui n'offrent plus maintenant qu'un médiocre intérêt de curiosité.
C'est par des commentateurs catholiques et jésuites que le bon sens a fait valoir ses droits et qu'une interprétation scientifique de l'Apocalypse a été inaugurée. Ribeira {2n sacr. Joh. Apoc. coni- mentarii, peu après i5;y8) s'inj^pire dirénée, Hippolyte, Vic- torin, et professe que l'auteur de l'Apocalypse a eu en vue seule- ment les faits de son temps et ceux des derniers temps. Louis d'Alcasar {Ve^tigatio arcani sensus in Apocalypsi, i6i4) mêle un peu d'allégorie à 1 interprétation hi-torique, mais il tâche d appli(juer la prophétie à la synagogue et à l'empire romain. Mariana (1619 se rapproche plus que les précédents du sens his- torique, et c'est lui qui a remis en rapport avec la vision de la Bête la croyance au retour de Néron ressuscité. Grotius (1644)1 abandonnant la polémique antipapiste, a suivi Alca- sar, en précisant un peu hardiment l'explication de certains traits; Hainmond (i658-i659 et son éditeur Jean le Clerc (itîgH) suivent Grotius. Bossuel (j6^88) a suivi Grotius et Alcasar, mais en s'arrangeanl de façon à retrouver dans l'Apocalypse lou'e l'histoire de 1 empire romain et de l Eglise chrétienne depuis le temps de Trajan jusqu'à la prise de Rome par Alaric.
L'exégèse fantaisiste qui savait extraire de l'Apocalypse toute l'histoire de l'Eglise continuait d'être cultivée en Angleterre par Mède {Clavis apocalyplica, 162^), qu'ont suivi d'autres commen- tateurs anglais, notamment Newton (i^Sa), en Hollande "Vitringa (Anacrisis Apocalypseos Joh. Ap., i^oS). En Allemagne la même méthode induisait Bengel (1740) ^ placer vers 1790 les temps
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(le l'Antichrist! et à marquer la fin du monde au i8 juin i836. Labadie (7 1674) el Spener (7 170.5) ont préparé dans le pié- tisme une sorte de résurrection du millénarisme iiUerprété spi- rituellement, et de nombreuses sectes, dans les pays protestants, ont fait ainsi de l'Apocalypse leur livre favori. Jusqu'à nos jours, tant chez les protestants que chez les catholiques, la méthode extravagante a eu des représentants : citons, pour l'Ang-ielerre EWiol. {IJonr apocalypticrf, 1801), Hunlingford {The Apocalypse, 1881) et AUbrd {The New Testament, iv, 2, '1S84), pourla France F. de Rougemonl {Lai^évélation de saint Jean, 1866) et Chauffard (catholique, L interprétation de l'Apocalj^pse, 1S66) ; pour l'Alle- magne, Hengstenberg (Die Offenbarung Johannis, i849-i85i). De Rougemont fixait la parousie à l'an 2 000 ; Alf'ord tenait encore la papauté pour la seconde Bête ; Hengstenberg estimait que les temps de Gog et Magog avaient commencé par l'avènement de la démagogie en 1848. Ce que l'exégèse catholique a pu four- nir de mieux en ces derniers temps est le commentaire du domi- nicain AUo 11921), où il y a grand étalage d'érudition et des prétentions à la critique scientifique. L'auteur estime que l'Apo- calvpse est de l'apôtre Jean, comme l'évangile; mais Jean aurait écrit l'Apocalypse pendant sa déportation; de là viendrait qu'elle se présente comme l'œuvre d'un « génie contrarié que les cir- constances extérieures ont contraint à livrera la publicité, pour ainsi dire, son brouillon »; le règne de nulle ans et « la première résurrection » (Ap. xx, 5) seraient la régénératioji spirituelle des croyants.
§ II. — Le travail critique sur l'Apocalypse
Cependant, au xvjir siècle, on a déjà recherché quelle était, au point de vue purement historique, la position prise par l'auteur de l'Apocalypse. Semler (depuis 176O)) montre que la [>rophétie est courue contre l'empire romain idolâtre. Corrodi (Krili.sche Geschichte des ('Jiiliaxmns, 1780) établit le rapport de l'Antichrlst avec Néron et voit dans les dix rois les rois parthes. De même Herrenschneidcr ( Tentamen Apitealypscos a capile ^ usqnr ad finrrn i /fnsfnin//af\ 1786) et Eichhorn (Comm . in
INTRODUCTION 11
Apoc. Jo.^ i"9i) ; tnais le dernier estime que, dans la pensée de l'auteur, ce ne sont qu'images. Le point de vue historique est nettement défini par Bleek (dans Theologische Zcitschrift, 1820 ; Vorlesungeri ûber die Apokalypse, éditées seulement en i8(32), EwaAd {Comment, in Apoc. Jo , 1828 ; Die johanneîschen Schrif- ten, II, 1802), Lûcke {Versiich einer volhtandigen Einleitung in die Offenbarung Joh.., 1882, 'i852), de WeUe (Erkidrung der Offenbariing Joh., 1848, 'i854- '1^62), Volkmar {Kommentar znr Offenbar.Joh., 1 8(32). Tous ces auteurs, admettant l'unité de l'Apocalypse et voyant que la conservation du temple y est pré- vue (Ap. XI, 1-2 , font composer le livre avant l'an jo . Dès 1837. Benary et Reuss professent que le chiffre de la Bête, QQQ, est tout simplement la valeur numérique des noms Néron César, écrits en lettres hébraïques. Gomme l'Apocalypse est en même temps replacée dans son genre littéraire (cf. Hilgenfeld, Die jûdische Apokalyptik, 1857), elle cesse d'être une énigme indéchiffrable et devient une source de premier ordre pour l'intelligence du christianisme primitif. Ainsi l'entendent Zeller {Vortrœge und Abhandlungen, \, i865), Hausrath (dans Schenkel, Bibel-Lexi- con, I, 1869), Schellenberg (Die Offenbnrung Joh., 1867), Man- chot {Die Offenb. Joh., 1869), Krenkel {Dcr Apostel Johannes, 1871), Beyschlag ( Z>i> Offenb. Joh., 1876).
Renan \L' Antéchrist, 1871) croyait pouvoir se prononcer en toute assurance sur la date de l'Apocalypse et il était disposé à en admettre rauthenlicité apostolique. On peut, pensait-il, déter- miner la date « à quelques jours près )), fin « janvier 69 », l'auteur ignorant peut-être encore la mort de Galba (i5 jan- vier 69) et prévoyant la restauration de Néron après la chute de celui-ci (op. cit., xxi, 355). Quanta l'auteur, « sirsyco 'Itoàwri^ du premier chapitre de l'Apocalypse est sincère, l'Apocalypse est... bien réellement de l'apôtre Jean» ; il est vrai que les apocalypses sont généralement pseudonymes ; mais ici le faux serait contemporain de l'auteur prétendu ; et a si lapôtre, en janvier 69, vivait en Asie, ou seulement y avait été, les quatre premiers chapitres sont incompréhensibles de la part d'un faus- saire » ; du reste, l'Apocalypse « respire une haine terrible contre Paul », et « le livre répond à merveille au caractère vio- lent et fanatique qui paraît avoir été celui de Jean » {op. cit..
12 l'apocalypse de .'EAN
xxvi-xxxi). Toutes ces précisions semblent aujourd'hui plus que risquées.
Ainsi raulhenlicilé joliannicinc du qualrièine évangile élait depuis longletnps battue en brèche, et celle de l'Apocalypse était encore admise par des critiques émancipés delà tradition. La plupart, depuis Semler. admettaient bien que l'évangile et l'Apocah pse ne pouvaient pas être de la même main ; mais Baur, Schwegler, Zeller, Krenkel, Renan attribuaient l'Apoca- lypse à Jean l'Apôtre, en lui refusant l'évangile; d'autres (Liicke, B!eek, Ewald, etc.) lui attribuaient l'évangile et lui refusaient l'Apocalypse; cpielques-uns de ceux ci (Bleek. Ewald), d'autres encore, qui estimaient que l'apôtre Jean u'avant rien écrit (par exemple, Keim), se montraient dis])osés à reconnaître comme auteur de l'Apocalypse Jean l'Ancien.
La solution à donner au problème de l'auteur parut bientôt compliquée de celle qu il fallait donner au problème de la com- position. Déjà Grotius admettait que l'apôtre Jean avait écrit la première partie du livre (i-xi) sous Claude, et la seconde sous Vespasien. Vogel {Commentationes VII de Apoc. Joannis. 1811- 1816) découpait l'Apocalypse en quatre morceaux (i, 1-8; i, 9-111, iv-xi, xii-xxii) que Jean l'Ancien aurait rasse:nblés. Bleek com- battit Vogel, tout en reconnaissant qu'une partie notable (iv-xi) avait été écrite avant jo {Theol. Zeit>ichrifl, 1822), et le reste après; mais plus tard (BeUrdg-e znr Erang-elienkritik, 1846; Studien iind Krit., i855). il abandonna lui-même cette opinion. La question de composition ne fut réellement soulevée que par Vœlter {Die Entstehang der Apok., 1882, '1880), qui l'a traitée en plusieurs écrits (outre l'ouvrage principal, déjà cité, Die Offeiihariin'g Joh. keliie iirsprnngUsch jiidischc Apok. , 1886, contre Vischer. Das Probleni der Apok.. i8()'3 ; aussi dans Tkeol. Tijdschri/l, 1891 ; Prot. Kirchenzeilaiig, 188G ; enfin Die Oj)en- bariing Johannls. 19^4)- Vœlter a plusieurs fois corrigé des opinions (jui n'étaient |)as très consistantes. Il suffit d'in(li(picr la position générale qu'il a prise d'abord (en i885) : l'Apoca- lypse est en son entier une ceuvre ch retienne ; un éciil fonda- mental (hr l'apôtre Jt'an aurait existé, com{)Osé sous Néron et [)ourvu, en (iS, d'un su|)|)l(''ment ; il aurait subi encore sous Ves- pasien. Trajan et Hadrien, les retouches et remaniements de
INTHODUCTION 13
trois éditeurs, en sorte qu'il n'aurait acquis sa. forme définitive que vers i4o (d'après Entstehung, "i885, écrit fondamental, I, 4"^ ; IV, IV, lo ; M, 1-17 ; VII, i-8 ; viii. i-i3 ; ix^ 1-21, xi, 14- 19 ; XIV, 1,3, 6, 'j, 14-20 ; xviii-xix, 10 ; supplément x-xi, i3 ; XIV, 8 ; XVII ; premières additions, xii, xix, ii-xxi, 8 ; deuxièmes, V, 11-14 ; VII, 9-1^ ; xii, Il ; XIII, xiv, 4. 5, 912 ; xv-xvi; xvii, i a ; XXI, 9-XX11, 5 ; xxii, 6, xix ; troisièmes, i i -3, ;7-8, 9-111, 22 ; V, 6 ft ; XIV, i3 -xvi, i5 ; xix, 10 b, i3 b ; xxii, 37 a, 12, i3, 16, 17, 20-21), En dernier lieu {Offenbarang, 1904), Vœlter admet deux sources, une apocahpse de Jean Marc, écrite sous Néron, (i, 4-6 ; iv-v, 10 ; vi-vii, 8 ; viii-ix ; xi, l4- 19 ; xiv, i-3, 6-j ; xviii-xix, 4 ■' xiv, 14-20 ; XIX, 5-io), et une apocalypse de Cé- rinthe, écrite au printemps de 70 (x, i-ii ; xvii, 1-18 ; xi, i-i3 ; XII, I 16 ; XV, 5 6, 8 ; xvi ; xix, ii-xxii, 6), un rédacteur sous Trajan (i, 7-8 ; v, 6, ii-i4;xii, 11, 18-xiii, 18 ; xiv, 4-5, 9-12 ; xv, 1-4, 7; XVI, 19 ; XVII, 14, 16-17 ; xxi, 14, 22-27, ^' ^^ 8, 9), et un autre sous Hadrien (i, i-3, 9-111, 22 ; xiv, i3 ; xvi, i5 ; xix, 10 ; XXII, 7, 10-20).
Weizsaecker, qui avait, avant Yœlter, suggéré Thypothèse de sources {Theolog . Literalurzeitung, 1882, pj). 78-79), estima {Dus apost. Zeitalter, 1886) que l'Apocalypse était l'œuvre d'un unique rédacteur qui s'était approprié divers fragments anté- rieurs, d'origine différente, du temps de Néron, vers 64-66 (vu, i-b), du commencement de la guerre juive (x-xi, i3), du moment où les chrétiens quittèrent Jérusalem (xii, 1-12), du temps de Vespasien (xiii), du règne de Domitien (xvii). Idée plus consistante que les découpages de Vœlter.
Tout autre est l'hypothèse de Yischev (Die Ojfenbarung Joh . , elne j'udische ADokalypse in christUcher Bearbeitung, mil einem Nachwort von A. Ilarnack, 1886); admettant l'unité du livre et pensant constater le caractère juif des chapitres xi-xii, Vischer déclara que l'Apocalypse était un livre juif, antérieur à l'an 70, qui avait été ensuite chrétiennement édile et interpolé. A l'auteur chrétien appartiendraient les premiers chapitres (i 111), 1 épilogue (xxii, 4"2i) et diverses additions dans le corps du livre (v, 9-14 *, vu, 9-1 7 ; xiii. 9-10 ; xiv, i-5, i2-i3 ; xv, 3 ; xvi, iT) ; XVII, 14 ; XIX, 9-10, II, i3 ; xx, 4-6 ; xxi, 5^ 8), sans comp- ter les retouches et additions plus menues, notamment celle du
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mot a agneau », partout où il se rencontre dans le corps du livre. Bien que le fondement de la thèse ne lût pas très solide et qu'elle lût trop systématiquement déduite, l'idée fit sensation et trouva crédit. Mais on ne pouvait pas s'arrêter en si beau chemin.
Lamème année, Weyland [Tlieol. Tijdschr., 1886; puis Omwer- klngs en Conipilatie-Hypofhesen toegepasL op de Apocalypse van Joli.. 1888) découvre deux sources juives, écrites en grec, une principale, de l'an 81 (1, 10, la-i;^, 19; iv-ix ; xi. 14-18; xv, 5 ; XVI, 1-^-20 ; xiv, l'f-^o; xvii-xix, 6 ; xxi, g-xxii.ii, i4-i5), et une secondaire, plus ancienne, du temps de Néron (x-xi, i3; xii, i-io, 12-18; XIII ; XIV, 6-11 ; xv, 24 ! ^^i- i^-i4' i^ ^ ^ï^' ^I" xxi-8), qui auraient été compilées par un rédacteur chrétien (iiii ; V, 6-14 ; XI, 19 ; XII, II, 17 c ; xiv, i-5, i2-i3 ; xv, i, 6-8 ; XVI, 1-17 a, ai ; xix, 7-10, i3 b ; xxii, î2-i3, 16-21). Pareillement, O.Hollzmann {Geschichte des Volkes Israël, H, 2, 1887, pp. 658- QQ'^) admet qu'une apocalypse juive, du temps de Néron, dans laquelle avait été incorporée une autre apocalypse (xiii ; xiv, 6-i3), du temps de Galigula, a été rééditée par un auteur chré- tien. Pfleiderer {Urchristenturn, 18S7) place l'apocalypse juive (iv-xxii,5) au temps de Vespasien, avec morceaux antérieurs à l'an 70 (xi, i-i3, xii), et deux rédacteurs chrétiens, l'un contem- porain de Domitien, et l'autre (auteur de i-iii, xxii, 6 21) sous Hadrien.
A. Sabatier {Revue de Théologie et de Philos., 1887 ; Les ori- gines littéraires et la composition de V Apocalypse de s. Jcan^ 1888) maintient que l'Apocalypse est, dans Tensemble, un livre chrétien où ont été introduits des morceaux d'origine juive (xi, i-i3; xii-xiii ; xiv, 6-20 ; xvi, i3-i4, 16 ; xvii-xix, 2 ; xix, ii-xx, 10; XXI, 9 ; XXII, 5). Même idée dans Scliœn (L'origine de l'Apocalypse de s. Jean, 1887), sauf que le nombre de.s morceaux juifs est notablement réduit (xi, i-i3; xii, 1-9 ; xiii; xviii). Bruston (Les origines de l'Apocalypse, 1888) ne voulait que des sources chrétiennes, mais il en admettait deux, l'une écrite en hébreu avant 68, sous Néron, l'autre écrite en grec sous Domitien, qui auraient clé combinées au commencement du second siècle par un rédacteur judéochrétien. Ménégoz (Annales de bibliographie t/iéologi(/ue,iHHS, pp. 4^-4 •^) voulait deux apo-
Introduction 15
calypses juives, avec un rédacteur chrétien (auteur de i-iii, xxii,
6-21).
Une hypothèse plus comi)iiquée a été suggérée par Spitta {Offenbariing des Johannes, 1889). Supposant, assez gratuite- ment, que les trois séries de sept sceaux, sept trompettes et sept coupes doivent procéder de trois sources difTérentes, cet auteur admet une apocalypse primitive qui aurait été écrite vers l'an 60 par Jean Marc (i, ^-Q, 9-19 ; ii-iii, sauf les conclusions de toutes les lettres ; iv-vi ; viii, i ; vu, ^-\'j ; xix, 9^, 10 ; xxn, 8, i3, i6a. l'j-i'èa, -lobii); une source juive du temps de Caligula (vu, 1-8; VIII, 2-ix ; X, la, ib, 3, 5-7 ; xi, i5, 19 ; xii, 18-xiii, 8, 11-18; XIV, lia, ^b-'j, 9, \Qb, lia; xvi, i3-i4, 16, 17 b-^o ;xix, ii-xx, 3, 8, i5 : XXI, i,b a, 6a) ; une autre apocalypse juive du temps de Pompée, 63 avant notre ère (x, ib, la, lo-ii ; xi, i-i3, i5, 17, 18 ; XIV, ï4-20 ; xv, 2-6, 8 ; xvi, 1-12, 17 a, 21 ; xvii, i-Qa ; XIX, 1-8 ; XXI, 9-XXII, 3a, i5) ; finalement un rédacteur chrétien qui aurait mis bout à bout ces documents moyennant de brèves sutures, et en les retouchant très légèrement (i, i-3, 7-8, 20 ; IV, I ; v, 5 &, 6 &, 8 ; vi, 16 ; ix, 9, i5 ft ; x, ^, i>b, 8 ^, 9 a ; xi, •jb,8b, 14-16; XII, 6,11 ; XIII, 9-10, 18 «, 3 a, 4 b, d b, y a; xiv, 2^-4a, 8, II ^-i3 ; xv, 1,7; xvi, i5 ; xvii, 6&-18; xix, 4>8^?, ga, 10; XX, 4-7; xxi, 2-4, 5^,6 &-8; XXII, 3/^-7,9, i^, i6b, iSb-^oa).
D'autres combinaisons ont été suggérées par P. W. Schraidt (Anmerkungen uber^ die Komposition der Offenharung Joli., 1891 ; sources juives formant le corps du livre; i-iii et xxii, 6-2!. appartenant au rédacteur chrétien); Erbes {Die Offenba- riing Johannis, 1891 ; écrit fondamental, de l'an 62, et petite apo- calypse, xii-xiii, 18; XIV, 9-12, du temps de Galigula, combinés et complétés par un rédacteur contemporain deDomitien, le tout judéochrétieu); Rauch [Die Offenbarang des Joh., iinlersiicht nach ihrer ZiisamnienseLzung iind die Zeit ihrer Entstehung, 1894 ; écrit fondamental juif, de l'an 62 — où étaient incorpo- rés cinq fragments, aussi juifs, plus anciens, dont deux du temps de Galigula et un de l'an 53 — christianisé sous Titus par un rédacteur qui mit en tète les lettres aux sept Eglises) ; Briggs (The Messiah ojthe Apostels, 1895 ; six apocalypses primitives ; Botes et Dragon sous Galigula, trompettes, sceaux, coupes, sous Galba, lettres entre Néron et Domitieu, le tout en hébreu, sauf
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les lettres ; de plus quatre éditions pour la réunion de ces documents, d'abord sceaux-trorapettes-coupes. puis les mêmes avec les lettres, ensuite avec Bêtes el Dragon, et annotation finale). J. Weiss {Die Offenbariing des Joh-. 1904) admit une apocalypse écrite vers la tin de lan ()o, en Asie, par un chré- tien du nom de Jean, probablement Jean-Marc (i, ^-G, 9-19 ; ii-vii ; IX ; XII 7 12 ; xiii, 11-18: xvi, i-5 ; xiv, 14-20, xx-xxi, 4 ; XXII, 3-5, 8-9), à laquelle un rédacteur contemporain de Domi. lien aurait ajusté une apocalypse juive, elle-même compilée d'oracles plus anciens, pendant le siège de Jérusalem (xi, i-i3; xii, 1-6, 14-17; ^l'i? 1-7 • xv-xix ; XXI, 9-27). Du reste, le rédac- teur aurait assez librement traité ses sources et fait œuvre d'écrivain, se considérant comme éditeur et interprète de pré- dictions dont il voyait venir raccomplissement. Le point de vue de J. Weiss est retenu encore par Heitmûiler {Die Schriften des N. T., IV*, i9i(). Voir Le quatrième Evangile' . 37).
L'unité de rédaction, reconnue par J. Weiss, et avant lui par Weizsa^cker, Sabalier, Scliœn, a été détendue en toute rigueur par certains critiques qui ont déclaré impossible et superflue la recherche des sources (Bovon, Reuss, Beyschlag, Hilgenfeld, Diisterdieck.B. Weiss, Zahn,et le commentateur anglais Swete, T/ie Apocahpse of St. John,ic)o6). D'autres ont renoncé seule- ment à dénombrer les sources et les rédactions, et tout en admet- tant l'unité du livre chrétien, ne se^sont pas défendu d'y recon- naître certains éléments antérieurs, juifs ou même chrétiens. Ainsi Harnack {Chrojiologie, I, 1897), Jûlicher {Einleitiing i.d.N. r. '1906;, Wrede {Die Entsti^hiing der Schriften d. iV. T. 1907), H. J. Holtzmann et W. Bauer(^/;rt/?/>-eZ/«m,^r/<?/e M. Offenbai'ung des Juhan/ies, 1908). Même un auteiir catholique, CAmes { L' Apocalypse devant la tradition et devant la critique, 1905), estime que le corps du livre (vi-xviii) est fait de docu- ments combinés et reliés par un travail de rédaction.
Wellhausen {Amdyse der OJfenbarung Johannis, 1907) admet (jue l'auteur, un prophète Jean, a écrit pendant la persécution de Domilien, mais qu'il a utilisé très souvent, en les retravaillant, des documents aniéricurs ; de plus l'éditeur du livre est à distin- guer de l'auteur. A l éditeur appartiendraient le titre préambule (1, 1-3) <-*t la conclusion xxii, 18-19; ; l'œuvre authentique com-
INTRODUCTION 17
mentîe avec l'adresse aux sept églises et la vision inaugurale (1,4-20) ; l'auteur se serait approprié les lettres,plus anciennes que le livre, en y faisant quelques additions (ii, 76, 10b, iib, ijb, 23- 28a ; III, 5, 10-12, ao2i) : il a, de tui-mèine, constrail 1 introduc- tion (iv-v) à la vision des sept sceaux (vi), dont le sixième acte (vi, 9-ii)a été protondémentrefondu,ainsi que Ja conclusion (viii, i-5),où s'accroche (par \iii,2, Sô-^) la vision des trompettes. L'in- termède (vii)est en partie fondé sur des sources antérieures (vu, i-8),en partie de l'auteur lui-même (vu, 9-17). La vision des trom- pettes (viii, 6 IX, XI, 14-19) est fondée sur une source particulière, parallèle à la vision des sceaux (la main du rédacteur est particu- lièrement sensible dans ix, i3-i5, 20-21, et la fin de la vision a été coupée après xi, i4) ; rinlerméde (x-xi, i3) a été construit sur des sources (reconnaissables dans x, i, 2/7 4 5 ^^- i~2, prédic- tion de zélote, conçue pendant le siège de Jérusalem ; 3, 7-Sa, 9-i3. où la source juive aurait mis en scène un seul prophète, second Jonas, prêchant à Rome . Ce sont fragments de sources juives qui apparaissent dans la vision de la Femme el du Dragon (xii, 16, et 7-9,13-14 étant morceaux parallèles, avec conclusion commune, iS-i^, jusqu'à : a avec les autres de sa descendance », — prédiction pharisienne, du même temps que xi, 1-2, et dont la fin a été coupée). Juif aussi, mais postérieur à la destruc- lion de Jérusalem est le fond de la vision qui devient (xiii) celle de la Bète-Néron-Antichrist et de son prophète Cxii, \u,i, moins ce qui regarde le Dragon, o'ja, 10, vision de la Bête-em- pire ; ii«, où la source aurait donné : « une image de la Bête », au lieu de : « une autre bête » ; 12, jusqu'à •< pour qu'ils adoreni la Bête » ; 16, depuis : « pour qu'ils prennent la marque » etc. ; 17). Les scènes de triomphe tjui viennent ensuite (xiv, i-5, 6-i3, 14- 20), mal liées entre elles et mal équilibrées en elles-mêmes, ne peuvent pas être d'une seule venue, mais les sources se dégagent mal de l'œuvre rédactionnelle. Un morceau d'apocalypse, dont n'auraient été utilisés que le commencement et la fin, se recon- naîtrait dans les premiers versets du chapitre xv(i 4» sauf la men- tion des (( vainqueurs de la Bêle, etc., dans 2, el dans 3, « et le cantique de l'Agneau »). La vision des coupes (xv, ô-xvi) serait empruntée comme celle des sceaux et des trompettes (la main du rédacteur se reconnaîtrait dans xvi, 2, fin de 0-7, i3-i6),
A. LoisY. — L'Apocalypse de Jean, 3
t8 l'apocalypse de JEAN
Deux sources, lune cerlainemenl, et l'autre probablement juive, la première du temps de Vespasien, laulre du lemps de Titus, auraient été rassemblées dans la vision de la grande Prostituée (xvii, 1-3 o, sauf le raccord avec la vision des coupes, mais on ne saurait dire à laquelle des deux sources ce préambule appar- tient : première source : x\i, 3 b. sauf les « dix cornes, 4 l>~j- sauf les « dix cornes », 10, explication des sept tètes ; deuxième source,xvn, ii-i3, 16, à partir de: « eux détestent la Prostituée », ij-ïS). De source juive est la description de la ruine de Baby- lone-Rome (xviii ; interpolations chrétiennes dans xviii, 20, (( les saints, les apôtres et les prophètes », et 24) ; la vision du Christ sur son cheval blanc (xix, 11-21) doit venir aussi de source, mais elle a été refondue par l'auteur (xix. 12 Z>, i3 b, peut-être i3 tout entier, seraient surcliarj^es) ; la description de la fin (xx, i-i5) serait également un morceau juif avec des addi- tions (liréliennes (xx, 4. sauf le premier membre de phrase et le dernier, 5-6, 10, 14- 15). La description de la nouvelle Jérusa- lem (xxi-xxii, 5) serait de l'auteur lui-même, s'inspirant d'Jsaïe et d'Ezéchiel ; et aussi l'épilogue (xxii, (>2i) sauf, la noie de l'é- diteur (icS-ig).
Si intéressante que soit cette analyse, et en elle-même, et si on la compare aux essais antérieurs, elle n'en laisse pas moins de côté une question tout aussi importante (jue celle des sources et qui était soulevée depuis assez longtemps, à savoir, l'origine même de la tradition apocalyptique, tradition mythique dont le point de départ est ailleurs que dans le strict monothéisme, et qui a eonlinuc de subir en son développement, jus(juedans noire livre chrétien, l'influence de la mythologie pa'ienne. Gunkel (Scliœpfnng und Chaos, 1894) fait passer avant la recherche des sources cl l'inUMprélalion par les faits contemporains la recherche dcsiradilionsui} Ihicjues.d'où procède l'imagerie des apocalypses; mais il a surtout étudié le mythe de la Femme et du Dragon, le conq)arant au vieux mythe babylonien de la créalion, sans tenir assez comple des inlennédiaircs (pii nécessairement se placent entre la vieille mythologie de Baby.oneet rapocalypli(|ue juive et chrétienne au premier siècle de. noire ère, ISur les pas de (nmkel et en allénuant certaines Ihèscs de celui ci, 15oussel. sans nier le lointain rapport avec la mylhologie de Babyloue, a inisislé j)rin-
INTRODUGTFON 19
cipalemenl sur l'exislence d'une tradition apocalyptique, dont il a étudié le développement en ce qui regarde la conception de r Antich risl ( DerA ntichrist in der JJeherlieferang des Jailentunis, des neiien Testaments und der alten Kirche, 1890). Le même auteur a commenté l'Apocalypse {Die Offenbariing Johannis, 1896. "1906) ; il fait sa part à la méihode de critique littéraire en relevant l existence de sources pour diverses parties {\ii, i 8, source juive ; xi. i 2, 3-i3, prédiction juive formulée au commen- cement du siège de Jérusalem, et morceau apocalyptique juif chré- tiennement adapté ; xii, adaptation chrétienne d'un mythe so- laire, que l'auteur de lApocalypse a trouvée déjà faite ;xiii serait fondé sur tradition plutôt que sur écrit, et, appliquant aux empe- reurs lesdix cornes, Bousset en infère que l'Apocalypse a été écrite au commencement du règne de Trajan ; xiv, 14-20, frag- ment apocalyptique, relatif au combat tinal des anges contre l'Antichrist ; xvn, fondé iur une source juive du temps de Ves- pasien ; xxi-xxii, 5, dch( rij)tion fondée sur tradition probable- ment écrite et juive). Depuis, Boli {Ans der Offenbariing Johan- nis, 1914) a essayé de montrer que les rapports de l'Apocalypse avec la mythologie pa'icnne étaient beaucoup plus étendus et plus immédiats que ne l'avaient supposé Gunkelet Bousset, c^.s rapports étant simplement avec la mythologie astrale, d'ori- gine babylonienne, alors très répandue dans le monde gréco- romain.
Le plus récent et, à certains égards, le plus complet des com- mentaires de l'Apocalypse, celui de Charles {T/ie Révélation of St, John, 1920), bien qu'appuyé sur une connaissance pro- fonde de la tradition apocalyptique, a continué plutôt, en la poussant jusqu'à ses dernières limites, l'application de la méthode d'analyselittéraire. L'Apocalypse aurait été écrite par un prophète Jean, qui ne serait ni l'apôtre ni l'Ancien, judéoclirétien émigré de Palestine en Asie, et qui ne savait pas bien le grec. Ce Jean composa son livre sous le règne de Domitîen ; il serait mort avant d'avoir mis au net la (in de l'ouviage (xx, /^-wu), qui au- rait été publié ensuite par un éditeur inintelligent. Jean avait uti- lisé des sources nombreuses, rédigées soit en grec soit en hébreu. Il avait écrit les sept lettres sous Vespasien, et il les réédita, comme première partie de son livre, en les conq)lélant. Deux
20 l'apocalypsk de je.\n
sources, dont on ne saurait dire si elles étaient rédigées en grec ou en hébreu, auraient élé exploitées pour la vision des cent «juaranle-qualre mille (vu, i-3, source juive ; vu, 4*8, source juive ou judcochréliene). Auraient existé en grec la source des visions concernant le temple et les deux témoins (xi, i-a, 3-i3. sauf 7, 8 bc-ga), fragments antérieurs à l'an ;7o;les deux sources de la vision concernant la Femme et le Dragon (xii, i-5. i3-i^. et [7, 10, 12; 6 et 11 étant de l'auteur, ainsi que certaines addi- tions dans 3, 5, 9, 10, i3, 17), écrites en hébreu avant l'an jo, mais que l'auteur aurait connues en traduction grecque, la pre- mière de ces deux sources juives représentant l'adaptation mes- sianique d'un mythe païen ; les deux sources de la vision con- cernant la ruine de Babylone-Rouie, écrites aussi en hébreu après lan jo, sous Vespasien etsousDomilien, mais (jue l'auteur aurait connues, pour la majeure partie, en grec(xvii, i c-2, 3 b-6, 7, 18, 8 10 ; xviii, 2-23 ; etxvii, 11, i2-i3, 17, 16, l'auteur ayant ajouté XVII, I, 14 ; XVIII, I, 20, 23/^-24 et certains éléments dans XVII. 3, 6, 8, 9, II). Auraient élé exploitées directement sur l'hébreu les trois sources de la vision concernant la Bêle et son auxiliaire, la première source (xm, i abri, 2, ^-'J a, îo) ayant été écrite certainement aux environs de l'an 70, et les deux autres (xiii, 3 c, 8, utilisée en version grecque dans xvii, 8; et XIII, II, 11 ab, i3-i^ ab, li^ ad, 17 «) probablement avant cette date, puis le tout adapté, par additions de l'auteur (xiii, i c, 3 tf/j, 6c, 7 h, 8 ^-9, 10 c, 12 bc, 14 ^-i5, i() be, ij b-iS). Une source hébraï(|ue aurait été peut-être aussi mise à contribution pour la vision des coupes (xv, 5-xvi). Cette distinction des sources hébraïques et grecques, uniquement fondée sur des particularités de langage, laisse une impression un peu confuse. Charles a étudié plus à fond que personne le langage de lApo- calypse, mais peut-èlre a-t-il mis dans cette discussion des sources (pichpie subtilité. On peut ciaindre aussi qu'il n ail ujalmené plus (|ue de raison l'éditeur de l'Apocalypse et qu'il n'ait nus (juehpie tcméiilé dans sa restitution des derniers chapitres (après XX, 3, il amène xxi, 9-xxii, 2, i4 i-^, 17, puis xx, 4-I' l XXI, 5<^/, '^ J, 5 />, 1-4 c ; XXII, 3-5 ; XXI, ha, G b-S ] \\u, j, 18//, i(), i3, 12. 10, S 9, io-ui ; Il et 18 Z>-i9seraient des inl(r[)olations), Il convient de citer, à raison de son esprit criticpie et de sa valeur
INTRODUCTION 21
littéraire, la traduction française qui a été publiée par P. L. Gou- choud {L Apocalypse^ 1922).
A moins d'imprévoyables découvertes, le dernier mot ne sera jamais dit sur la composition de 1 Apocalypse. Il paraît du moins certain que l'auteur n'a pas été un simple compilateur, bien que la substance de son livre lui ait été fournie en majeure partie par une tradition qui avait grandi dans le judaïsme et qui était re- présentée par de nombreux écrits quand ce prophète chrétien l'interpréta, pour l'encouragement de ses frères, au temps de Domitien. L'Évangile même procédait de celte tradition et se l'était assimilée. L'utilisation d'écrits juifs dans l'Apocalypse de Jean n'a rien de plus extraordinaire que l'utilisation du livre juif des Deux voies dans la Didachéet dans l'épitre dite de Bar- nabe. Ce qui importerait le plus serait de déterminer l'origine et le caractère de cette tradition, ainsi que les particularités de son adaptation chrétienne.
§ IlL — La composition de l'Apocalypse
On s'accorde à reconnaître l'unité de style qui règne d'un bout à l'autre de l'Apocalypse (cependant Charles distingue du style de l'auteur le style de l'éditeur, dont le grec serait meilleur). La plupart des commentateurs admettent l'existence d'un plan régulier, les sept lettres, les sept sceaux, les sept trompettes, les sept coupes marquani dans le livre une division assez nette et comme les étapes du drame eschatologique, à partir de l'état présent des communautés jusqu'à la tin du monde actuel et l'orga- nisation d'un monde nouveau. Mais, si le cadre est suffisamment tracé, les scènes qui s'y déroulentne sont pas toujours bien liées entre elles ni équilibrées dans leur propre structure . Les doublets ne manquent pas, ni les surcharges, ni les anticipations. C'est sur les incohérences du fond et de la rédaction que la plupart des critiques ont fondé leurs hypothèses touchant les sources ou traditions qui ont été incorporées dans notre livre. Enfin l'arti- fice par lequel le septième sceau recouvre en quelque façon les sept trompettes, la septième trompette les sept coupes, la sep- tième coupe les événements delà fin, qui amènent le règne du
22 1. APOCALYPSE DE JEAN
Christ et le règne de Dieu^ trahit la combinaison rédactionnelle liicn plus qu'il ne réalise rencliaînemenldes faits. A dire le vrai, l'unité de rApocalypse ne laisse pas d'èlre passablement super- licielle et chaotique.
Le prologue (i, i-3) d'abord paraît éditorial ; il double la îresse aux sept communautés, et l'insistance qu'on met à faire valoir « le témoignage » de Jean ne rap[)elle que trop la n:ême préoccupation du témoignage dans les pariies secon- daires dti quatrième évangile (Jn. xix, 35 ; xxi, 24) et dans les épilres (I Jn. i. i, 3 ; III Jn, 12). Ce qui y est dit du lecteur (I, 3) concerne le livre déjà fait, et, à supposer que le total des béatitudes ait été voulu, l inégalité de leur distribution dans le livre (i, 3 ; xiv, i3 ; xvi. i5 ; xi\, 9 ; xx, 6 ; xxii, 7, i^) tendrait à prouver, non que le prologue doive être attribué à l'auteur (Charles, I, 24) mais que le chiffre des sept béatitudes a été visé seulement et réalisé par l'éditeur,
Une première partie du livre est formée par l'adresse aux communautés (i, 4"^), l^^ vision inaugurale (i, 9-20) et les sept lettres (ii-iii). Le rapport de celte partie avec le corps du livre pourrait sembler artificiel, la prophétie, dans son ensendjle, concernant tous les chrétiens et l'avenir du genre humain. Mais l'autcnr écrit d'abord à sept communautés parce qu'il lui a [)lu d'en désigner nommément sept, et que, dans tout le livre, il opcie avec des sept. H existait alors plus de sept communau- tés chrétiennes dans la province d'Asie ; les sept représentent toutes les communautés, et d'abord celles d'Asie, auxquelles l'auteur s'adresse immédiatement parce qu'il vit au milieu d'elles. Pliisieiirs. ainsi (ju'on l'a pu voir, admettent (pie les lettres ont été écrites avant l'Apocalypse, et de là viendrait le caractère j>arli(;nlier de ((Mie premièie partie. Mais la vision inaugurale, si étroitement liée aux se|)l lettres, ne laisse pas (1 être coordonnée à renscnd)le du livre . A moins (|ue les lettres ne contiennent des mar(pies évidentes de priorité, il est plus indifjué d'admettre (pie l'autcîur. voulant faire précéder d'une instruction morale la révélation de l'avenir, aura partagé sa moralité entre sept coiMMiunautés, comme il allait présenter les maux de la lin en trois séries de S(^pl Iléaux. Les lettres sont comme encadrées dans la vision inaugurale et ne signilient
INTRODUCTION 23
presque rien si on veut les dégager de tout ce qui les y rat- tache. ■
L'adresse pourrait n'être pas exempte de surcharges. Il semble du moins que l'annonce de la parousie et surtout la déclaration de l'Eternel ([, 7-8), glissées entre l'adresse propre- ment dite et la vision inaugurale, soient de remplissage rédac- tionnel. On a suspecté aussi, mais probablement à tort, la men- tion des sept esprits (i, 4\ entre Dieu et le Christ, dans la for- mule de salutation.
Dans la vision inaugurale (i, 9-20), on n'a guère suspecté que la conclusion (i, 19-20), surtout l'explication des sept astres et des sept candélabres (i, 20). Cependant l'explication paraît si étroitement coordonnée à la mention des sept astres et des sept candélabres dans la description même, que le trait et son expli- cateur sont plutôt à considérer comme étant de la même main. Quant à l'ordre (i, 19) d'écrire ce que vient d'être vu, c'est-à-dire le Christ au milieu des sept candélabres, avec les sept astres dans sa main, et ce qui est, l'état des communautés apprécié dans les sept lettres, et ce qui doit arriver ensuite, c'est-à-dire le corps des révélations qui viennent après les sept lettres, force est d'y reconnaître une division du livre aussi peu équi- librée que le livre même et qui appartient à son auteur princi- pal.La vision elle-même, faite d'emprunts bibliques et pénétrée de mythologie solaire, n'est pas très originale. Ajoutons que la notice (i, 9) : u Je lus en l'île appelée Patmos, pour la parole de Dieu et le téuioignage de Jésus », a bien plus de chance d'être éditoriale que l'explication des sept astres et des sept candé- labres. Dans l'ensemble, la vision inaugurale présente le mélange de symbolisme astral, chrislologique et ecclésiastique, par lequel est caractérisé Iç livre tout entier.
Avant de développer sa révélation eschatologique, l'auteur a voulu donner aux communautés une instruction morale en rap- port avec leur situation actuelle devant le prochain avenir. Apparemment destinées aux sept communautés, les sept lettres concernent 1 Eglise entière, puis(jue le nombre sept figure l'uni- versalité, que les sept lettres sont pour l'instruction de toutes les communautés, qu'elles sont, quant à la forme, toutes taillées sur le même patron, l'objet particulier de chacune se définissant le
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plus souvent d'une manière assez vague. Ces lettres sont dans le plus étroit rapport avec la vision inaugurale, l'adresse de chaque lettre laisanl valoir unirait spécial de la vision. La lettre même cht comprise en révélation que le Christ envoie par son prophète à la communauté qu'elle concerne. Autre chose pourtant est d'attribuer les lettres à l'auteur principal, et autre chose est de n'y admettre aucune relouche éditoriale. On a fait valoir la dua- lité de perspective qui se remar(|uerait en ce que les admoni- tions, dans le corps des lettres, feraient abstraction de la fin immi nente, et que les conclusions, ap[)arlenant à l'encadrement rédac- lionuel. viseraient le prochain avènement du Christ. Mais cette dualité pourrait bien résulter en partie, si ce n'est eu totalité, de l'artifice [)ar le<piel 1 anlcur a voulu donner une leçon morale en même temps qu'une révélation eschatologique. et instruire toute l'Eglise eu ayant l'air de redresser les abus particuliers à telle communauté. Les leçons morales sont pratiquement nécessaires, quoique, théoriquement, l'imminence de la fin les rende superflues, ou bien n'en réclame qu'une seule : la conver- sion complète et imuiédiate. A vouloir dégager de ces lettres un fond de correspondance réelle, on finirait par n'y plus rien trouverde consistant II est défait que lapromesse auvainqueur, à la fin de toutes les lettres, se trouve tantôt avant, tantôt après l'avertissement : « Qui a oreilles entende ce que l'Esprit dit aux communautés )),et qu'on pourrait voirlà un indice de surcharge. Mais l'avertissement même plaide contre la destination spéciale des lettres, et devrait être aussi bien considéré comme rédaction- nel. Ainsi ranomalie qui se remaïque dans la disposition de la promesse cl de l'averlissement n'est plutôt qu'une négligence soit de In rédaction soit de la transcription.
Le style symbolique et »nysli(pie de l'auteur fait quon ne |ieiil tirer grande lumière de ce qu'il dit touchant l'état spécial des comnmnautés que concernent les lettres. Ephèse est louée de n'avoir pas écoulé certains faux apôtres (it, 2), qui semblent ensuite (11, (>) identifiés aux Nicolaïies. Mais ri'ientitication pourrait sembler surajoutée;, et d'ailleirs le nom de Nicolaïtes ne nous apprend rien. Smyrne aurait [)ar<ill('menl connu ces niaitrcsd erreur, ici (jualilics île faux Jnds (11, ;)); mais onnéglige (le nous dircconunent la communauté les a traités. Les mêmes
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se retrouvent encore à Pergame, comparés à Balaam(ii, i4), et, s'il fallait prendre l'auteur à la lettre, on devrait voir en eux les tenants d'une gnose paganisante et relâchée ; ridentitication aux NicoIaïtes(ii, i5) se présente dans les mêmes conditions que pour ceux d'Ephèse, et pourrait être aussi inlerprétée en sur- charge. A la même catégorie, si elle n'en est pas la personnifi- cation, appartient la tausse prophélesse Jézabel. ([ui scandalise la communauté de Thyalire ; mais il est dit assez clairement que les hérétiques vont être accablés d'une grande Iribulalion, et que les vrais fidèles n'ont (ju'à persévérer pour être sauvés dans la parousie prochaine. On ne saurait dire si c'est encore le même péril qui est dénoncé pour Sardes, à mots couverts (m, 1-3). Philadelphie connaît ces faux Juifs, n)ais ne se lais- sera pas séduire (m, 9). On peut se demander si la tiédeur (jui est si véhéuientetnent reprochée à Laodicée (m, i5, 17) ne leur serait pas imputable. Quels (^ue soient ces hérétiques, — à cer- tains indices (11, 1, 9, 14, 20, 24 ; ni, 9), on pourrait les prendre pour des sectateurs, attardés et exagérés, de Paul, — il est évident que l'auteur les regarde et conune le danger présent de l'Eglise, et comme une sorte de fléau préliminaire à ceux de la fin. C'est le point de vue des épîtres pastorales et des épîtres catholiques, mais moins accusé et moins défini ; les hérétiques menacent encore du dedans l'Eglise, non du dehors, et s'ils sont, en quelque façon, les précurseurs, ils ne sont pas encore la monnaie de l'Antichrist, comme le diront les épîtres johan- niques.
Une seconde partie de l'œuvre est constituée par la vision du livre aux sept sceaux, qui comporte la mise en scène la plus solennelle, le prophète, ravi au ciel, étant admis à contempler Dieu sur son trône, entouré des sept esprits, des vingt-quatre vieillards et des quatre chérubins (iv), puis le livre aux sept sceaux, le livre du destin, et le Christ Agneau de Dieu, qui seul peut rompre les sceaux pour l'accomplissement des volontés divines (v). L'ouverture des six premiers sceaux a lieu ensuite sans grand développement (vi), le septième sceau étant réservé comme introduction aux sept trompettes. Cette première phase du drame eschatologique est assez bien liée, mais tant s en faut que le contenu en soit parfaitement homogène.
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L'arlilicc de hi transition (iv, 1-2 a) est sensible entre la vision des lettres et la description du trône de Dieu. Cette description s'insjure surtout d'il^zéchiel. Les vingt-quatre vieillards, dont la mention se présente comme une surcharge rédactionnelle, sont des personniticalions astrales ; mais ils arrivent trop tôt (iv, 4) dans la description et doublent les quatre chérubins (iv, 6). On regarde volontiers comme une glose l'explication des sept lampes (iv, 5/^) ; mais les sept lampes elles-mêmes font sur- charge et doublet à l'égard de la mer cristalline. Il est à noter que les quatre chérubins, les quatre « animés » ou « vivants » ne sont pas, comme dans Ezéchiel (i, 22, 26), sous le trône, mais autour, cl (|ue chacun ne réunit pas non plus les quatre formes de lion, taureau, homme, aigle ; il se trouve que celle représentation plus simple correspond mieux au caractère de ces quatre, qui représentent originairement les principales cons- tellations du zodiaque. En ce point notre auteur dépend de la tradition astrologique et non d'Ezécliiel. On n'est pas étonné de trouver, à la tin, que la louange des vingt-quatre vieillards (iv, 9, II) double et surplombe celles des chérubins (iv, 8), ins- pirée d'isaïe (vi, 3). Il semblerait donc que, pour ce premier tableau, notre auteur a utilisé une description toute faite, qu'il a complétée d'après la tradition astrologique sur laquelle repo- sait déjà cette description même.
C'est de la tradition mythologi(iue la plus ancienne que pro- viennent les éléments essentiels de la description suivante : la présentation du livre du destin et la remise de ce livre à un être divin, seul qualifié entre tous pour en gouverner l'exécu- lion. Mais notre [irophclc n'a pas puisé directement dans la tradition mylhologi<pie ; il a du trouver dans la tradition apoca- lvpli<pie une application du mythe à l'espérance juive. Il serait naturel que le livre aux sept sceaux contint toute la révéla- lion de l'avenir. Gomme il n'en est pas ainsi dans notre apoca- lypse, c'est que la vision du livre aux sept sceaux représente une source, un thème complet d apocalypse, dont notre auteur ne se sera [»as conlenlé, pniscpi'il en fait seulement le premie!- acte de son drame, ou. si l'on veut, la première partie de sa somme eschalologi(|uc. Aussi bien, pour l;i majeure partie de celte vision, a-t-il dû modifier l'économie de la source dont il
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s'agit, l'Agneau immolé n'étant pas le Messie de la tradition apocalyptique. Son tableau (v) ne manque pas d'unité, parce qu'il l'a construit lui-même (sauf les gloses ex[)licatives-des sept yeux, V, (), et des parfums, v, 8, qui ont été surajoutées).
Suit la rupture des six premiers sceaux, répartis en deux séries, de quatre et deux. La première série (vi, i 8), est, du moins en apparence plus logiquement équilibrée que la seconde (vi.g-i^). Les quatre chérubins prononcent l'un après l'autre un appel auquel répondent dans le même ordre quatre chevaux mon- tés, le premier étant un cheval blanc, le second un cheval rouge, le troisième un cheval noir, le quatrième un cheval jaune. Le deuxième cavalier amène la guerre, le troisième lu famine, le quatrième la peste. Plus difficile à discerner est le rôle du premier, qui est pi ésenlé simplement comme un vainqueur. Dans Zacharie (i, 8 ii ; vi, i-8) des chevaux de quatre couleurs diffé- rentes figurent les quatre vents ; et comme, d'autre part, nos quatre chevaux sont respectivement en rap[)orl avec les (piatre chérubins, il est vraisemblable que notre vision, ou plutôt la source d'après lacjuelle notre auteur l'a conçue, était coordonnée à une table de pronostics où tel fléau était prévu pour l'année sur laquelle dominaient lel signe zodiacal et tel vent; le fléau cor- respondant au premier cavalier, à l'année gouvernée par le signe du Lion et le vent d'ouest, était l'invasion des fauves, que notre auteur a mentionnée seulement dans la récapitulation finale, parce qu'il avait changé la signification du premier cavalier, (^elui-ci paraît bien n'annoncer point un fléau mais le triomphe spirituel de l'Evangile. Mènie incohérence pour les deux der- niers sceaux, la rupture du cinquième n'annonçant point une calamité mais marquant une sorte d'intermède où figurent les martyrs chrétiens (vi, 9-1 1), tandis que la rupture du dixième annonce un bouleversement général (vi, 12 17), que semblerait devoir suivre immédiatement la parousie, comme elle le suit dans l'apocalypse synoptique^ où les fléaux qu'annoncent ici les trois derniers cavaliers sont « le commencement des dou- leurs ». Cette chaîne de fléaux, dans l'application (juien est faite par notre auteur, n'est qu'une première série de calamités par lesquelles semble aflecté l'ensemble du genre humain. Au fond les fléaux des trompettes et ceux des coupes sont parallèles ù ceux
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qu'on vientde voirCWELLHAUSEN, ii), bienqu'ilssoienl présentés comme leur faisant suite ; c'est la même matière traditionnelle exploitée sous trois formes différentes.
Entre le sixième sceau et le septième se place un intermède (vn) où il est encore question de sceau, mais non plus par rap- port au livre et aux tléaux : il s'agit du sceau de Dieu, dont tousses élus doivent être marques successivement avant qu'arrive la tîn. Ce qui se lit des ang-es préposés aux vents des quatre coins de la terre, et invités à contenir ces vents pour que les fléaux de la tin n'arrivent pas avant que le recrutement des élus soit accom- pli (vu, 1-3), et la liste même des élus, apparemment recrutés dans les douze tribus Israélites (vu, ^-8)^ proviennent de tradi- tion et proI)al)lement de source juives, notre auteur interpré- tant chrétiennement et au spirituel ces données déjà symbo- liques. Les cent quarante-quatre mille élus d'Israël deviennent la foule innombrable des croyants recrutés chez tous les peuples, et dont le prophète voit par anticipation le triomphe dans le ciel (vu, 9-17). Sans cet étalage de vision, l'apocalypse synoptique avait eu soin de placer, entre le commencement et la consommation des douleurs, la prédication de TEvangile dans tout l'univers (Sic. xiii, 10 ; jMt. xxiv, i4), mais par une sorte d'interpolation dans le cadre traditionnel, comme il arrive ici pour la présente vision, qui a pris dans notre livre un sens assez différent de celui qu'elle avait dans la source juive.
Survient l'ouverture du septième sceau, mais pour introduire la vision des trompettes, non la consommation des choses et l'avè- nement du Messie. Le préambule de la consommation paraît s'être conservé (dans viii, i, 3 a, 5); notre rédacteur y a sus- pendu la vision des sept anges avec les sept trompettes (viii, 2,()), autre série de fléaux tpii arrivent en exaucement des prières faites par les sainls et offeiles avec des parfums sur l'autel céleste (vin. 3 b-f\). De la septième trompette l'auteur a disposé comme da septième sceau, pour introduire plus o»i moins direc- tement une autre série de sept fléaux, les fléaux des sept coupes. Les pix trompettes se répartissent, comme les sceaux, en^pialre (viii, 7-i2)ct deux (viii, i3-ix), et les quatre premiers fléaiixsont sysiématicpiement coordonnés : un tiers de la terre est brùlc. un tiers de la mer changé en sang, un tiers des eaux terrestres absin-
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liîé, un tiers des astres obscurci. Les trois dernières trompettes s'enchevêtrent avec trois « malheur I », fléaux particuliers dont le troisième se perd avec la septième trompette (xi, i4-i5) parmi les prélimiuaires de la vision des sept coupes. Les deux premiers « malheur ! » sont d'un tout autre caractère que les fléaux des quatre premières trompettes, et l'on a pu être tenté de rattacher les « malheur 1 w à la vision des sceaux ; mais ils ne s'y raccor- dent pas naturellement et ils proviennent plutôt d'une source particulière. Les fléaux des quatre premières trompettes sont pris dans le fonds commun de l'apocalyptique, et peulèlre ont-ils été conçus par le rédacteur lui-même pour équilibrer ses trois séries de sept calamilés. Beaucoup plus originale est la description des sauterelles chevalines et des chevaux dont la bouche souflle feu, fumée et soufre (ix, i3-2i). H s'agit de puis- sances démoniaques, sauterelles-centaures, et chevaux-hommes qui sont de si près apparentés aux sauterelles-centaures, que l'ont pourrait se demander s'il n'y a pas eu dédoublement. Ces fléaux concernaient originairement le monde païen, et le rédac- teur y a pratiqué des retouches pour l'adaptation à son cadre (ix, ï3-i5 paraît en grande partie rédactionnel). Brusquement introduite, la vision des chevaux-hommes est coupée non moins brusquement à la fln. La conclusion de ce second « uialheur ! » est transposée (xi, i4) après un long intermède, et le troisième « malheur ! », qui est alors annoncé, ne viendra pas, parce que la consommation des choses est encore renvoyée plus loin, comme elle l'a été à la rupture du septième sceau.
L'intermède (x-xi, i3)conlienl une sorte de révélation parti- culière dont la partie essentielle est une description du règne de l'Anlichrist à Jérusalem (xi, i-i3) ; la communicalion d'un livret spécial (x) introduit cette prophétie, qui est, dans le cadre géné- ral, une digression et une anticipation. Il n'est pas douteux que l'auteur s'est approprié ici un morceau d apocaly [)sc plus ancienne. Le préambule (x) doit avoir été suggéré en partie par la source même, mais il a été élaboré par l'auteur pour le raccord avec le plan d'ensemble. L'oracle principal contient deux parties nette- ment distinctes (xi, 1-2, 3-i3) et où la destrncliondu temple n'est point prévue. On y annonce une occupation de la ville sainte par les Gentils durant quarante-deux mois, soit trois ans et demi,
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chiffre consacré ; le lemp!e et les parvis réservés échappent à cetle profanation. Peul-èlre faut-il beaucoup de bonne volonté pour trouver que cet oracle n'a pu être composé que pendant les derniers mois du siège de Jérusalem par Titus ; car le texte ne dit aucunement que les Gentils qui ont accès au parvis exté- rieur assiègent les Juifs dans le sanctuaire. La description des deux témoins, où l'on a pensé reconnaître un fraguieut dune autre apocalypse, suppose la même situation et indique, en d'autres termes, douze cent soixante jours, la même durée, pour la prédication des deux prophètes thaumaturges. Mais la main du rédacteur chrétien s'y reconnaît en plusieurs endroits (notam- ment XI, 4: 8 b). On est stupéfait de la facilité avec laquelle ce rédacteur s est approprié un mythe apocalytique aussi étroi- tement parallèle à la légende de Jésus que celui de ces deux témoins qui prêchent pendant trois ans et demi, sont tués par Rome-Aulichrist et ressuscitent trois joars et demi après leur mort.
Arrive, en transition artilicielle, la conclusion du second « malheur!)) et l'annonce du troisième par la septième trompette (xi,i4-i5 a) ; mais, au lieu du troisième « malheur! », c'est une autre série de Iléaax ([ui va venir. Il est probable que, dans la source où notre proi)hète a trouvé les « malheur ! )),le troisième amenait la tin des éi)reuves et le triouiphe des élus de cette conclusion Ion n'aura voulu garder ici que l'action de grâces où était célébrée la victoire de Dieu (xi, i5big), mais en l'amé- nageant de façon à introduire la grande vision, rétrospective, de la Femme et du Dragon (xii), et celle de la liête avec son auxi- liaire (xiiij. qui se trouve correspondre ainsi au troisième « malheur ! ».
La vision de la Femme et du Dragon est faite de divers élé- ments. Le noyau principal est le mythe astral de la Femme céleste en travail d'enfantement, dont le (ils échappe au Dragon (pii se tenait prêt à le dévorer, et qui échappe elle-même ^ux [)our8uites de cet ennemi (xii, i-(), i!3-i8 ; i3 a est une reprise nécessitée par 1 enclave "J l'j). Ce mythe trans|)araît encore assez visiblement sous l'adaplalion chrétienne, (ju on |)(ul su|)poser grellée sur une |)renàière adaplalion juive au thème du Messie. L ensemble de la description acquiert une meilleure couleur
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juive et chrétienne par l'enclave concernant le combat de Michaël et du Dragon (xiij-ii) et l'action de grâces dans le ciel pour la victoire de Michaël. Cette action de grâces a été rédigée par l'auteur chrétien ; mais on peut croire que le rôle de Michaël est dû à ladaplalion juive Car, dans le mylhe, c'est le fds de la Femme céleste qui triomphait du Dragon, et sans doule l'auteur chrétien n'aurait-il pas songé de lui-même à frustrer le (christ de cette victoire, sauf à lui réserver la victoire ultérieure sur la Bête Anlichrist.
Dans la description de la Bête (xin). ce qui regarde Néron ressuscité (xiii, 3) paraît avoir été ajouté par l'auteur chrélien ; de même le dévelo[>pement sur la victoire delà Bête (xiii, J b q) et ie chitTre de la Bète (xiii, i8). Le premier autour voyait dans la Bête I empire romain et annonçait une perséculion finale de quarante-deux mois. Plusdifficileestrinlerprétation delà seconde Bêle (xiii, 11-17), dont le rôle paraît dircclement coordonné à celui de la Bêle-Néron. Bien que plusieurs aient pensé devoir attribuer la description de celte seconde Bête à une source anté- rieure, rien, ce semble, n'empêche de l'attribuer à 1 auteur chré- tien. De même, l'identitîcation de la seconde Bêle au sacerdoce impérial se recommande d'autorités considérables ; mais cet assistant de l'Antichrist est à considérer i)lulôl comme un individu auquel conviendrait la qualité de « faux prophèle », à lui imputée plus loin par noire auteur (xvi, i3 ; xix, 120; xx, 10).
Cette vision nous conduit encore à proximité de la (in : mais, comme l'auteur se propose d'en traiter plus longuement après la troisième série de fléaux, il se borne à l'indiquer ici (xiv) som- mairement et comme par anticipation dans une série de petils tableaux assez mal liés entre eux. Il commence par une vision des élus autour de l'Agneau sur le mont Sion (xiv, i 5) ; la des- cription parait un peu heurtée et surchargée, mais ce peut èlre parce que l'auteur chrétien en a emprunté le fond à la source juive qui lui a fourni le recensement des cent quaranlcniualre mille élus. Le châtiment de Rome-Babylone est anlicipé de même en raccourci, et en recul sur la vision de triomphe : vient d'abord un suprême avertissement au genre humain de recon- naître le créateur du monde (xiv, 6-7) ; aussilôl la ruine de Rome- Babylone est annoncée comme accomplie; en l'ail, s'il s'agit plutôt
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de la sentence qui condamne la ville coupable et qui est motivée parla contagion de son idolâtrie (xiv,8) : suit encore un double avertissement où s'expriment, d'une part, le châtiment qui attend les adorateurs de la Bêle et de son image (xiv, 9-1 1), d'autre part, la récompense de ceux qui gardent leur fidélité à Jésus (xiv, ip.- i3) ; enfin une vision représente, sous la double image de la mois- son et de la vendange, le jugement des peuples (xiv, 14-20). Mais il semble (jue la rédaction ait ici dédoublé en moisson et vendange, respectivement attribuées à deux anges, un thème de vendange où le Fils de l'homnie apparaissait en exécuteur des vengeances divines, c'est-à-dire le thème qui sera traité en con- clusion de tous les fléaux (xix, 11-16). L'on peut parler, pour ce chapitre, d'anticipations, mais les termes de doublet conscient et de remplissage délibéré seraient tout aussi légitimes.
En introduction à la vision des sept coupes (xv), dernière série de fléaux, suite apparente, et, au fond, doublet des sept sceaux et des sept trompettes, vient une vision de triomphe (xv, :2-4),qui semblerait devoir plutôt se rattacher immédiatement à celle des châtiments (xiv, 14-20) ; ainsi devait -il en être dans la source où notre auteur a pris l'idée de l'une et de l'autre. L'annonce prématurée des sept derniers fléaux (xv, r) coupe le lien naturel entre le triomphe des martyrs et le châtiment de l'empire idolâtre ; et la main du rédacteur chrétien se reconnaît en ce qui est dit des vainqueur.s (xv, 2) et de l'Agneau (xv, 3 a), beaucoup moins dans le cantique des élus, où la conversion des Gentils est annoncée comme conséquence de la ruine de Rome. La vision des sept coupes (xv_, 5-xvi), qui sont vidées jusqu'à la dernière, se déroule assez régulièrement et sans intermède, mais elle aura des suppléments. Ce qui Trappe d'abord est son étroite correspondance avec la vision des sept trompettes : de quelque façon (pi'on explique la chose, il y a eu dédoublement artificiel d'un thème antérieurement donné, la description des sept trompettes paraissant d'ailleurs plutôt secondaire à l'égard des se[)l coupes. La réflexion intercalée; entre la troisième et la quatriènie coupe, louchant le breuvage de sang (juonl mérité ceux (jui ont martyrisé les saints (xvi, 07), se |)ré8ente comme une addition rédaclionnello. De même, en grande partie, ce (pii est dit des trois esprits sortis de la bouche de la Irinilé Dragon-Bèle-
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Pseudoprophèle (xvi, i3-i4)- A plus forle raison l'apostrophe lancée en cet endroit par le Christ au lecteur chrétieu(xvi. i5), et qui détonne si singulière nent dans cette description, la coupant de sa finale (xvi, i6 , qu'on a pu la supposer tombée par accident en cet endroit. Mais le décousu du passage peuls'expliquer par ce toit, que le rédacteur a su{)i)riiné une partie des données con- cernant l'invasion des rois [)arthes, sur laquelle il reviendra plus loin, et qu'il aura rem[)li vaille que vaille, et plutôt mal cpie bien, le vide ainsi créé. La ruine de Babyione, qui vient avec la sep- tième coupe (xvi, i^j-ao), est pareillement indiquée de taçon sommaire, parce que le fujet va être aussitôt repris.
Un artifice rédaclionrel (xvii, 1-2) rattache à la vision des sept coupes la description de la grande Prostituée et de son châtiment. La description, de la Prostituée (xvii, 3-i8), dans le ra|)port le plus étroit avec la vision de la Bêle et du Dragon (xiii', si elle n'y est ori.inaireîner.t identique. man<|ue un peu d'écpiilibre, et il n'est p-s douteux qu'elle i«q>ré>enl«- t'élai'ora- tion chrétienne d'une source juive, rt-moniaui au iemps <ie N'e^- pasien ou île Titus. La laain du rédacteur est pariiiulièrei eut sensible en ce (jui est dii de la Prostituée ivre du sang des mar- tyrs (xvii, 5-6), et des dix rois associés à la Bête, qui voudront combattre l'Agneau mais seront vaincus par lui (xvii, i4) ; sans compter les pièces de suture et les transpositions (xviii, 18 vien' drait naturellement après 7). Beaucoup pensent même devoir distinguer deux éléments dans le fond de la description, où ce qui concerne le huitième roi, qui est la Bête, Néron ressuscité, allié aux dix rois parthes. pour détruire la Prostituée (xvii, 11 -i3, 16 17), viendrait en complément de ce qui concerne les sept rois, lètes delà Bête (xvii. 36-4. i^)- La description de la ruine (xviii) est entièrement dépourvue d'originalité ; c'est une imitation, presque un résumé d anciennes prophéties, notamment de l'oracle d'Ezéchiel contre Tyr et de celui de Jérémie contre Babyione. Ce devait être un thème familier de rapocalyptique juive, et notre rédacteur s'est approprié un tableau tout lait, où un [)rophète juif, contempoiain de Vespasien, s'était complu à décrire l'anéantissement de Rome (xviii, 20 est rédactionnel, et aussi 24).
Avant l'apparition du Christ, qui est maintenant préparée,
A. LoiSY. — L'Apocalypse de Jean. '<i
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s'intercalenl les aoclamalions joyeuses des esprits célesles et des élus, conçues dans l'esprit général du livre et qui doivent appartenir à raiitenr (xlv, i-8). Les versets (|ui suivent (xix, 9-10) (ont doublet avec la scène qui, à la tin du livre (xxii,6-9), se passe entre le prophète et lange qui l'assiste. Ou bien l'au- teur l'a copiée ici d'après une source, et imitée à la fin du livre, ou bien le présent passage est une inlerpolalion édiloriale.
Le triomphe final du Christ est comme dédoublé par l'intro- duction du règne de mille ans. Il en résulte un certain désarroi et quelque arlilice dans les descri{)lions de la fin. Ainsi la njise en scène du grand combat vient ici, mais le Christ n'aura pas en l'ace de lui le Dragon ; il se débarrassera donc de la Bète et de ses auxiliaires ; et le Dragon, [)rovisoirement enchaîné dan.s le puits de l'abîme, reparaîtra au bout des mille ans, llanqué de Gog et de Magog, pour être défini ivement vaincu, sans que le Christ apparaisse. Qu'il soit le l;dt de notre auteur, ou que d'autres l'aient avant loi réalisé, ce dédoublement représente une combinaison de sources ou le traditions. Mais quoique, pour cette conclusion, l'aufeur n ait pas manqué de sources écrites, il est plus difficile de les reconnaître dans ses tableaux. La vision du Christ sur son cheval (xix, 11-18) est laite d'élé- ments quelque peu disparates ; un seul pourtant détonne tout à fait (xix, i3/^) : « Et son nom se dit : le Logos de Dieu ». Le Logos n'a pas accoutumé de monter à cheval ; et ce membre de phrase paraît venir en surcharge dans la description du céleste cavalier. Ce doit être une addition éditoriale, faite pour justifier l'attribution de l'Apocalypse et du quatiicme évangile à un même auteur. Telle que nous la lisons, la descri[)tion du com- bat (xix, i;7:ii) a été arrangée par l'auteur du livre, et assez mala- droitement, puisijuc les chefs de l'armée anlichrélienne, la Bète cl le l*seudoprojdiète, ne sont pas mis hors de combat par le Christ lui-même, dont on dit seulement qu'il a exterminé « les autres »,le gros de l'armée, avec le glaive qui sort de sa bouche.
Après cela, l'incarcération du Dragon (xx, 1-8) est décrite comme une sim|)lc opération de police lélesle dont on dit la raison : c'est jxiur (ju'il n'agisse [)lus sur les nations avant la lin du lègnc de mille ans. A celte notice est annexée assez gau- chement une description sommaire du règne des croyants res-
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suscités, ceux de la première résurrection, pendant les mille ans de félicité qui leur sont d'abord octroyés sur la terre (xx, 4-6)- C'est évidem.n nt le rédacteur qui attribue cette féli- cité à ceux qui ont été (Lcapités pour le téinoig-najj^e de Jésu«^ et qui n'ont point voul i adorer la Bête (xx, ^b) : et c'est lui pareillement qui spécule sur les deux résurrections et les deux catégories de ressusciié^ (xx. 5-6). Le dernier combat est très sobrement décrit : Satan libéré. — on ne prend pas la prine de dire (jue le puits de l'abîme a été ouvert et que la chaîne du diable lui a été enlevée, — s'avance avec Gog et Magog, — les peuples qui uont pas été exterminés dans le combat contre la Bête, — et toute cette année du uial est détruite instantanément par le feu du ciel ; cette f- »is Satan est précipité dans l'étang: de feu et de soufre, où sont déjà la Bète et le Pseudoprophète (xx, 7-10). Arrive ensuite, dans l'immensité de l'espace, la terre et le ciel ayant disparu, le ^i md jugement devait le trône éternel de Dieu ; tous les défuni;. sont sortis de la mer. de la mort et de l'enfer, pour ét^e jugés se Ion leurs œuvres, consignées dans « les livres » (xx, 11-20). Ces la donnée juive du grand jugement, telle à peu près qu'elle se définit déjà dans Daniel. Mais notre auteur y superpose l'idée du livre de vie (xx, 12 c, i5), qui pro- cède d'une autre conception : ce livre des prédestinés, des sau- vés par grâce, rend superflu l'examen des livres de comptabilité où sont écrites jour par jour les œuvres des hommes. Ce doit être aussi le rédacteur qui expédie tous les damnés dans l'étang de feu ; il s'abstient de dire en quoi a pu consister le regain de bienheureux qu'aura procuré le grand jugement.
11 ne s'intéresse désormais qu'à l'installation finale des élus dans la nouvelle Jérusalem. Par une gaucherie de la rédaction, la cité bienheureuse est présentée en deux fois (xxi, 1-8 ; xxi, 9-XXI1, 5), probablement parce que l'auteur chrétien, avant d'introduire la grande description qu'une de ses sources lui fournissait, aura jugé à propos de placer une déclaration géné- rale sur la félicité des saints, et un suprême avertissement aux pécheurs qui en seront exclus ; en tout cas, celte première par- lie est tout entière de remplissage rédactionnel. La grande des- cription, inspirée surtout d'Ezéchiel, contient un petit nombre de retouches chrétiennes, dont quelques-unes se présentent
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comme des surcharges (désignation de la nouvelle Jérusalem comme « femme de l'Agneau ». xxi,9; ce qui regarde les douze pierres de fondation, au nom des douze apc^tres, xxi. i4; notice qui ne permet pas de considérer l'auteur comme étant lui-même un des Douze ; le membre de [)hrase : « Et son flambeau est l'Agneau », xxi, 23; de même, à la fin de xxi, ti'j : « Sinon les inscrits au livre de la vie de l'Agneau » ; enfin les mots : « et de l'Agi. eau )),dans xxii. 3). C'est la conclu'^ion qui convenait à la grande révélation, mais on s'a[)er(;oil encore, à cei tains traits, qu'elle n'avait pas été conçue d'c^bord pour exprimer l'espé- rance chrétienne (xxi, 24, 26 ; xxii, 2, ce qui est dit des Gentils).
L'épilogue (xxii, 6-26) donne une impression d'incohérence qui est due pour une part aux répétitions qu'il contient. On conçoit (jue fauteur ait insisté dis' rètement sur l'importance de sa prophf'lie (xxii, 6-7), qu'il se s )it mis en scène avec l'auge interprète (xxii.8-9), (pi'il atteste .encore 1 innninence de la fin, pour la consolation des bons et pour Uïeaacer les méchants (xxH, i2-i5), que Jésus donne su garantie (xxii, 16-ij), qu il promette sa venue prochaine et (ji e le prophète en prenne acte (xxii, 20), que l'auteur adresse, pour finir, son sahit aux comnni- nputés destinataires de son livre (xxii, 21). L'exhortation, un peu singulière, qui est faite à chacun de persévérer dans sa voie, bonne ou mauvaise (xxii, 10- 11), semblerait venir plutôt de l'éditeur ; peut-être aussi l'appel de « l'Esprit » et de « la Fiancée », et l'apostrophe au lecteur (xxii. ij) ; enfin la menace h qui serait tenté de pratiquer sur le livre de prophétie fjuelque addition ou relrancluMuent (xxii, 18-19).
Tel est le livre de la grande révélation. La régularité toute relative de son plan, l'unité de son cadre, celle de la pensée (pii la douiine n'empêchent [)as Iteuvre d'avoir quehjue carac- tère de conq)ilation, et d'une compilation assez indigeste, où ne manijuenl pas les incohérences, ni même, sur quelques points, les contradictions. Enfin, s'il y a un auteur princi[»al (|ui n'a pas su fondre vu un tout houiogène les éléuients par lui emprun- tés à ses devanciei s, il y a eu aussi lui éditeur, dont I inleiven- lion, assez, limitée (piani à l'objet (t à l'étenilue de ses additions, parait avoii- eu pour but de l'aire agréer à toutes les eommu-
INTRODUCTION 37
naulés, comme œuvre apostolique, un livre qui avait été d'abord adressé aux communautés d'Asie par un prophète de la région, lequel n'était point Tapôtre Jean fils de Zébédée.
S^ IV. — L'origine, l'auteur et le caractère de l'Apocalypse
L'Apocalypse occupe dans le Nouveau Testament une place à part et qu'on pourrait être tenté de juger secondaire à raison du peu d'influence qu'elle exerce actuellement, on peut dire depuis les derniers siècles, sur la vie des communautés chré- tiennes en général et sur les individus chrétiens. Tant s'en faut pourtant qu'elle provienne d'un courant accessoire de la pensée chrétienne dans les premiers temps. A vrai dire, elle procéde- rait plutôt du courant général de la foi chrétienne en ses pre- mières origines, et beaucoup mieux que les épîtres conservées dans le Nouveau Testament, beaucoup mieux même que les évangiles, épîtres et évangiles étant, en grande partie, les documents du mystère de salut que la foi primitive était deve- nue très promptement en se répandant en dehors de son milieu initial, tandis que l'Apocalypse demeure l'écho, amplifié sans doute, mais fidèle et presque exclusif, de l'espérance juive d'où est issu d'abord le mouvement chrétien. Aussi bien l'Apo- calypse appartient-elle à un genre littéraire qui a été largetneut cultivé dans le judaïsme et qui a donné à l'Ancien Testament le livre de Daniel, les évangiles et les épîtres relevant de genres qui ne sont pas aussi exactement représentés dans la Bible juive. Il n'est pas malaisé de voir pourquoi le christianisme a eu son apocalypse, et pourquoi le Nouveau Testament offre un pendant à Daniel ; il est plus difficile de percevoir, nous le savons déjà, dans quelles conditions et par quelles mains le livre a paru, et de définir ce qu'on pourrait appeler son carac- tère propre, eu égard à l'ensemble du mouvement chrétien dans les premiers temps.
Non seulement l'idée du règne de Dieu, avec sa prochaine échéance, existait dans le jtidaïsme longtemps avant que le chi'islianisme naquît, mais des écrits autorisés comme la révé- lation de Dieu même contribuaient à l'entretenir. Ce n'était pas
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la simple nolion d'une ère de prospérité qui consolerait Israël de ses épreuves, ni seulement la conception mythique d'une res- tauration i\c l'univers dans un ordre nouveau et parfait, mais l'avènemenl du rè^nc était essentiellement lié au jour de la jus- lice divine, jour de châtiment pour les méchants et les idolâtres, jour de récompense pour les vrais fidèles et les hommes de bien. Il semble que le jour de Dieu ait commencé par être le jour du chàtiuicnl : mais lahvé lui-même aurait été victime de sa justice, s'il ne s'était gardé des fidèles capables de l'honorer et dans le bonheur descjuels il put être glorifié; de là l'idée d'une élite morale, éprouvée dans la ruine commune, mais qui y échapperait par la protection de son Dieu. Les prophètes qui ont vu la destruction de .Tcrusalem, au temps de Nabuchodo- nosor, se sont rattachés à cette espérance et l'ont développée. Kzéchiel décrit par avance un royaume de félicité liturgique, tiré au cordeau, avec une Jérusalem et un temple dont lahvé lui- même a tracé le plan et défini les rites ; Israël ressuscitera ; le pro[)hète le voit comme une foule de squelettes que l'Esprit de Dieu ranime et (pii repeuplent les cités désertes ; une invasion venue du nord les menacera, mais lahvé lui-même exterminera sur le sol de la Palestine, Gog, roi de Magog. avec toute son armée ; après (juoi le pays jouira d'une paix sans tin, et la capi- tale s'appellera : « lahvé-est-là », La partie du livre d'Isaïe où sont pronostiquées la conquête perse, la chute de Babylone et la restauration de .Jérusalem, est un rêve de splendeur : Israël, absous des iniquités anciennes, reviendra triomphalement sur la terre des ancêtres devant le monde étonné ; par ses malheurs et par sa gloire il aura été le témoin de lahvé auprès des peu- ples, qui s'inclineront devant cette manifestation de puissance. Malgré les déceptions intervenues, le même rêve se continue dans les derniers chapitres d'Isaïe, qui sont postérieurs au retour de la captivité. Il se rencontre aussi bien chez les pro- 1)11^1^! (pii ont été mêlés aux diirictdiés de la restauration, et riiiiagciie de Zadiaric, non moins que celle d'Ezéchiel, pré- lude aux \isionsdos apocaly[)ses.
('(•prii(l;ml les réalités satisfont de moins en moins ces aspira- tions ii'linies. A une domination éliJiugète succède ime autre domination éliangèrc ; renq)ire macé Ionien renq)lace l'empire
inthodugtton 39
perse, et bientôt Anliochus Epiphane, champion maladroit de l'hellénisme, provoque une réaction violente de la foi juive. En ménje temps qu'éclate le soulèvement des Machabées, se répand le livre du faux Daniel. Avec ce livre commence, à [)roprement parler, la littérature a[)ocalyplique, caractérisée par ce qu'on peut appeler son déterminisme providentiel, sa philosophie de l'histoire, que domine l'idée de la fin imminente, la division nette qui s'établit entre le monde actuel et le monde à venir, la prétention de marquer la date précise où cet ordre nouveau remplacera l'autre, le symbolisme plus ou moins artificiel des visions dans lesquelles est décrit cet avenir, et qui comprennent aussi bien le passé même et le présent, parce que le voyant prend son point de départ en arrière, s'alTublant lui-même d'un nom célèbre de l'antiquité, interprétant dans le plan divin les faits acconqilis, et considérant le temps où il vit comme le point où le siècle à venir, le monde nouveau, est près de s'articuler sur le siècle paru, le monde qui va fijiir. On a dit que ce nouveau genre de prophétie attestait la décadence de l'ancien, il en atteste aussi bien la transformation, et comme les visions d'Ezéchiel accusent l'influence de la Chaldée, celles de Daniel trahissent celles des spéculations religieuses de l'Iran, plus ou moins péné- trées elles-mêmes de sagesse babylonienne. A cette influence aussi peut-être doit-on attribuer le mystère dont s'enveloppe la personnalité de l'auteur, et le choix du nom dont il s'est couvert. Il n'est pas sans signification que le faux Daniel soit censé avoir vécu à Babylone, contemporain du dernier roi babylonien, de Cyrus le Perse et de Darius le Mède. Les devins de Babylone faisaient remonter la tradition de leur art à un personnage de l'antiquité mythique, et les mages de Perse avaient Zoroastre.
Dans Daniel il convient de relever surtout la vision des empires (vu) sous la figure de quatre animaux, lion, ours, léopard, — un léopard à quatre têtes, — et une quatrième bête bien plus terrible que les précédentes et qui avait dix cornes. Figures étranges, dont l'oriçine mythologique, voire astrologique, ne paraît pas douteuse, mais (|ui nous intéressent surtout parce qu'elles sont le prototype de la Bête dont parle notre Apocalypse. La quatrième bête de Daniel est l'empire macédonien ; celle des dix cornes qui en fait tomber trois autres, et qui ensuite fait la
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guerre aux saints, esl le royaume séleucide, actuellement person- nifié dans Aniiochus Epiphane. Mais des sièges sont placés pour une séance divine; un Vieillard blanc s'assied sur un trône de feu, et « les livres sont ouverts »; la Bcle est tuée, — Antiochus, qui était une corne est aussi bien la Bêle (cf. siipr., p. 33), — son corps déliuil et jelé au feu ; arrive sur les nuées du ciel un ft Fils d'homme », qui s'avance jusqu'au Vieillard et qui reçoit de lui une domination éternelle pour un règne sans fin. Ce « fils d'homme », l'Homme, personnifie le rcg:ne des justes, comme les quatre bêles représentent les anciens empires. Mais les bêtes- royaumes ne laissent pas d'être des rois, et la quatrième est finalement Antiochus. L'Homme est le chef du royaume éternel, cl les critiques modernes ont peut-être eu tort de le prendre en abstraction, coujme une simple figure du peuple saint, quoique le livre même semble favoriser leur interprétation. Ce ne doit pas êlre pourtant le hasard d'une explication fausse qui a fait identifier l'Homme de Daniel au Messie et prendre dans les évangiles la fornmle « Fils de l'homme » comme désignation ordinaire de Jésus-Christ. Dans une partie importante du livre d'Hénoch, le livre des Paraboles, probablement antérieur à l'ère chréiienne, le Fils de l'homme, qui est le Messie, existait auprès de Dieu avant la création ; il doit sauver les justes et faire périr leurs op[)resseurft ; il jugera les hommes après la résurrec- tion. 11 vient de loin, cel Houmie, car il doit être le héros divin qui, au commencement des temps, eut pour mission de domp- ter le monstre du chaos ; c'est pour cela qu'il lui appartient de dompter, à la fin, toutes les puissances du mal. L'histoire du mythe est sans doute fori complexe, et elle nous échappe en grande partie. Que l'origine en soit orientale et spécialement iranienne, comme l'est en pa:tie celle le l'eschatologie apoca- lyptique, rien n'est plus vraisemblable, quoique les témoignages dir« cls fassent jusqu à présent défaut.
Avec le F'ils d'homme ap[)araîl aussi en Daniel (\ii, a) la pre- mière mention certaine de la résurrection des morts, |)our ce (jui est (les livrci de l'Ancien Testament : la résurrection est com- prise en lésurreclion des justes pour une \ie éternelle, des injustes pour un opprobre sans lin l)( tnème la (biréc de trois ans (!t demi, assigiu'-e au tenq)s de l'abomination qui précédera
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l'avènement du règne de juslice(DAN., x, 27; xii, 11). A y bien regarder, tous les élémenls essentiels de l'Apocalypse joliannique sont en germe, sinon déjà développés, dans Daniel. Du reste, le genre spécial de lilléralurc inauguré parle faux Daniel n'a plus cessé d'être cultivé dans le judaïsme juscjue vers la fin du pre- mier siècle de notre ère. Les documents qui sont entrés dans la compilation du livre (élliiopicu) d'Hénoch sont du premier et du second siècle avant Jésus-Christ. Au même temps remontent certaines parties juives des livres Sibyllins et lesTestaments des douze patriarches. Les Psaumes de Salomon et le livre des Jubi- lés ont été écrits dans les premiers temps de la domination romaine en Palestine. Les Secrets d'Hénoch (slave), l'Ascension d Isaïe (fond juif), l'Assomption de Moïse ont du être composés dans les premières années de l'ère chrétienjie. L'Apocalypse de Baruch et celle d'Esdras sont à peu près contemporaines de la nôtre. Sans compter les livres perdus, écrits après l'an 70, sous la première impression causée dans le monde juif par la destruction de Jérusalem et la ruine du temple. Si variés que soient ces écrits, ils attestent l'existence d'une tradition apoca- lyptique, très vivante et très féconde, sur laquelle est fondée, comme le christianisme lui même, l'Apocalypse de Jean.
Cependant l'Apoealypse de Jean est un livre chrétien, c'esl-à- dire une apocalypse consacrée à la gloire de Jésus, qui devient le centre personnel de l'histoire humaine et d abord le nom vers lequel converge, à l'honneur duquel est exploité le mythe ou plutôt l'ensemble des mythes dont s'est entretenue la tradi- tion apocalyptiq'ie. Un courant de foi a été créé, qui s'est trouvé assez fort pour dominer le chaos des opinions très diverses et même contradictoires dont s'est nourrie la littérature apoca- lyptique, et pour s'assimiler tout ce qui le pouvait servir. C'est sur le nom de Jésus-(^hrist que s'est faite la synthèse du messianisme juif et du mysticisme oriental plus ou moins hellé- nisé ; mais le christianisme a commencé en Palestine comme un mouvement messianique au sein du peuple juif. L'histoire ne connaît comme initiateur de ce uiouvement que Jésus lui-même, quoique les véritables fondateurs du christianisme soient plutôt ceux qui ont cru eu lui les premiers. Autant qu'on en peut juger, l'action personnelle de Jésus ne fut réglée par aucun texte, et
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elle ne s'est pas non plus définie dans un écrit. Il n'est pas dou- teux que les Ecritures canoniques et apocryplios Tonl préf»arée, et influencée, mais on ne saurait dire en quelle manière ni sous quelle forme spéciale Jésus en a tiré l idée de son rôle provi- dentiel. Sans doute s'est-il cru lui-même, — a ant d'être cru, — [)rédestiné à cire le Messie altendu. Mais il y avait bien des nuances dans la façon de concevoir le rè^ne de Dieu et le Mes- sie. Jésus a dû prendre son idée du règne et son idée du Messie dans le courant moyen des opinions qui étaient répandues dans son milieu, plus précisément dans la secte baptiste d'où lui est venu, semble-t-il, le surnom de Nazoréen. Il y a lieu toulefois de conjecturer que le sentiment de sa mission propre l'aura fait sortir de celle secte, sans 1 opposer directement à Jean, qui en était le fondateur. Il se pourrait que ses idées sur le règne de Dieu et sur sa propre vocation aient été moins nettement défi- nies que n'était intense et profond le sentiment qui les lui faisait embrasser. Le trait dominant de sa conviction, le point essentiel et presque unique de sa doctrine était l'imminence, on pourrait dire l'immédialcté du grand avènement. Sa position n'élail pas la même que celle d'un visionnaire apocalyptique, concevant spéculativemenl l'économie des desseins providentiels, et en calculant les échéances, sans y avoir d'autre intérêt que celui qui appartenait à tous les croyants. Jésus avait l'intuition ou l'illusion du grand jour ([ui se levait ; il y entrait comme de plain-pied et dans son milieu naturel. La domination romaine étant pour lui, comme pour bien d'autres Juifs l'abomination suprcuie, le signe de la fin, il se mit à dire qu'on se préparât pour le jugement de Dieu.
Ceux qui, après la catastrophe de sa mort, eurent assez de foi pour le croire et le dire toujours vivant auprès de Dieu, le crurent de même prêt à venir avec le royaume qu'il avait annoncé. Ils attendaient, semble t-il, de jour en jour sa mani- festation, — son avènement, sa présence (parousir), — sur le terrain sacré de Sion, où lui-même avait pensé voir éclater lo grand règne. Cependant la position de Jésus, mort immortel, était changée par rapport à ce rè()^ne : tant qu'il avait vécti parmi les siens, il était |>resfjue nécessairement dans le plan de l'espé- rance commune touchant la restauration d'Israël et le roi-messie ;
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mais sa mort le fit transcendant à l'égard de ses premiers fidèles et il le fut encore davantage pour ceux qui ensuite crurent en lui sans l'avoir connu vivant. Assislant au trône de Dieu, il entrait dans la condition de ce mystérieux Fils de l'homme, dont s'était entretenue la tradition apocalyptique depuis le faux Daniel et le faux Hénoch. On le proclama tel en adaptant à sa condition de mort ressuscité celte notion du Fils de l'homme, adaptation d'autant plus facile que lesmythologies d'où procédait cette notion n'ignoraient pas les morts divines, toutes suivies de résurrection, les dieux ne pouvant mourir que pour revivre : tel l'antique Bel Marduk de Babylone, qui. après avoir vaincu la monstrueuse Tiamat et organisé le monde, s'était, disait on, décapité ou fait décapiter pour donner par son sang la vie aux êtres de sa créa- tion. Ces divins sacrifices, dans les mystères, étaient efiicaces d'immortalité. Et comme le Fils de l'homme, l'Homme-Christ, n'arrivait pas, on eut le temps et le besoin de spéculer sur les conditions de son avènement, dont il fallait aussi bien expliquer le relard.
Une petite apocalyseest déjà contenue dans le chapitre xv de la première aux Corinthiens, où Paul explique comment le Christ a été les prémices de la résurrection : par un homme, le premier Adam, — premier dans l'histoire des hommes sur la terre, mais non dans l'ordre transcendant de l'univers, — la mort est venue en ce monde et elle atteint le long des âges tous les descendants de l'homme terrestre ; mais la vie, une vie éternelle, leur est rendue par le Christ, second Adam, — dernier paru sur la terre, mais premier en tant qu'il est l'Homme céleste, préexistant dès le commencement et prédestiné à son rôle salutaire; — comme il y a une économie de la mort, il y a une économie de la résurrection, et celte économie consiste en ce que le Christ lui- même a dû ressusciter le premier; la seconde étape de la résur- rection sera la résurrection des croyants, « au dernier coup de la trompelle », quand se produira la parousie du Seigneur ; la troisième, sur laquelle Paul n'insiste pas, sera la résurrection des aulres morts, à la fin des temps, quand le Christ aura triom- phé de toutes les puissances ennemies et détruit la mort, remet- tant ainsi à Dieu un univers soumis et purifié. Poème eschalo- logique plus original et plus théologique en sa forme que
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l'Apocalypse de Jean, mais où il n'est pasdilTiclle de reconnaître l'idée des deux résurrections et des deux trioui[)lies entre les(juels celle ci a placé le règne de mille ans, D'autre part, 1 Homme céleste de Paul s'identifie très certainement au Fils de Ihomme de Daniel et à celui de la tradition évangéli(|ue.
C'est encore une apocaly[)se, mais de caractère un peu diffé- rent, que représentent les suppléments de ré[)itre aux Tliessa- loniciens (I Tniiss iv, i3-y,ii;HTHESs.). L'auteur veut combattre une certaine in(juiétude causée par le retardement delà parousie. Au coup de trompette (Cf. Didacké, xvi, (3) que sonnera l'ar- change, le Christ descendra du ciel, les fidèles défunls ressus- citeront et ils seront emportés avec les fidèles vivants, sur les nuées, au devant du Seigneur. Le jour est incertain, mais il nest pas imminent au point qu'on n'ait plus besoin de vaquer à ses occupations ordinaires et au travail quotidien ; il n'arrivera pas avant que se soit révélé l'homme d'iniquité, coryphée de limpiélé, qui doit s'installer dans le temple de Dieu et se poser en Dieu, armé qu'il sera de puissance diabolique pour séduire les hommes ; il travaille déjà, mais il est provisoirement con- tenu ; quand il aura éclaté et qu'il aura réalisé son œuvre de perdition, le Christ apparaissant le détruira par le souffle de sa bouche. Signalement de l'Antichrist, qui concorde pour l'essen- tiel avec ce (ju'on lit dans rApocalyi)se touchant la Bète.
Enfin le grand discours par lequel se couronne l'enseigne- ment de Jésus dans les synoptiques (Me xiii, Mt. xxiv xv ; Le. XXI, 5-38) n'esl pas autre chose (ju une apocalypse, ou un morceau d'apocalypse, juive d'origine, plutôt (|ue chrétienne, antérieure à l'an ^o, adoptée ensuite par la tradition évaiigélique et adaptée à cette tradition par des additions qui sont surtout de caractère moral. La description primitive marquait trois moments de la fin : conimcncemenl des douleurs, guerres, tremblements de terre, lamines, tout le cortège des maux qui peuvent accabler Ihumanité ; condjie des douleurs, la grande tribulalion, profanation du teuq)le, et période litnilée d'angoisse et de persécution pour les croyants ; fin des douleurs, obscur- cissement du soleil et de la lune, perturbation des astres, appa- rition du Fils de l'homme sur les nuées, rassemblement des élus par les anges. — sans qu'il soit fait mention cx[>resse de
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résurrection. — La paraphrase chrétienne a soin de noter que rEvangile doit être prêché aux nations avant la parousie et que les croyants auront à subir mainte persécution; mais onn'insiste pas sur le rôle de l'Anlichrist. qui est plutôt remplacé par de faux (>hrists et de faux prophètes. Quant au fond et pour le principal, ce discours ne laisse pas de présenter en raccourci le plan de l'Apocalypse johannique.
Somme toute, cetleapocalypse, sous ses apparencesde grande et spéciale révélation, se présente à nous comme un traité com- plet deschatolojîie chrétienne. C'est le thème de l'espéraHce évangélique, repris avec une particulière intensité de vision, avec une réelle ardeur de conviction, avec un sentiment d'ex- traordinaire horreur contre Rome impériale, en un temps sans doute où l'autorité romaine avait pris une altitude décidément hostile au christianisme et la faisait particulièrement sentir; ajoutons aussi, dans un milieu où 1 on ne ressentait que cette attitude et où l'on n'épiouvait pas à l'égard du j)ouvoir impérial le sentiment dont témoignent, par exenq)le, Tépitre de Clé- ment, tel passage, probablement interpolé, de l'épître aux Romains (xiii, 1-7), ou bien la première de Pierre. De plus, notre livre, si accentué que soit son caractère mystique, n'est pas une vision toute spontanée ; c'est, dans la mesure où un tel livre peut l'être, une sorte d étude sur le sujet, une somme apo- calyptiipie, inspirée sans doute par une extrême surexcitation du sentiment chrétien, ou, si l'on veut, de l'esprit apocalypli(pie, mais documentée, si l'on peut dire, et comme appuyée sur les prophéties antérieures, même les plus récentes, qu'avait pro- duites lejuda'ïsme. L'auteur polémise contre les chrétiens qui ne sont pas trop intransigeants, il voudrait les trouver tous dans la disposition du martyre, il liait même par ne plus voir dans les croyants que des martyrs, comme si la grande persécution qui s'annonce, ou qu'il annonce, devait les envoyer tous au ciel. On est presque tenté de se demander si son manifeste, (pii jiaraîl destiné surtout à encourager l'espérance, ne voudrait [)as la raffermir, instruire une foi (jui tend à s'atfaiblir, à s'acclimaler dans ce monde au lieu d'en attendre le bouleversement.
Pour ce qui est du temps, les dernières années du règne de Domitien, qui sont la date assignée par Irénée, semblent devoir
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ôlre retenues. Le christianisme a déjà uneassez longue existence, même de persécution ; l'âge apostolique est loin ; les coniinu- naulés d'Asie auxquelles le livre est directement adressé ne sont pas des groupements récents. La persécution de Néron appar- tient à un passé qui n'est pas d'iiier ; mais il y eut comme un réveil delà persécution dans les dernières années de Domitien, et les exigences du culte impérial se sont laites aussi plus pres- santes. La façon dont est présenté le rôle de Néron-Antichrist peut bien dépendre, h certains égards, des faux Nérons dont les historiens nous font connaître l'existence, mais ce n'est pas telle ou telle de ces manifestations qui peut y être visée : Néron n est pas resté vivant chez les Parthes, tout prêt à revenir avec leur concours ; c'est une puissance démoniacpie (|ui monte de l'abîme; il esi entré dans le uîylhe de l'Antichrist et n'appar- tient plus au monde des vivants. D'autre part, une date plus récente que le règne de Domilien ne se recommande aucune- ment. Au second siècle, le goût de l'apocalyptique est tombé, sans qu'on cesse d'attendre la venue du Christ ; même dans le milieu asiate où a paru i'Apocalypse, on atténue bientôt ce que le livre disait de l'Anlichrisl ; les éditeurs du quatrième évan- gile et des éjùtresjohanniques ne semblent pas connaître d'autre Antichrist que Satan ou bien les prédicateurs d'hérésie. Un certain lein[)s toutefois pourrait s'être écoulé entre la publication du livre dans les communautés d'Asie par les soins de l'auteur lui-même, et l'édition détinilive, la divulgation de la prophétie dans toutes lescoinmunautés comme œuvre apostolique et due au même auteur que le qualricujc évangile cl les trois é[>îlres. Celte identification cl la eonslilulion de la bibliothèque johannique pourraient s'être accomplies seulement entre les années iqo et 140.
Le lieu ne fait pas doute. L'Apocalypse a vu le jour dans les communautés d'Asie auxquelles elle a été d'abord adressée, probablement à Ephèse. On vient de voir que notre livre n'au- rait guère [)u être écrit à Rome sous le règne de Domilien. Mais le milieu axiale élait sensiblement dillcrent. Non (ju'il faille le supposer tout entier imbu de l'esprit apocalypli(|ue : dans ce même Mjilicu (txi^itait alors le groupe mystique d'où le ([ualrième évangile est sorti, et lequalricme évangile est aussi étranger que
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possible à l'esprit de l'Apocalj'pse. Mais l'Asie paraît avoir reçu, au temps de la guerre juive, quelques notables transfuges des communautés palestiniennes. De ce nombre étaient l'évaugéliste Philippe, accompagné de ses tilles propliélesses, probablement aussi Jean l'Ancien et Arislion, les disciples du Seigneur qui sont mentionnés par Papias. 11 est vraisemblable que ces croyants palestiniens gardaient plus vives les espérances de la foi primitive, qu'ils . s'intéressaient aux plus récents produits de l'apocalyptique dans les milieux juifs et qu'ils ne dédaignaient pas d'en faire leur profit : on ne risque guère à prendre parmi eux ou parmi leurs disciples les plus immédiats l'auteur de l'Apocalypse. Du reste, l'apocalyptique a pu trouver, dans le milieu éphésien. (juelques ressources du côté de la mythologie astrale et de la divination astrologique. Nous coucev rions malaisément que, dans les mêmes assemblées de la même com- munauté éphésiennc, deux prophètes aussi dillérents que l'au- teur des etîusions lyriques sur le Logos, sur la régénération chrétienne, sur le pain de vie, sur le bon Pasteur, sur le dévouement de Jésus à sa mort salutaire, et celui (pii venait décrire les fléaux de la tin, les se[)t sceaux, les sept trompettes et les sept coupes, la venue de lAntichrist-Néron, la description de Rome-Babylone et le règne de mdle ans, aient pu l'un après l'autre se faire entendre et agréer. Mais, outre que la chose ne serait pas aussi invraisemblable qu'elle nous parait, rien n'oblige à supposer que les chrétiens d'Ephèse n'eussent qu'un centre de réunion et que nos deux prophètes aient été les anima- teurs du même groupe. Gomme nous voyons, vers le milieu du second siècle, harmonisés vaille que vaille dans un même recueil d'écrits vénérés, l'évangile et l'Apocalypse, nous devons supposer (jue le courant mystique hellénochrétien et le courant apoca lyptique plutôt jiuléochrélien coexistaient auparavant dans la communauté éphésicnne, non radicalement séparés ni mutuelle- ment hostiles, mais non mêlés encore ni atténués par des adap- tations réciproques, comme nous les voyons dans les rédactions dernières et bientôt canoniques des livres dont il s'agit.
Sur la personne même de l'auteur il serait superflu de déve- lopper les conjectures. L'apôtre Jean est hors de cause. Jean l'Ancien serait plus acceptable ; mais il n'avancerait guère de le
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prendre, car ce n'est pas beaucoup plus qu'un nom, et l'on a pu taire valoir contre lui quelques objections. Celle qui se lire de ce que Jean l'Ancien serait l'auteur des petites épîlres, proba- blement aussi de la grande et pcul-ètre de l'évangile, est loin d'être décisive, puisque toutes ces attributions sont contestables. Alieux vaut noter que l'attribution à Jean l'Ancien est une pure liyj>otiièse, amorcée par Denys d'AlexaiKlrie, (}ui,pen soucieux d'attribuer l'Apocalypse à l'apôtre Jean, qu'il voulait garder pour révangile, donne l'Apocalypse à un autre Jean, qu'Ensèbe à son tour, suppose avoir [)u être Jean l'Ancien^, dont parle Papias ; mais, si Papias avait attribué l'Apocalypse à ce Jean, Eusèbe n'aur&it pas manqué de le dire (cf. Stanton, The Gos- pels as liisloricdl documents, 111,83) L'attribution à Jean l'Ancien reste une hypotlièse en I air ] car il n'y a pas à dire que l'au- teur de l'Apocalypse a dû être un personnage en autorité, et que ce doit êire le Jean très autorisé dont parle Papias. Papias pré- sente Jean 1 Ancien comme un témoin autorisé de la tradition évan^éli([ue,et leJean (jui a écrit l'Apocalypse n'est aucunement préoccupé de cette tradition ; l'on peut dire même que l'ensei- gnement (le Jésus est le dernier de ses soucis ; par ailleurs, c'est dans sa mission de prophète qu'il prend l'autorité par lui art'ectée pour instruire les communautés. Il n'y a donc pas la moindre chance pour que Jean l'Ancien et notre prophète Jean soient une seule et même personne.
D'autre part, s'il est possible et mêine probable que l'éditeur de l'Apocalypse a voulu présenter l'auteur comme un personnage aposlolicpie, le même qui serait l'auteur de 1 évangile et l'apôtre Jean, celle tiction ne paraît pas imputable à l'auteur lui-môme. La (;om[)araison de l'apocalyptique juive, où les auteurs réels se cachent sous les noms de personnages anciens, ne permet pas de conclure que l'attribution d'une apocalypse chrétienne doive être également liclive ; le prophétisuie étant olRciellement res- suscité et [)rati(|ué dans les communautés chrétiennes, les pro- [)hctes chiéliens du premier âge n'avaient [)as l)esoin de se cacher, et ils ne; se cachaient i)as. L'Ai)ocaly[)se de Pierre est un taux, mais elle est moins ancienne (|ue celle de Jean, et elle n'a [)as le môme caiaclèie. Pour ce (jui est de sa rédaction origi- nale, notre livre est dans le môme cas que celui d'Hermas, ayant
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été présenté directement aux communautés d'Asie par celui qui l'avait écrit, comme le Pasteur a été d'abord présenté directe- ment à la communauté romaine. L'auteur de l'Apocalypse est un certain Jean, par ailleurs inconnu, qui, venu probable- ment de Palestine en Asie au temps de la guerre juive, se sera fixé dans la région, peut-être à Ephèse, et aura tenu dans la communauté, peut être dans plusieurs communautés, le rôle de prophète, alors assez commun.
La plupart de ces prophètes, il est vrai, n'ont pas laissé d'écrits ; mais on conçoit que tel ou tel d'entre eux ait été amené à écrire, si l'objet de son inspiration semblait réclamer une communication plus étendue que la communication orale faite par lui-même à là communauté dont il était membre. L'objet dé celte inspiration pouvait être, en effet, aussi varié que les préoccupations, soit ordinaires soit occasionnelles, des croyants. Cependant, il y a lieu de le remarquer, une œuvre comme l'Apocalypse n'a pas été conçue dans les mêmes condi- tions que les improvisations oraculaires dont parle la première aux Corinthiens (xiv. 29-33), suggestions subites de l'Esprit, aussitôt énoncées dans la réunion où elles se produisent et qui contribuent simplement à l'édification de ceux qui les enten- dent ; de telles prophéties, bien que données au nom de Jésus, n'étaient pas ordinairement retenues ni mises par écrit, bien que probablement une bonne partie des discours attribués au Christ, surtout dans le quatrième évangile, n'ait pas d'autre origine. Mais ces oracles particuliers, s'ils pouvaient avoir forme de vision symbolique avec interprétation, n'affectaient pas nécessairement ni ordinairement cette forme. L Apo- calypse n'est pas un oracle ni même un recueil d'oracles qui auraient été ainsi prononcés, par inspiration subite dans les réunions de la communauté éphésienne ; elle n'est pas un oracle dans le sens propre du mot ; elle est, du moins elle prétend être une vision que celui qui l'avait reçue a consignée par écrit. Mais il se trouve que, littérairement parlant, elle ressemble fort à une compilation ; c'est un livre mal composé, mais c'est d'abord un livre, et composé ; ce n'est pas une vision qui se serait déroulée tout entière dans les conditions qu'on nous dit et que l'auteur aurait été en mesure de reproduire exactement telle
A, LoisY, — V Apocalypse de Jean. ■*
^0 I. 'apocalypse de JEAN
qu'elle s'était passée dans son esprit. La rédaction suppose autre chose que des visions; elle suppose un travail prélimi- naire, des lectures, l'adaptation réfléchie des sources juives au point de vue chrétien. Si l'auteur avait été rationaliste, nous devrions dire que son livre est une édition nouvelle, et très frauduleuse, de prophéties antérieures qui n'étaient point arri- vées à leur échéance ; seulement l'auteur n'était point rationa- liste, il était croyant et même ardemment visionnaire ; c'est dans une atmosphère de vision qu'il a composé son livre ; tout comme Paul et les évangélistes ont vu dans les textes de l'Ancien Testament les images de la foi qu'ils portaient en eux, notre auteur a vu, dans les prophéties anciennes et les apocalypses plus récentes, la grande persécution que devait subir le christia- nisme et le grand triomphe qui devait suivre la grande persé- cution ; c'est dans une sorte de vision à lui personnelle qu'il a transposé les visions des autres. Si cette vision comporte une part très considérable d'illusion, l'auteur ne l'a point soupçonnée, il l'a lui-même accueillie, il l'a vécue, tout en la construisant lui même. Il est superflu de se demander s il n'aurait pas eu de visions originales ; ce qui est à dire, c'est que les thèmes de ses visions, — les sept lettres aux sept communautés sont aussi une vision. — n'ont pas tous été empruntés à des écrits antérieurs qu'il a exploités en composant le sien ; et pour mesurer exactement son originalité de prophète et d'écrivain, il faudrait posséder les sources dont il s'est servi.
Ce qui constitue pour nous l'originalité de l'Apocalypse est l'adaptation qui s'y fait, dans les conditions les meilleures pour la facilité de l'observation, à Jésus Agneau de Dieu et à la for- tune du christianisme, de toute l'apocalyptique juive, ainsi transformée en croyance chrétienne. L'artifice de l'adaptation nous paraît sensible, presque mécanique, parce (pie notre auteur l'a ainsi pratiqué pur des textes, dans sa rédaction. De ccl artifice la foi vivante n'avait pas conscience, et l'auteur lui-mênie ne s'en aperçoit pas. Cependant Ion a [)u soutenir, avec quelque apparence de raison, que l'Apocalypse était un livre juif où l'autcïji- n avait guère fait (piinlcrijolor le Chiist Agneau de Dieu. 11 est vrai seulement (pie le fond juif du livre se distingu(î très nettement sous le revêtement chrétien (pii
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est loin de le couvrir tout entier. L'élément chrétien ne laisse pas d'être prépondérant, bien qu'il ne soit pas matériellement le plus considérable. Cet élément a ici une couleur très particulière, qui n'est point celle des évangiles synoptiques, ni celle de l'évan- gile johannique, ni celle de Paul. Le Christ de l'Apocalypse n'est pas le prédicateur galiléen dont la tradition synoptique raconte les miracles et l'enseignement, ni le divin mystagogue qui révèle, dans le quatrième évangile, la gnose du salut, ni le Christ de Paul, soit son Christ mystique, âme de la commu- nauté, soit le Christ de sa gnose. Homme céleste, dont la chair crucitiée a emporté le péché de l'humanité. Il est l'Agneau immolé, dont le sang a purifié les croyants, devenu assistant au trône de Dieu, loué par toute la cour céleste, institué maître et révélateur des destinées du monde; il est aussi bien celui qui va venir, en roi des rois et seigneur des seigneurs, pour détruire la Bète, régner pendant mille ans sur la terre avec les siens, célébrer, sous des cieux nouveaux et sur une terre nouvelle, après la ruine définitive de Satan et le jugement de tous les hommes, ses noces éternelles avec sa fiancée, la nouvelle Jérusalem. La physionomie de ce Christ est. comme le livre même, plus d'à moitié juive en son caractère eschato- logique. Mais l'Agneau est chrétien, si le roi des rois, le cava- lier au cheval blanc, est juif; l'Agneau est le Christ Sauveur, l'objet du culte, l'esprit du mystère qu'est maintenant le chris- tianisme. On ne nous dit presque rien sur l'Agneau immolé, mais le nom même est sutïisamment éloquent. L'Agneau est le Christ que Paul appelait « notre pàque » (I Cor. v, 'j). Les hynmes à l'Agneau sont très significatives; car l'Agneau n'est tellement célébré dans la liturgie céleste que parce qu'il l'est dans la liturgie des communautés; on peut même se faire par ces hymnes une idée de ce qu'étaient les hymnes, « chantés au Christ comme à un dieu », dont parlera bientôt Pline écrivant à Trajan. Ainsi l'Apocalypse nous ouvre un certain jour sur la vie intense des communautés asiates et sur l'esprit qui animait leurs assemblées. Le Christ qu'on y vénère est « celui qui vient », le Christ de la parousie attendue, mais c'est aussi bien un Christ mystique, la victime divine qui a été immolée pour le salut des hommes croyants, « le premier et le dernier, qui est
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mort et qui est rcssuscilé », présent aux coiunuinautés qu'il ins- truit et qu'il dirige, à ses ndèles qu'il soutiendra dans l'épreuve et qu'il est prèl à couronner.
L'on peut donc, grâce à l'Apocalypse, se faire quelque idée de l'esprit qui régnait dans les communautés d'Asie vers l'an 90. Nous avons déjà dit que la nuance particulière, proprement apocalyptique, de ce christianisme, ne devait pas être, du moins au même degré, celle de toutes les communautés, que même elle pourrait bien n'avoir pas été universelle dans les communautés d'Asie, et que l'auteur a pu écrire non seulement pour satis- faire et encourager l'espérance apocalyptique, mais pour la rani- mer. En tout cas, la lièvre de cette espérance devait être déjà quelque peu modérée chez l'éditeur ou les éditeurs de l'Apo- calypse, ceux qui ont ménagé l'accouplement de l'Apocalypse au quatrième évangile. S'ils ont eu soin d introduire dans l'évangile la résurrection dernière et le grand jugement, dont ne semharrassail pas le premier auteur des discours évangé- liqucs, ils ont mis le Logos dans la description du vainqueur au cheval blanc, et dans les épitres ils se sont permis de dire que les faux docteurs delà gnose étaient l'Antichrisl annoncé, ce qui tém.oigne d'un certain désintéressement à l'égard de la Bête Néron. Bien que l'on ait recommandé l'Apocalypse dans l'évan- gile (Jn. XVI, i3) comme une révélation de l'Esprit sur les choses à venir, le seul fait d'associer l'Apocalypse à l'évangile mon- tre qu'cm II était plus sous l'ardente impression d'où le livre était sorti, que l'on avait subi l'inlluence toute ditTérente, plu- tôt contraire, du mysticisme évangélique, et que ce mysticisme n'avait pas seul payé les frais de l'accord. L'Apocalypse avait commencé de n'être plus comprise et d être conservée comme un livre mystérieux où les secrets de Dieu touchant l'accomplis- sement de l'espérance, au lieu d'être révélés pour encourager l'attente, avaient été mis sous le nuage des s\mboIcs jusqu'à ce (pi'ils sex[)li(juasscnl dans leur réalisation.
L'auteur de l'Apocalypse, en un moment critique, où peut- rire radiuiiiislralion romaine de la province d'Asie était plus ouvcilcincnl et plus (iécidément hostile au christianisme et à sa pro[>agan(lc, auia été l'organe de l'espérance chrétienne, dont nous ne possédons aucun document phis com[)lct. On doit dire
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pourtant qu'il a exprimé plutôt la toi encore enthousiaste du christianisme oriental que la foi déjà plus rassise des commu- nautés d'Occident, surtout de la communauté romaine; que, dans son milieu aussi, des individus et même des groupes chrétiens étaient plus détachés de l'apocalyptique juive; enfin que sa somme apocalyptique représente une forme, savante à sa façon, de la foi ancienne, et par laquelle cette foi, eu égard à celle de Jésus et du premier groupe croyant, est plutôt interprétée, rema- niée et presque scolastiquement développée, que simplement conservée. Le livre n'en fut pas moins bien accueilli partout, même en Occident, et ce fut l'Occident qui le sauva du discré- dit qui, au iiP siècle, l'avait atteint en Orient, où on le compre- nait encore assez pour n'en pouvoir être pleinement satisfait. Le christianisme occidental, moins spéculatif dans sa croyance et moins savant, plus massif dans ses espérances, ne sentit pas, comme le christianisme alexandrin, la faillite du millénarisme; et de là vient que l'Apocalypse a été finalement maintenue dans le canon du Nouveau Testament, où aucun écrit similaire ne fut conservé. La tradition occidentale ne laissa pas sérieusement fléchir la confiance qu'elle avait d'abord faite aux éditeurs éphé- siens de la bibliothèque johannique.
On peut voir dans l'Apocalypse, aussi bien et mieux peut- être qu'en aucun autre document du christianisme primitif, comment la gnose mystique du paganisme oriental, plus ou moins hellénisé, s'est infiltrée dans la pensée juive et chré- tienne, combien aussi la croyance eschalologique et le mythe du salut, dans le temps où s'est formée la foi chrétienne, primaient toute tradition historique touchant la vie de Jésus et les origines du mouvement chrétien. Car de l'existence terrestre de Jésus l'Apocalypse ne nous apprend rien, si ce n'est, incidemment, qu'il a été crucifié à Jérusalem (ix, 8). Avec l'enseignement que les évangiles attribuent à Jésus la correspondance est à peu près nulle, sauf pour le discours sur la fin du monde, discours fictif et qui n'appartient pas lui-même au plus ancieii fonds de la tradition évangélique. Ce qui caractérise notre livre est l'adap- tation de toute la mythologie apocalyptique au thème de Jésus, Christ de la foi chrétienne et objet du culte chrétien. Nulle indication n'est à en tirer touchant les débuts du christianisme
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en Asie; à peine y peut-on prendre quelque idée de la situa- lion intérieure des communautés asiates vers la fin du F"" siècle. Il n'en est pas moins signilicalif que l'Apocalypse et le quatrième évangile aient pu naître à peu près en même temps dans le même milieu, être présentés ensemble aux communautés comme étant du même auteur, être acceptés ainsi sans grande difficulté., fmalement gardés Tun et l'autre, exercer sur la tradition, chacun selon sa nature propre, une inlluence considérable. Le fait montre que le christianisme a été capable d'absorber des éléments foi't disparates, et de les digérer tant bien que mal sans en être sérieusement incommodé.
§ V. — La forme littéraire, le style
ET LE LANGAGE DE l' APOCALYPSE
Ainsi qu'on l'a pu voir par l'analyse qui a été donnée ci-des- sus, l'Apocalypse, au point de vue littéraire, n'est ni un chef- d'œuvre, ni un livre trop mal composé. En comparaison de Daniel et d'autres apocalypses, le plan de la nôtre peut sem- bler assez régulier et satisfaisant. On ne peut pas néanmoins se dissimuler que, s'il n'y a pas précisément de morceaux inutiles, il y a beaucoup de digressions, les matériaux débordant le cadre, et l'ensemble donnant un peu trop l'idée d'une compilation dont l'auteur n'a pas pris la peine de s'assimiler assez tous les élé- ments pour éviter les incohérences, les doubles emplois et les contradictions. Les descriptions ne sont pas dépourvues de gran- deur ; encore est-il qu'elles ne sont pas toujours équilibrées, cer- tains traits, à l'occasion, se présentant comme des surcharges. Les redites ne manquent pas, mais il en est qui peuvent être dues à l'éditeur. Du reste, le plan est trop mathématique, trop enchilïrcs.et trop artiticiel pour notre goût. Il est trop visible que les trois séries de sept lléaux ressassent la même matière ; et il y a quelque déception pour le lecteur à voir reculer la tin, que chaque série de fléaux semblait devoir introduire immédiate- ment. Mais on ne doit pas oublier que les divisions arithmétiques ne sont pas i)our l'auteur un expédient littéraire, un moyen d'amplification ; elles ont une valeur mystique et par là rentrent
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dans l'esprit de sa révélation. Sa description de la ruine de Rome-Babylone est d'une rhétorique un peu simple et ver- beuse, mais elle vient des anciens prophètes. Celle de la Jéru- salem nouvelle est trop en or et pierres précieuses, mais qu'imaginer pour donner du brillant à cette cité surnaturelle où il convient que tout resplendisse? L'auteur s'est conformé aux lois du genre, et les modèles qu'il a suivis, qu'il a même large- ment exploités, n'étaient point dans la littérature classique, mais dans la littérature juive. Il a cependant, même au point de vue littéraire, opéré une adaptation qui a produit l'unité relative de son œuvre, comme elle lui communique une vie particulière, et une force de sentiment très impressionnante. Sa révélation affecte la forme d'une épîlre, elle devient une instruction donnée au nom du Christ par le prophète, mais directement adressée à tels destinataires. Il est vrai que dans le corps du livre, après la première partie, faite de sept sous-épîlres, le genre épislolaire n'est point soutenu, et qu'il reparaît seulement dans l'épilogue. Encore est-il que l'auteur est censé raconter par lettre à ses lecteurs l'ensemble de ses visions. Sa prophétie se trouve n'ap- partenir en toute rigueur à aucun genre déterminé. Elle n'en est pas moins puissante, quoique de caractère hybride, comme elle est originale, quoique faite, en grande partie, de pièces et de mor- ceaux.
Renan {L'Antéchrist, \n\r . xxxi), a dit que l'Apocalypse était un livre « pensé en hébreu », écrit dans a un grec calqué sur l'hébreu ». Le caractère de la pensée n'est pas discutable, et il s'explique d'autant plus facilement que Lauteur, outre qu'il était lui-même d'origine et d'éducation palestiniennes, lisait l'Ancien Testament en hébreu et qu'il a utilisé des sources, des apocalypses juives, dont plusieurs, sinon toutes, avaient été composées en hébreu ou en araméen. Il a donc tout naturelle- ment emprunté le style biblique de l'Ancien Testament, et l'on y reconnaît facilement le parallélisme des livres hébreux. Il est permis toutefois de se demander si ce style n'accuse pas d'autre influence que celle des Ecritures juives, car il a un ton et un rythme qui ne sont pas tout à fait ceux des anciens écrits prophétiques. Ce n'est pas Daniel, avec sa molle et quelque peu insignifiante phraséologie, qui en a fourni le
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modèle. Ce style ressemble assez à celui des discours johanniques, c'esl-à-dire qu'il aie ton oraculaire et une façon de détailler les phrases en membres parallèles, non pour le sens, mais pour la coupe, et qui ne sont pas non plus isométriques, comme les vers hébreux. L'auteur n'écrit pas en vers grecs, mais, bien que son grec soit assez médiocre, comme nous Talions voir, ce langage quelque peu barbare ne laisse pas d'être fort étudié pour ce (jui est de la cadence et de l'harmonie. Non seulement les fragments de canliques sont rythmés, les discours le sont aussi, et même les descriptions. Les lettres aux sept communautés, toutes sur le même type, sont, en leur genre, de petits poèmes artistement construits, on pourrait presque dire musicalement écrits. Le plus considérable des récents commentateurs de TApocalypse (R. H. Charles) a édité le texte complet de l'Apocalypse: c'est à peine si certaines phrases de transition, quelques descriptions ou parties de description ne se laissent pas, au premier coup d'œil, découper en membres parallèles et rythmiques ;' encore, si on laisse de côté les gloses rédactionnelles, ces éléments ont-ils aussi leur harmonie. L'auteur s'est donc fait une sorte de style sacré, très original, qui a, du reste, été pratiqué sous des formes plus ou moins variées, dans les autres livres du Nouveau Testament, et pour lequel il n'a pas dû être influencé seulement par les poèmes hébreux et la version des Septante.
Celte recherche du rythme dans le discours et d'une certaine harmonie vocale dans la phrase est d'autant plus remarquable (|ue le grec de l'auteur est franchement incorrect ; il l'est même si franchement qu'on est parfois tenlé de se demander s'il ne l'est pas volontairement et par une sorte d'affectation qui serait aussi bien en rapport avec le caractère du livre. D'abord l'incor- rection ne fait pas doute (le sujet a été traité à fond et complète- ment par Charles dans l'inlroduclion à son commentaire, I, ex VII cLix, chapitre inlilulé : « une courte grammaire de l'Apo- calypse », où sont minulieusement recensées toutes les particu- larités du langage jolianni<iue ; cette belle élude n'est pas à recommencer, et le plan du présent travail ne [)ermet pas même d'en essayer une analyse sommaire ; force nous est d'y renvoyer simplement le lecteur (jui s'intéresse à cette question de lin- guistique). Jusqu'à ces derniers temps il était admis que le
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lang:age de l'Apocalypse était fortement teinté d'hébraïsme ; mais les progrès réalisés, eu suite des récentes découvertes, dans la connaissance du grec vulgaire, ayant montré que la langue des Septante et du Nouveau Testament était en général le grec commun et non un grec tout hébraïsé, on s'est risqué à soutenir que les singularités du grec dans notre livre étaient conformes au langage vulgaire. Le savant le plus qualifié en cette matière n'hésite pas à déclarer que le caractère linguistique de l'Apocalypse est absolument unique (Chaules, I, cxliii), très différent de celui des Septante, des autres versions et des apo- cryphes de l'Ancien Testament, aussi de la langue des papyrus, bien qu'il s'accorde en plusieurs points avec ces témoins du grec récent. « Aucun document littéraire du monde grec ne pré- sente une telle abondance de solécismes. » La raison générale de ce fait n'est pas que le prophète Jean ait voulu défier la grammaire, mais qu'il pensait en hébreu et qu'il savait mal le grec. — Sans doute faudrait-il ajouter qu'il n'avait pas grand souci d'exactitude grammaticale et qu'il lui suffisait de traduire sa pensée selon son propre goût. — Son grec a souvent besoin d'être mis en hébreu pour être compris et traduit exactement (phrases comme celle-ci, i, 5-6 : -w àyaTrwv-:'. r^'^i; xal Xûo-avT'. Y.ijLà;... xal s770'/riT£v r.aàç paa-'-Aslav, qui doit s'entendre et traduire : (c A celui qui nous a aimés,... et quia fait de nous un royaume »; ou encore, i, i8 : irto tw. 6 tzowtoç... xal 6 Çwv xal èysvounriv ^zy.^ô:;,3i traduire : « Je suis le premier et le dernier, celui qui vit et qui fut mort »; ou bien xiii, l5 : xal jooGti aùrr, oojva'.... xal Trouîcrr,, « et il lui fut attribué de donner... et de faire » ; de même, xii, j : « 6 M'.ya7,X ... TO'j T^oAsar, cra'., « Michaël et ses anges avaient à combattre », cf. xm, lo ; les sens secondaires d'un mot hébreu peuvent être attribués au mot grec qui en traduit le sens prin- cipal, par exemple o'.oôvat, est employé dans les diverses accep- tions de l'hébreu nathan ; conslruclions comme 6 vixtùv owarto ajTw II, 26 ; m, 12, 21 ; ou à-ô 'Ir.ToO Xp'.o-TOJ 6 aàpTJv; 6 t^itzÔz, I, i5 ; T, cscovr,... /iycov, iv, I ; sans compter ce qu'on pourrait appeler les solécismes de distraction, comme to a'j<7-:/p!,ov wv i-Tz-zb. ào-'ÉGCov... xal Ta; ï~-b. X'jyvla;, i, 20 ; izory^rf.fîj'yo'J'S'.... 7:sp',p£[îiA7ia£vo'jç, XI, 3 ; etc.). La plus extraordinaire de ces irrégularités est celle que présente la formule solennelle par
58 l'atocalypsk dk .iea\
laquelle est assez fréquemment désignée la divinité : « celui qui est, qui était et qui vient », dont la structure même est incor- recte, et que l'auteur fait de plus invariable (ainsi, dès le début, I, 4 • ^■~^-> 'j <'^'' >'•*'• '^ 'V-* '^-i^'-^j £r/o|jL£voç. Remarquer l'emploi de r.v avec l'article, et la coordination de cette forme verbale à deux participes). C'est que la définition^ de l'être divin n'est pas sou- mise aux règles de la grammaire. Il n'est donc pas trop témé- raire de penser que, si l'auteur se met tellement à son aise avec la syntaxe, c'est qu'il considère le droit au solécisme comme un des moindres privilèges qui appartiennent à sa fonc- tion prophétique.
En dehors des éditions critiques du Nouveau Testament, une édition spéciale du texte de l'Apocalypse a été publiée par B. Weiss (Z)/6' Jolicuines Apokalj'pse, 1891, 1902). Discussion solide et documentée dans l'introduction au commentaire de W. Bousset. Discussion et édition dans le commentaire de Charles (mais, dans les derniers chapitres et en d'autres endroits, l'auteur, mêlant la critique littéraire à la critique proprement textuelle, a disposé le texte en conformité de ses opinions touchant l'ordre primitif des visions, le caractère d'addition rédactionnelle ou de glose qui appartiendrait à tel ou tel pas- sage). Etant données ses incorrections, il était naturel que le texte fût retouché plus ou moins par les recenseurs ou par les copistes, et il Ta été. On conçoit donc que Charles ait classé les témoins d'après la façon dont ils ont traité les singularités du langagejohannique. Il n'y a pas de texte neutre que l'on puisse considérer comme représentant exactement le texte primi- tif. Les trois plus anciens manuscrits grecs qui contiennent notre livre, A. (c. Alexandriniis), C (palimpseste d'Ephrem), S (c. Sinaiticus) ne sont pas de la môme famille, A et C marchant ensemble, mais A étant sensiblement meilleur, et S représentant un texte plus retouché (cas typique cité par Charles, I, clx : dans les adresses des lettres aux sept commu- nautés, la construction conforme au langage de l'auteur est -:(o àvv3"/.(.) -7(0 — et non ty'.ç — h/ 'Iv^étw £/.-/AY,TLa; ypà-j/ov, et A relient la forme correcte dans trois adresses, 11, i, 8, 18; G dans une seule, II, I ; S a partout ty,; au lieu de tw). La Vulgate hiéro- nymienne est un excellent témoin à côté de AC, qu'elle peut
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servir à contrôler. Le texte latin de Primasius se rapprocherait plutôt de S, ainsi que les autres témoins de l'ancienne version latine. Il va sans dire que si les variantes sont extrêmement nombreuses, il en est relativement peu qui soient de consé- quence pour l'intelligence du texte. Même la variante, signalée déjà par Irénée, touchant le chiffre de la Bête (G et Ticonius lisent 6i6) est plus curieuse qu'importante.
On ne se flatte pas d'apporter ici une nouvelle clef pour l'in- terprétation d un livre où, plus peut-être qu'en aucune autre partie de l'Ecriture, la tradition a cherché ce qui n'y était pas. L'on a conservé autant que possible dans la traduction la couleur et le rythme de l'original. Quant au commentaire, il se propose d'expliquer clairement le contenu réel du texte, l'aflir- mation de l'espérance chrétienne et sa définition par les moyens de l'apocalyptique juive, transposée dans le mystère chrétien.
L'APOCALYPSE DE JEAN
' Révélation de Jésus-Christ, Que lui a donnée Dieu, Pour montrer à ses serviteurs Ce qui doit arriver bientôt, Et qu'il a notifiée,
L — Le titre
Le livre de la grande révélation est pourvu d'un litre assez développé (i, i-3), qui en fait connaître l'auteur et l'objet, et qui la recommande en même temps à la considération du lecteur. A proprement parler, le livre commence par l'adresse à sept com- munaulés de la province d'Asie (i, 4-^)- Q^i ^^^ ^^^^ apparem- ment destinataires, ensuite d'une vision inaugurale (i, 9-20) par laquelle est introduite immédiatement la première partie du livre (ii-iii), les sept lettres adressées aux sept communautés.
« Révélation de Jésus-Christ, que lui a donnée Dieu, » — On ne rencontre pas le mol « révélation » (àîroxà'AJ !>•.>:) dans les écrits johanniques, si ce n'est dans le titre du présent livre. L'usage du nouveau Testament y attache le sens de communication inté- rieure concernant les secrets divins (cf. 1 Cor. xiv, 26). Avec cette acception le mot se rencontre déjà dans l'Ecclésiastique (xLii, i). Ici la révélation s'entend de secrets en rapport avec l'avenir messianique, la parousie du Seigneur et l'accomplisse- ment du règne de Dieu. La révélation est de Jésus-Christ en tant que faite par lui (cf. Gal. i, 12 ; II Cor. xii, i), qui en a reçu de Dieu le contenu, à un prophète qui la transmet aux commu- nautés chrétiennes. — « Pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. » — Dieu a donné au Christ la connaissance de ses desseins pour que lui-même la « montre « (osl^a.), la ré\cle en vision (cf. xxi, 9-10 ; xxii, 8) à ces serviteurs de Dieu que sont les prophètes (cf. xxii, 6), comme le dit Amos (m, 7).
62 APOCALYPSE DE JEAN, I, 1
Envoyant (message) par son ange, A son serviteur Jean,
Mais il s'agit naturellement ici de prophètes chrétiens (cf. x, 7 ; XI, 18) ; la suite de la phrase indique assez que parmi ces pro- phètes l'auteur est compté lui-même, et sans doute comme celui de tous qui a reçu la révélation la plus ample. Il n'en a pas moins existé beaucoup d'autres prophètes qui ont été antérieu- rement favorisés de révélations partielles sur le même sujet. Ces révélations concernent ce qui doit arriver bientôt, la parousie du Christ et l'avènement du règne de Dieu étant censés proches. Qu'un avenir illimité s'ouvre sur la terre à l'existence de l'Eglise, c'est ce que notre texte ne soupçonne même pas. Ce sera bientôt la lin, et ce doit (osl) être bientôt, Dieu l'ayant ainsi décidé (cf. Dan. 11,28).
Cette révélation, le Christ, — non pas Dieu, car le sujet change au cours de la phrase, — « l'a notitiée (îorîaavsv ; cf. Jn. xii, 33 ; xviii, 32 ; XXI, 19) en envoyant message paj? son ange », — pouf cet objet spécial, — u à son serviteur Jean » — (cf. xi, 18 ; xix, 10 ; XXII, 9). Ce Jean est dit serviteur du Christ, comme Paul (Ko.M.i, I ; II Cor. iv, 5; Gal. i, 10; Phil. i, i ; cf. Jac. i, i; JuD, I. I ; II PiER. 1, i), mais en sa qualité de prophète, non d'apôtre. Le messager des révélations célestes est celui dont parlent Daniel (viu, iG; ix, 21-22) et Zacharie (i, 9, i3 ; 11, 3 ; cf. IIÉNocii, xviii, 14 ; XIX, I, etc. : IV Esdr. iv, i ; v, 20, 3i ; VII, i) ; mais on est quelque peu embarrassé de le reconnaître dans l'Apocalypse, oîi interviennent quantité d'anges, et non pas seulement un seul, qui serait l'organe de toutes les révélations faites à l'auteur. C'est seulement dans les derniers chapitres, à I)artir du ch. xvii, que l'on peut suivre l'intervention d'un même aiige(xvii, r, j, i5 ; xix, 9 10 ; xxt,5, 9 ; xxii, i), qui, aussi bien est visé dans l'épilogue (xxii, G, 8-10, 16), de la même façon qu'ici, comme organe de toutes les communications qui ont été faites au voyant. C'est pourquoi l'on a supposé que notre litre (i. i-3j avait été ajouté par l'auteur lui-même au livre déjà com- jiosé entièrement, et sous rinlluence des derniers chapitres. On ;i supposé aussi, et plus vraisemblablement, que le litre était de 1 t(lileur (|ui reprend la i)arole à la lin du livre (xxu, 18-19); mais
APOCALYPSE VE JEAN, I, 2-3 63
■ Qui s'est porté témoin de la parole de Dieu Et du témoignage de Jésus-Christ, De tout ce qu'il a vu.
' Heureux celui qui lit Et ceux qui entendent les paroles de la prophétie,
le rapport est aussi bien avec l'ensemble de l'épilogue (cf. xxn, 6, 8-io). L'emploi de la troisième personne n'obligerait pas d'at- tribuer le titre à un autre que l'auteur lui même, si l'on ne mon- trait si grand souci de relever son « témoignage « et l'impor- tance de son livre.
Jean est le nom de l'auteur, qui va entrer directement en scène dans l'adresse aux sept conmiunautés. C'est lui — « qui a attesté la parole de Dieu et le témoignage du Christ », — c'est-à-dire la vérité révélée par le Christ, et qui concerne le Christ lui-même, témoignage qui, dans le cas de Jean, se définit en — « tout ce qu'il a vu ». — Jean a ft va » la parole de Dieu et le témoignage du Christ, parole et témoignage qui seraient le contenu du livre ainsi annoncé au lecteur. Dieu, le Christ, le prophète sont les trois agents de la révélation qui ont été indi- qués au commencement de la phrase, à quoi cette (in correspond. Comme la formule rappelle ce qui se lit dans le quatrième évan- gile et dans la première épître johannique touchant l'apôtre qui rend témoignage au Christ (Jn. xix, 35 ; xxi, 21 ; cf. Jn, i, 14 ; I Jn. I, 1-3), on a souvent pensé que ce préambule impliquait ou atïirmait l'identité de l'auteur avec celui de l'évangile. Tel pourrait être le sens du titre, si l'éditeur est à distinguer de l'au- teur principal, quoique l'on puisse, en rigueur, rapporter ces indications à l'objet du présent livre, « tout ce que Jean a vu » dans les visions qui vont être décrites, « la parole de Dieu » et « le témoignage dé Jésus-Christ « se confondant avec la « pro- phétie » dont l'épilogue s'efforcera de garantir la conservation intégrale (xxii, 18-19). L'insistance qu'on meta relever « l'attes- tation » ne laisse pas d'être significative {hJ.aa-•Jz■f^7ty... r}:^ 'j.-j.z- -z-joiyy ItiO-oj Xc.o-toj. Cf. Wellhausen, 4)
De cette prophétie l'on fait valoir maintenant l'excellence et l'utilité, pour la recommander à la lecture publique dans les communautés chrétiennes. — «Heureux celui qui lit et ceux qui
64 APOCALYPSE DE JEAN, I, 3
Et qui retiennent ce qui y est écrit, Car le temps est proche!
entendent les paroles de la prophétie ». — Le lecteur est distin- gué des auditeurs, précisément parce que, dans les réunions de la communauté, il y a un seul lecteur (6 àvav.vwTxtov, dont le titre officiel sera plus tard 7.vavv(ÔT-:r,ç) pour un grand nombre d'auditeurs. Il ne s'agit donc pas de lecture privée. Ce trait sup- pose les communautés bien organisées, avec un service régulier de lectures publiques (comme dans les synagogues, cf. Charles I, "j), 011 les écrits de prophètes chrétiens pouvaient trouver place à côté des Ecritures anciennes et probablement aussi delà littérature évangélique. On n'a pas trop lieu de s'en étonner, puisque les prophètes chrétiens avaient commencé par parler dans les réunions sous l'impression immédiate de leur inspira- tion. La communication d'écrits pourrait attester déjà une cer- taine décroissance de l'inspiration prophétique et de son crédit. D'ailleurs le cas de Jean n'est point isolé : le Pasteur d'Hermas est divulgué dans des conditions analogues, puisqu'il doit être lu par l'auteur en personne à la communauté romaine, et que Clément sera chargé d'en faire part aux communautés du dehors (Hermas, Vis. II, 4); mais, dans le cas d'Hermas, on entrevoit le contrôle ecclésiastique par lequel l'action directe de la pro- phétie sera efieclivcmenl supprimée dans la vie des communau- tés.— « El qui retiennent ce qui y est écrit. » — Lecteurs et auditeurs de la prophétie écrite par Jean doivent s'estimer heu- reux d'en avoir obtenu connaissance, parce qu'ils n'y trouveront pas seulement l'annonce des événements (jui vont se produire, mais un puissant encouragement à persévérer dans la foi à tra- vers les terribles épreuves qu'ils auront à subir, la persévérance étant la condition pour (Mrc admis au triomphe qui lui aussi suivra bientôt la tribulalion. La révélation ayant aussi bien un caractère moral et pratique, il ne sudit pas delà connaître, mais d'en rete- nir, d'en observer les instructions (cf. Le. xi, 28 ; Jn. mi, 47), et avecd autant plus d'empressement que — « le tempsest proche », — que la (in est imminente (cf. Rom. xiii, 11 ; 1 (^oii. vu, 29). On a remarqué (Charles, I, 3) que l'Apocalypse conlienl sept béatitudes (cf. siipr. p. 22).
APOCALYPSE DE .IKAN, I, 4 65
* Jean, Aux sept communautés qui sont en Asie :
II. — L'adresse aux sept communautés
« Jean » — s'adresse directement — « aux sept communautés qui sont enAsie. » — Les sept sont un nombre déterminé, voulu ; il faut bien sept communautés pour qu'il y ait sept lettres qui, dans la partie préliminaire du livre, correspondent aux séries des sept sceaux, des sept trompettes et des sept coupes dans le corps de la prophétie, Il faut bien qu'il y ait sept Eglises, comme il ya sept esprits devant le trône de Dieu, sept étoilesdans la main du Fils de rhomme,sept candélabres autour de lui, etc. Ce n'est peut-être point par hasard que les communautés men- tionnées se trouvent être sept des quatorze lieux de tribunaux {conventus juridici) qui existaient dans l'Asie proconsulaire (Marquardt, Rœm. Staats^'erwaltiing , V S^o-'^f^i), la province romaine qui est ici visée. Quoiqu'il en soit, lésa sept communau- tés », dans leur totalité mystique, figurent, d'une certaine façon, l'ensemble des communautés chrétiennes, l'auteur s'adressant d'ailleurs immédiatement aux communautés d'Asie, avec plusieurs desquelles on peut croire qu'il a été en relations et où il est connu personnellement. La province d'Asie comptait d'autres communautés qui ne sont point mentionnées ici ; celles de Colosses, Hiérapolis, Troas, dont la fondation remonte au temps de Paul, comme celle d'Ephèse et celle de Laodicée, n'avaient point disparu ; celles de Magnésie et de Tralles existaient pro- bablement. Par conséquent la présomption est que les sept lettres qu'on lira bientôt, quoique conçues plus ou moins en rapport avec la situation spéciale des communautés auxquelles on les voit nommément adressées, ne sont pas de vraies lettres, une cor- respondance apostolique de même caractère que les lettres au- thentiques de Paul, mais un élément de la grande prophétie qui est l'objet du livre dont ces lettres font partie. A travers les sept Eglises asiates, l'auteur vise toutes les Eglises et T Eglise. L'ar- tifice de la perspective apparaît en ce qu'une adresse générale (i, 4-20) aux sept Eglises précède la série des lettres respective-
A. LoisY. — L'Apocalypse de Jean. 6
66 APOCALYPSE DE JEAN, I, 4
Grâce à vous soit et paix, De la part de Qui est
Qui fut
Qui vient ; De la pari des sept esprits Qui sont devant son trône ;
ment adressées à chacune d'elles. Au surplus, le livre enlier est présenté comme une leltre destinée « aux saints » (xxii, 21).
Aux sept communautés Jean envoie, mais en forme originale- ment amplifiée, le salut chrétien que l'on rencontre dans les épîtres de Paul. — « Grâce et paix » — ne sont pas simplement annoncées de la pari de Dieu le Père et du Seigneur Christ ; l'au- teur, faisant intervenir une façon de trinité, invoque, dans une triple paraphrase, Dieu, les sept esprits et le Christ. Au lieu de « Dieu le Père » . il dit^ et plus loin (v, 8 ; iv, 8) il répétera :' « Celui qui est, qui fui et qui vient. » On attendrait : a qui sera »), mais la perspective du grand jugement fait dire de Dieu qu'il y vient », comme on le dit du Messie. Dans l'Eternel se résument les trois temps, passé, présent, futur (cf. Reitzenstein, Z)a.s iiYtniscJie Erlœsiingsmysteriiim,i![^). Grammaticalement la formule est aussi incorrecte qu'il est possible de l'imaginer : un nominatif, «l'étant », vient en complément d'une pré[)08ition ;à-ô6tov) ; une forme verbale, « était ». est précédée de l'article (0 y,v). De pareils solécismes ne peuvent pas être inconscients ; la formule tripar- lile est une façon de nom indéclinable qui correspond et se rat- tache au biblique « l'étant » (6 wv), expression élymologi(jue de rineffable lahvé dans la version des Septante (Ex. m, 14). Les targums cl la littérature rabhinique oct la paraphrase : 0 qui fut, qui est et qui sera» (Cuai;les. I, 10). Une influence immédiate (lu langage religieux non juif n'est donc pas à présumer (voir les formules citées Bauer, f\'2'i ; Chaules, /oc\ci7.) ; mais ce n'est pas à dire <pie la Iradilioa judéo-helléniste dont dépend notre auteur ait échappé à toute influence non juive; du moins cette inlliience a|)parait-elle chez lui rabbinisée pour ainsi dire jusque dans la forme.
Entre Dieu et le C'hrisl viennent — « les sept esprits qui sont devant le trône » — de Dieu. Les sept esprits seront attribués au
APOCAl.YPSI': DK Jl<:\iN, I, 4 67
Glirist, en même temps que les sept étoiles qu'il a en sa droite, dans la lettre à Sardes (m, i) ; dans la description du monde céleste (iv, 5), ils sont identifiés expressément aux sept flambeaux qui sont devant le trône de Dieu ; plus loin(v, 5), ils sont iden- tifiés non moins expressément aux sept yeux de l'Agneau ; enfin ce sont les sept anges qui se tiennent devant Dieu et à qui l'on donnera les sept trompettes (viii, 2). On ne peut guère s'empê- cher de les identifier aussi aux sept candélabres entre lesquels apparaît le Christ (i, 12) et aux sept éioiles qui sont dans sa main (i, 16, 20). Mais, une fois en si beau chemin, l'on n'a pas motif de s'arrêter, et force est d'aller jusqu'à l'identification des sept esprits aux sept anges auxquels sont respectivement adres- sées les sept lettres. En c s conditions, il n'est pas possible que les sept esprits représentent une idée simple: ils doivent loucher de près à Dieu, puisque nous les voyons mentionnés après Dieu et avant le Christ ; d'autre part, ils sembleraient être au Christ comme à Dieu ; et dans les sept lettres le Christ leur parle comme s'il était leur supérieur. Notre formule Irinitaire a dans l'ancienne littérature chrétienne un parallèle qu'il n'est pas inop- portun de rappeler, avant de risquer l'explication des sept esprits : Justin (I Apol. 6) écrit que les chrétiens adorent, avec Dieu, le Fils venu de sa part, l'armée des autres bons anges qui lui ressemblent, et l'Esprit prophétique. Mais, dans notre pas- sage, les esprits angélicjues passent avant le Christ : c'est que les sept esprits, de même que les bons anges de Justin, appar- tiennent, comme le Christ, au monde divin. Reste à savoir d'où viennent les sept esprits et comment s'expliquent les identifica- tions, apparemment si disparates, auxquelles se livre notre auteur. Ce que dit celui-ci n'est pas plus étrange que ce que dit Hermas, rangeant le Christ parmi les sept anges et lui attri- buant la place de Michaël (cf. Hermas, Vis. m, 4 ', Sim. v, 5, VIII, 3 ; IX, 6-12) Comme l'auteur combat (xxii, 89 ; xix, 9-10) le culte des anges, on a proposé de voir là une interpolation ancienne (Charles, 1,9; II, 23^); mais il ne s'agit pas précisé- ment de culte, ni d'un ange, ni des anges, mais des sept esprits les plus considérables du monde céleste, et qui ont semblé pou- voir, à certains égards, être nommés avant le Christ. La tradition juive et la tradition chrétienne ont trouvé dans un
68 APOCMYPSK DE JEAN, I, 4
passage d'Isaïe (xi, 2-3) sept formes ou sept dons de l'Esprit divin. Mais ce ne peut pas être du seul passage d'Isaïe que pro- cède l'idée si complexe de notre auteur, idée qui pourtant devait être assez familière à ses lecteurs, puisqu'il la suppose connue et qu'il ne prend pas la peine de l'expliquer autrement. Au sur- plus, ni l'inlerprétation d'Isaïe n'a été simplement déduite du texte, ni les sept esprits de l'Apocalypse ne sont simplement sept qualités de l'Esprit divin ou ses sept manifestations dans les àmeà Ce peuvent être des personnalités déconcertantes pour nous, mais ce sont des personnaliés comme Dieu et le ('hrisl, bien que ces personnalités rentrent plus ou moins dans la per- sonnalité de Dieu et aussi dans celle du Christ. Que les sept esprits de l'Apocalypse soient les sept archanges que connaît la tradition juive (Tob. xii, i5 ; Z^énoch, xx, grec, etc.), il n'y a guère lieu d'en douter; et que les sept archanges delà tradition juive et chrétienne (cf. Le. i, 19) correspondent aux sept Ame- sha-spenta do la religion perse, et aussi, originairement, comme ces derniers, aux dieux babyloniens des sept planètes, rien n'est plus vraisemblable, quoique les conditions historiques de ce rap- port ne puissent pas être déterminées avec précision. Le point de départ est dans la religion astrale de Babylone, et ce n'est pas par une fantaisie personnelle de notre auteur que les sept esprits se trouvent être sept astres (i, 16, 20). On a pensé aussi aux sept vents (BoLL, 22), et ce qui est dit (v,6) des « sept esprits de Dieu qui sont envoyés par toute la terre » convient mieux aux vents qu'aux astres : mais la présomption de priorité appartient plutôt aux sept divinités planétaires qu'aux sept vents. Dans le môme passage il est dit que les se[)t yeux de l'Agneau sont les sept esprits, ce cpii convient mieux aux astres, et en même temps suggère que les esprits sont sept forces ou sept formes de l'acti- vité divine, soit en Dieu même, soit dans le Christ. Une telle con- ception nous rapprocherait des Amesha-spenla dans leur rap- port avec le Dieu suprême. Et qui sait si la théologie mithriaque ne signalait pas entre les Amesha-spenla et Mithra quelque rapport analogue â celui (pie nous voyons entre les sept esprits et le (Miiist ? Toujours est-il (jue nos sept esprits, qui sont des anges, tiennent à la fois des astres ou des divinités astrales dont ils procèdent originairement, cl des formes personniliées
APOCALYPSE DE JEAN, I, 5 69
" Et de la part de Jésus-Christ, Le témoin fidèle,
de la vertu divine qu'ils sont devenus dans les Amesha- spenta. Une considération n'exclut pas l'autre, et les sept formes de l'Esprit divin, que l'on a trouvées dans Isaïe, ne sont point incompatibles avec la notion des sept esprits personnels que l'on pourrait qualifier d'assistants au trône de Dieu. Et comme les sept communautés d'Asie représentent toutes les communau- tés du Christ et l'Eglise de Dieu, il n'est pas non plus étonnant que les sept esprits gouvernent les sept communautés. C'est l'Esprit de Dieu qui régit l'Eglise entière. Seulement l'adapta- tion des sept esprits aux sept communautés fait que chaque esprit devient en quelque façon la personnification de la com- munauté qu'il est censé conduire : ainsi en est-il pour les dieux nationaux dans les cultes païens. Alors la personnification individualise l'ange au point de l'aire oublier provisoirement qu'il est un aspect de l'action divine universelle.
Au fond, le Christ, dont la position métaphysique n'est point expressément marquée en cet endroit, appartient à la même catégorie transcendante que les sept esprits. S'il a pu être nommé après eux dans la présente énumération, ce ne doit pas être seulement parce que la mention du Christ est un élément chré- tien, surajouté à l'expression coutumière de la croyance juive sur Dieu et les sept esprits. Une telle juxtaposition aurait été évitée, si elle avait choqué le sens chrétieu de l'auteur. Celui-ci perçoit au moins vaguement qu'un rapport analogue unit à Dieu, source de vie transcendante, et les sept esprits et le Christ esprit. On dirait que Dieu, les sept esprits, le (Christ constituent une façon de plérôme divin, et que le Christ vient en dernier lieu pour la facilité que cette disposition offre à un développement touchant le rôle de ce grand témoin de Dieu devant l'humanité, de ce médiateur, de ce sauveur, qui doit bientôt apparaître en grand triomphateur.
« Et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle ». — Les titres de Jésus : « témoin », etc., viennent au nominatif après le nom au génitif, que réclame la proposition dont il dépend (cf-Ttolr^aoù Xp'.TToCi, 0 [j-àoTu; xta). Cette anomalie grammaticale ne doit pas
70 APOCALYPSE DE JE\N, I, 5
L'aîné des morts
Et le chef des rois de la terre.
résulter non plus d'une distraction: les titres du Christ viennent commeTexpression absolue, indéclinable, de sa qualité, de même qu'au verset précédent la définition de Dieu. Le Christ est qua- lifié « le témoin fidèle », non seulement comme révélateur de ce qu'on va trouver dans le livre, ou bien parce que, dans sa manifestation terrestre, il a rendu témoignage à Dieu (cf. Jn. XVIII, 3-). mais parce qu'il est, autant dire par définition, le témoin de Dieu, le témoin de toute vérité, de toute justice, le vrai témoin, le témoin par excellence (cf. xix, ii). Car ce ne doit pas être encore assez que de rapporter ce témoignage à toute révélation divine. Ce témoin -là ne fait pas que révéler Dieu, il voit les hommes et les juge. Le mot de son activité n'est pas que lumière, il est aussi justice. A cet égard, le Christ de l'Apoca- lypse ressemble aux dieux solaires et à Mithra ; et l'on verra que la ressemblance ne se borne pas à ce Irait.
En tant que ressuscité, le Christ est - « l'aîné des morts », — comme le disait Paul (Col. i, i8; cf. I Cor. xv. 20) ; il est aussi — « le chef des rois de la terre ». — Plus loin (xvii, 14 ; xix, 16) il sera dit « roi des rois et seigneur des seigneurs «. La formule « (ihef des rois » n'est donc pas de remplissage ; c'est un des litres du Christ apocalypli(|ue. Mais on avouera qu'il n'a pas du être inventé spécialement pour caractériser la royauté du Mes- sie, surtout celle de Jésus-Christ, qui n'est rien moins qu'un suzerain auquel seraient subordonnés les rois de ce monde. A y bien regarder, le Christ est roi des rois en tant qu'il élimine les royautés terrestres. Un passage de psaume (Ps. lxxxviii, 28): « Je l'instituerai premier-né, au-dessus des rois de la terre », où l'on reconnaît volontiers la source des deux formules « aîné des morts » et «roi des rois », n'aurait jamais pu en suggérer les idées, si l'on n'y avait été aidé d'ailleurs. Il est possible que noire aulciir ail pensé au psaume; mais le titre de a roi des rois » convieni ii un dieu palion d'empire, el c'est à un tel dieu (pi'il a étéemprimlé. Même le litre d'aîné des morts pourrait bien n'être pas aussi spéci(i(iuemenl chrétien qu'il le paraît. Cerles, il ne vient pas non i)lus du psaume, où il n'est pas question de morts
APOCALYPSE DE JEAN, I, 6 71
A celui qui nous aime, Qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, . ° Et qui a fait de nous un royaume, Des prêtres pour son Dieu et Père :
Mais tous les dieux qui meurent et ressuscitent, les dieux de mystère, les dieux sauveurs, sont les aînés des morts qu'ils con- duisent à l'immortalité ; ils ne sont pas que les premiers ressus- cites, ils sont les rois des morts, des morts bienheureux ; et deve- nus divinités solaires, ils sont aussi bien les rois de l'humanité : ce ne doit pas être non plus la simple priorité dans la résurrection qui est indiquée pour Jésus; le Christ est souverain des morts et roi des vivants (cf. Charles, I, i^)- La triple lilulature du Christ est donc beaucoup plus homogène qu'elle ne paraît au premier abord.
Ce qui suit est plus spécifiquement chrétien. — « A celui qui nous aime et qui nous a délivrés de nos péchés par son sang. » — Au lieu de « racheter » (Ajcrav-:'., leçon des mss. S A C), plusieurs témoins lisent « laver » (Àoj^avT'.): on peut hésiter entre les deux leçons (en faveur de la seconde, cf. vu, i4 ; xxii, i4) ; mais un passage parallèle (v, 9) favorise plutôt la première, quoique dans ce passage il ne soit point fait mention expresse de péchés (l'image des fidèles « lavant leurs robes», vu, 14, est encore moins parallèle à celle du Christ lavant les siens de leurs péchés) ; et puisque le Christ est le sujet, l'idée de la délivrance est plus recommandée par l'usage du Nouveau Testament (ICor. vi,ii ; Eph. V, 26; TiT. III, 5; HÉBR. x, 22). L'énumération des bienfaits du Christ, commencée avec des participes, se continue par un verbe à un mode personnel. — « Et il nous a faits royaume, prêtres à son Dieu et Père. » — II y a là un hébraïsme de cons- truction (Charles,!, i5), et l'on doit traduire : «Et qui nous a faits », etc. L'auteur entend que les chrétiens sont membres parti- cipants du royaume dont Dieu est le souverain, et qu'en même temps, en celte qualité, ils sont ses prêtres. Sans doute dépend- il d'une mauvaise lecture ou traduction du passage biblique (Ex. XIX, 6) où il est parlé, à propos d'Israël, d'un a royaume de prêtres » (Septante: « Sacerdoce royal» ; cf. I Pier. ii. 9. Sym- maque et Théodotion : « Royaume, prêtres » ; cf. Charles, I, 16).
2 APOCALYPSE DE JEAN, I, 7
A lui la gloire et la puissance aux siècles des siècles 1 Amen.
^ Le çoici qni çient açec les nuées, Et le verra tout oeil, Même ceux qui Vont transpercé ; Et se lamenteront à son sujet toutes les tribus de la terre.
La locution : « Son Dieu et Père » (tôS 9î(j) xal Ttatpl aj-oCi) se ren- contre dans les épilres (cf. Rom. xv, 6 ; II Cor. i, 3. Col. i, 3 ; Eph. I, 3; I PiER. I, 3; peut être aussi dans les formules de salu- tation comme RoM.i, 7; I CoK. I, 3,^tc.). — L'intercalation de la proposition incidente : « Et il nous a faits », etc., occasionne
I insertion du pronom « à lui » avant la doxologie qui a été prévue dès le commencement de la phrase : — « A lui la gloire et la puissance aux siècles des siècles. Amen. » — De sem- blables doxologies reviendront plus loin (y, i3; yii, io ; cf. II
PlER.lII, i8).
Les deux versets suivants (i, 78), sans lien étroit avec le con- texte. — on a pu les soupçonner d'être rédactionnels (J. Weiss- Heitmûller, 238), — expriment le thème général du livre et donnent pour ainsi dire le ton à l'ensemble. L'avènement da Christ e.sl annoncé d'abord en termes de l'Ecriture. — «Voici qu'il vient dans les nuées », — non pas précisément sur les nuages, mais entouré dénuées. Ceci est de Daniel (vu, i3). — « Et tout œil le verra », — tous les hommes seront témoins de son avè- nement, — « même »— les Juifs — « qui l'ont transpercé » — en le suppliciant; — « et à son sujet se lamenteront toutes les tribus de la terre». — Ces derniers traits sont paraphrase de Zacharie fxii, To, 12, T/|). Le quatrième évangile (xix,37) cite expressément une partie du texte (Zach. xii, 10) : «ils regarderont celui qu'ils ont percé », en trouvant l'accomplissement par le coupde lance dans la passion : mais la considération eschatologique n'est pas exclue pour autant. Mailhieu (xxiv. 3o) combine ce (ju'on lit en Zacharie de la lamentation universelle, avec le [)assagcde Daniel.
II ne faudrait pas se hâter d'en inférer que l'Apocalypse dépend de Mattiiicii. on Alalthicu de rA[)(>calypse : le i)lus probable est que l'un cl l'autre déjiendeut d'un répertoire de textes messia- niques, exploité par chacun d'eux selon son gré. Luc (xxiii, 4'^)
APOGA.LYPSE DE JEAN, I, 8 73
Oui. Amen. * Je suis, moi, l'alpha et l'oméga,
s'inspire aussi de Zacharie (xii, i4) pour le deuil public qu'il mel au terme de la passion.
Ce flottement des interprétations ne laisse pas d'être significa- tif : les textes messianiques étaient exploités à volonté, selon l'opportunité ou la facilité qu'on y trouvait, pour illustrer la légende de Jésus, ou comme indication eschatologique.On remar- (luera que l'utilisation de Zacharie : « ils verront celui qu'ils ont percé », n'appartient qu'aux écrits johanniques, et que, si l'on en croit l'évangile, elle vise le coup de lance et non le crucifie- ment. Noter aussi que la traduction : « ils ont percé », conforme à l'hébreu, n'est pas celle des Septante : la citation de Zacharie, dans le répertoire de textes messianiques, n'était pas fondée, du moins pas uniquement^ sur cette version (pour la discussion de ce passage, voir Charles, I, i8). D'après TApocalypse, le Christ, ensa parousie, aurait la marque du coup de lance ; d'après Matthieu, le « signe du Fils de l'homme » apparaîtra en même temps que le Fils de l'homme, et ce signe semble être la croix (cf. Didaché, xvi, 6). L'apparition de la croix n'est pas plus extraordinaire que celle de la blessure. Ce qu'il importe de constater est la pénétration récipro(jue du point de vue mythico légendaire et du point de vue eschatologique dans l'uti- lisation de l'Ancien Testament. Inutile de dire que le texte de Zacharie ne concernait ni la passion ni la parousie ; d'après l'hébreu, qui est suspect d'altération, c'est lahvé lui-même qui aurait été percé ; le texte visait un meurtre commis (celui d'Onias III, au temps d'Anliochus Epiphane ?), le deuil du peuple et son pardon.
« Oui, amen » — L'hébreu amen dit la même chose que « oui» (vai'), mais il ne semble pas que l'un double l'autre (comme dans : « Abba, père », Me. xiv, 36 ; Rom. viii. i5 ; Gal. iv, 6). « Oui » confirme la vérité de la prédiction et en fait autant dire partie. « Amen » marque l'assentiment delà foi (cf. xxii, 20).
Dieului-même, auteur de la révélation annoncée, prend ensuite la parole, pour affirmer sa transcendante nature — « Je suis l'alpha et l'oméga ». — Façon de parler qui suppose connais-
74 APOCALYPSE DE JE,\N, 1, 8
Dit Seigneur Dieu,
Qui est,
Qui fut,
Qui vient,
Le maître de tout.
sance des spéculations hellénisliques sur l'alphabet (cf. Boll, 2^) ; les vingt-quatre lettres y étant figure de l'univers, on peut bien désigner son auteur par la première et la dernière. L'au- teur ne nous signifiera-t-il pas le nom de la Bète par la valeur numérique des lettres qui le composent? Ici sa gnose n'est pas bien subtile : Dieu est la première et la dernière lettre de l'al- phabet parce qu'il est éternel, premier et dernier, principe et fin de toutes choses (cf. xxi, 6 ; xxii, i3). L'idée fondamentale se rencontre dans Isaïe (xli, 4> xliv, 6 ; xlviii, 12) ; mais ce n'est pas d'Isaïe qu'en a été tirée la définition parla première et la dernière lettre de lalphabet grec. Dieu est censé lui-même expliquer que cette définition correspond à la formule précé- demment énoncée (i, 4) comme une façon de nom divin : « celui qui est, celui qui fut et celui qui doit venir ». Mais ici on ajoute, pour plus de solennité : « le tout puissant » (6 ravToxpàTcop), tra- duction de l'hébreu Sebaoth (dans les formules « Dieu des armées »,ou a lahvé des armées) en certaines parties des Sep- tante. En dehors de l'Apocalypse, qui rafi^ectionne, le mot ne se rencontre qu'une fois dans le Nouveau Testament (II Cor . vi. 10, par citation). La traduction : « tout-puissant », généralement admise, pourrait bien n'être pas exacte ; vu la correspondance avec l'hébreu Srbaoth. ce serait plutôt « maître de tout », souve- rain de l'univers, de toutes les sphères mondiales et de leurs (( armées » (comparer xoTij-oxpàrope;, Epu. vi. 12). L'ensemble de la déclaration divine est tout à fait inattendu, et ce verset, plus encore que le précédent, a chance d être rédactionnel. D'ailleurs, d'après lusage de notre livre, « Dieu » et « maître de tout » ne devraient être séparés par aucun autre mot (('harlks, II, SHj).
III. — La vision inaugurale
Après l'adresse aux sept communautés vient la vision inaugu- rale de la révélation annoncée dès l'abord, vision qui sert ainsi
.VP0G4.I.YPSE DE JRAN, I, 9 75
' Moi, Jean, votre frère Et compagnon dans la tribulation, le royaume, la patience en Jésus, Je fus dans l'île appelée Patmos, Pour la parole de Dieu Et le témoignage de Jésus
d'introduction aux sept lettres et à tout le livre. — « Moi Jean, votre frère et associé dans la tribulation » — L'auteur ne se réclame pas de la qualité apostolique ni d'une autorité quel- conque : c'est un « frère », c'est-à-dire un membre de la même société religieuse, de la communauté chrétienne, qui fait part à ses frères de la révélation qu'il a reçue ; mais les temps sont durs, ce frère est aussi bien leur compagnon de persécution, ou plus exactement de tribulation (cf. vi, ii ; II Goh. i, j ; Phil. m, lo), de tous ces maux avant-coureurs de la fin et qui déjà se font terriblement sentir (cf. m, lo ; vu, 14). Cette circonstance explique comment l'auteur peut d'un seul trait se dire — « coasso- cié dans la tribulation et le royaume », — le règne messianique, qui est prêt à venir en suite de la tribulation, — « et la patience en Jésus », — la patience avec laquelle le croyant supporte la tribulation, et grâce à laquelle il aura part au royaume (cf. 11, 3,3, u) ; III, 10 ; XIII 16 ; xiv, 12), patience qui s'entretient dans la communion au Christ.
« Je fus dans l'île appelée Patmos ». — Voir dans Renan (pp. 372 ss.) la description de Patmos : « Patmos était, selon les habitudes du cabotage d'alors, la première ou la dernière station pour le voyageur qui allait d'Ephèse à Rome ou de Rome à Ephèse. » Mais cette circonstance ne prouve aucunement que l'auteur soit jamais allé à Rome, ni qu'il ait composé l'Apoca- lypse en en revenant. Laissons-le parler. Il fut à Patmos — « pour la parole de Dieu et le témoignage de Jésus ». — Si l'on interprète cette indication parcelle du début (i, 2), la parole de Dieu et le témoignage de Jésus pourraient être la révélation même qui va être consignée dans le livre, et l'auteur serait allé à Patmos pour la recevoir dans une solitude au moins relative. Il est vrai que « l'île était fort peuplée » (Renan, 3^4) '■> tout de même il devait être plus facile qu'à Ephèse ou à Smyrne d'y trouver un petit coin tranquille pour attendre les communica-
?() APOCALYPSE DE -lEAN, I, 9
lions du ciel. Mais dans le passage précédent, les mots : « tout ce qu'il a vu », déterminaient la signification actuelle de la parole et du témoignage, tandis qu'ici rien ne limite le sens ; on peut hésiter à admettre que le prophète, au lieu d'attendre l'inspira- tion chez lui, soil allé la chercher à Patmos ; enfin, comme la phrase est construite, on peut entendre assez naturellement que la part de l'auteur dans la « tribulation » consisterait en ce que, pour avoir prêché la parole évangélique, il aurait été exilé à Patmos, à moins qu'il n'ait été contraint de s'y retirer lui-même. L'idée d'un bannissement a des témoins anciens (Clément d'Alexandrie, Tertullien, Origène) ; mais leurs renseignements sont assez vagues, et l'on s'est demandé si cette tradition ne pro- cédait pas de notre texte. On peut donc hésiter entre l'hypothèse du séjour volontaire et celle du séjour forcé à Patmos. Resterait l'hypothèse qu'on pourrait appeler de la rencontre acciden- telle : Jean serait venu apporter à Patmos la parole de Dieu, le témoignage rendu par le Christ, et il aurait eu là ses visions. Contre celte dernière combinaison il n'est pas d'objection déci- sive : car on ne peut pas dire sérieusement que Jean ne se serait pas dérangé pour évangéliser un si petit lieu : pour(|uoi ne l'aurail-il pas fait, si l'opportunité s'en était offerte ? Le défaut de la troisième hypothèse est plutôt d'être un tant soil peu mécanique et artificielle. Tout bien considéré, la seconde hypo- thèse [)ourrait encore être la [)lus sûre, l'auteur paraissant dire qu'il est venu à Patmos comme participant à la tribula- tion commune et pour avoir enseigné la parole de Dieu dans les communautés d'Asie (cf vi, 9; xx, 4; et pour l'emploi de o-.à, II, 3 ; IV, Il ; VI, 9 ; vu. i5', xii, 11 ; 12, xiii, 14. etc ) Quoi qu'il en soit, si l'auteur lient à faire savoir qu'il a eu ses visions •1 Patmos, il laisse assez clairement entendre qu'il n'y est plus dans le temps où il écrit, l'^l comme la prophétie est une com- position écrite avec élude et réflexion, la circonstance du séjour à Patmos et son degré d'historicité sont chose accessoire pour l'inlerprclalion du livre. Il itnporle même assez peu que celle circonstance soil réelle ou non.
Mais on a (jnchjue motif de la suspecter ; car les indications conccinani le sc'jour à Palmos, « la parole » cl (( le témoignage », se préHcnlcnl coinmc une surcharge (noicr la fâcheuse corres-
APOCALYPJ^K DE JEAN, I, 10-11 /7
"Je fus en extase le jour du Seigneur, Et j'entendis derrière moi voix éclatante, Comme de trompette, qui disait : " « Ce que tu vois, écris-le en livre
pondance de- syevôij^/iv sv -rr, v7]<Tto x-ïa., 1,9, et 10, £y£v6[j.Yjv ev TïveûjjLa':'. xt) . On dirait que le premier èysvéïjLYiv a été maladroile- ment dédoublé du second) ; « parole » et « témoignage » sont dans le slyle du tilre ; la notice intercalée semble être en rap- port avec la fiction d'origine apostolique et la légende de Jean ; elle double gauchement la notice suivante : « Je fus en esprit », etc., seule indispensable pour introduire la vision. Ainsi le trait méritait toute Taltenlion que les exégèles y ont donnée, mais pour une raison qu'ils n'ont pas soupçonnée.
«Je fus en esprit n, — je lombai en extase (cf. Agt. xi, 2 ; xxii, i^), — « le jour du Seigneur ». — 11 s'agit du dimanche, depuis longtemps déjà jour saint des chrétiens, jour du Seigneur, c'est- à-dire jour du Christ ressuscité, et par suite jour commémoratif de sa résurrection (cf. I Cor. xvi, 2 ; Agt. xx, ^ ; Didaché, xrv, 5 ; Ei\ de Pien-e, 35 : Ignace, Mcign. ix. i). Date mys- tique, puisqu'il n'y a pas d'autre indication de temps. Le jour du Seigneur est celui qui convient à une révélation laite par le Christ lui-même. On ne doit pas oublier pourtant que le jour du Seigneur est le jour du Soleil. Cette indication appartient donc à ce qu'on pourrait appeler l'équipement solaire du Christ et de sa prophétie. — « Et j'entendis derrière moi», ~ comme Ezé- chiel (m, 12), — « une voix éclatante », — une voix céleste, très bruyante, — « comme d'une trompette ». — D'après ce qui suit, ce doit être la voix du Fils de l'homme, et la trompette n'est mentionnée que pour la comparaison (cf. iv, i). On ne veut pas signifier que le Christ parle dans un clairon. 11 s'agit d'une voix céleste, dont il est possible de se faire une idée par la comparai- son de la trompette (sur la signification de oj:, en pareil cas,
VOirCHARLES.I, 35).
La voix — « disait : « Ce que tu vois », — la vision qui pour toi commence et dont tu vas suivre le riche développement, — « écris-le en un livre ». — Le livre est notre Apocalypse. L'ordre d'écrire reviendra encore souvent dans la suite (x, 4»
78 APOCALYPSE DE JEAN, I. 12
Et envoie-le aux sept communautés,
A Ephèse, à Smyrne, à Pergame, à Tliyatire,
A Sardes, à Philadelphie et à Laodicée. »
'- Et je me retournai pour voir la voix qui me parlait ; Et retourné, je vis sept candélabres dor,
défense d'écrire). — a El envoie-le aux sept communautés w. — Les (( sept communautés » se trouvent ainsi annoncées comme un total mystique déjà connu : c'est la figuration de l'Eglise. Mais l'auteur prend celte figuration dans les communautés qu'il connaît directement, les communautés de la province où il vit et qui les premières liront son livre. Ephèse, capitale de la pro- vince et sans doute aussi la principale des communautés chré- tiennes en cette région, comme elle était la plus ancienne, est nommée la première. L'énumération vadu sudau nord : Ephèse, Smyrne, Pergame ; puis revient du nord au sud-est : Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée. Gomme il ne fallait à l'auteur, pour son symbolisme et la symétrie de sa composition, que sept communautés, l'omission de Troas, (Colosses, Hiérapolis, se com- [)rend sans peine, bien qu'on ne voie pas le motif qui a fait pas- ser à l'arrière-plan ces communautés anciennes, pour mettre en avant des communautés dont il y a tout lieu de croire que la fondation est plus récente. On a supposé (Ramsay, Letters to the seven Cfiurches, 191) que les sept villes avaient été choisies parce que c'étaient des centres de communication. Sur l'origine de ces communautés, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Phi- ladelphie, l'on ne possède aucun renseignement précis. Elles n'ont pas dii être fondées bien longtemps après celles que nous font connaître le récit des Actes et les épitres de Paul, Ephèse, Troas, Laodicée, Colosses, Hiérapolis ; car les monitions que l'auteur leur adresse les supposent existantes depuis assez long- temps.
Comme la voix se fait entendre derrière lui, le visionnaire se retourne [)our savoir (jui lui parle. — « El je me relouriiai pour voir la voix », — c'est a-dire d'où venait, de qui était — « la voix (jui me parlait », — qui lui avait ainsi intimé l'ordre d'écrire sa vision. — « El m'étanl retourné, je vis sept candélabres d'or. » — Il sera dit bientôt (i.'Jo) que les sept candélabres sont les sept
APOCALYPSE DE JEAN, I, 13 79
" Et au milieu des candélabres (quelqu'un) pareil à fils d'homme, Vêtu de manteau long,
communautés, et que les sept astres qui vont être montrés dans la main du Christ sont leurs anges : bien téméraire qui voudrait s'inscrire en faux contre cette explication. Du reste, les sept candélabres sont apparentés au chandelier à sept branches qui figurait dans le mobilier cultuel de lahvé (Ex. xxv, 3i-4o ; XXXVII, 17-24), et une vision de Zacharie (iv, 2) est en rapport avec ledit chandelier. Bien que les sept luminaires ne soient point ici sur un seul pied, l'origine des deux symboles pourrait- être la même. En tout cas, la distinction des sept candélabres est en rapport, d'une part^ avec les se[)t planètes, et d'autre part avec les sept communautés et leurs anges prolecteurs, qui sont aussi bien, du moins par leur origine, les sept esprits ou génies des sept planètes.
M Et au milieu des candélabres quelqu'un de pareil à un lils d'homme. » — C'est le Christ, ainsi qualifié d'après Daniel (vu, i3; cf. IIÉNOCH, XLVi, i),et par une formule d'Ezéchiel (i, 26). Mais il est sous-entendu que, si sa forme est humaine, son être et ses attributs sont tout célestes. Le Christ qui se montre ainsi en révé- lateur de l'eschatologie est le Seigneur de l'Eglise, son docteur et son chef ; c'est pourquoi il apparaît entre les sept candélabres qui (igurentlesseptcommunautés et médiatement l'Egliseentière. La vision qui le présente ainsi est coordonnée directement aux sept lettres, c'est-à-dire à la première partie du livre, mais elle n'endominepas moins, avec et par les sept lettres, le livre entier, la révélation adressée parle Seigneur de l'Eglise à l'Eglise elle- même, par l'Epoux à l'Epouse. Ce Christ est — «vêtu d'un manteau long », — plus exactement peut-être une grande robe descen- dant jusqu'aux pieds (cf. Is. vi. i), comme celle du grand-prêtre (Ex. XXVIII, 4> 3 1-35), et qui doit aussi avoir une signification sym- bolique : c'est la tigure de l'univers (Sag. xviii, 24), identique à la robe sans couture, dont parle le quatrième évangile(xix, 23-24), bien que le rapport immédiat de celle-ci soit plutôt à l'unité de l'Eglise \ aussi bien le même rapport est-il à supposer dans notre passage, comme ^ invite la signilicatioii très complexe des candélabres. — « Et ceint vers les seins, d'une ceinture
80 APOCALYPSE DE JEAN, I, 14-15
Et ceint à la poitrine de ceinture d'or. " Sa tête et ses cheçeux étaient blancs comme laine blanche, [comme
neige] ;
Ses yeux étaient comme flamme de feu ; " Ses pieds pareils à airain brillant, purifié en fourneau ;
d'or ». — La haute ceinture (cf. Dan. x, 5) appartient aussi au costume pontifical (Ex. xxviii^ 8 ; xxxix, 5), ; Josèphe, Ant. m. y, 2) ; celle ceinture doit avoir de même, du moins originaire- ment, une signification cosmique, c'est-à-dire astrale. Nonobs- tant les analogies bibliques, ni cette robe ni cette ceinture ne sont de symbolisme proprement juif.
« Sa tète et ses cheveux étaient blancs comme laine blan- ciie, comme neige ». — Dans Daniel (vu, 9-10), c'est le vêle- ment du Vieillard, de l'Eternel, qui est blanc comme neige, et ses cheveux comme laine. Ici les mots « comme neige » semblent une glose surajoutée. Il n'est pas plus difficile d'attri- buer au Christ les traits du Vieillard que de lui attribuer l'élernilé de Dieu (i, 17-18; 11, 8 ; xxii I2i3). Le Christ apocalyptique est en « forme de Dieu ». Mais on ne voit pas bien ce que signifie la blancheur de la face à côté de celle des cheveux : peut-être y a-t il quelque subtilité à dire que la tête est dite blanche parce que les cheveux sont blancs, ou bien à cause de la barbe qui doit l'être aussi. L'aspect général de ce Christ étant « celui du soleil dans sa force » (i, 16), il n'est pas bien téméraire de supposer que le visage est d'une blancheur éclatante comme la face du soleil, et les cheveux pareillement, avec la barbe, conmie les rayons du soleil. — « Ses yeux étaient comme flamme de feu. » — Même Irait plus loin (11, 18 ; xix, 1). Ainsi étaient les yeux du messager céleste ((iabriel) dans Daniel (x,()). — « Ses pieds, pareilsàl'airain brillant 0, — au minerai d'or (?) — « incandescent » — purifié au feu — « dans le fourneau »>. — Trait venu d'Ezéchiel (1, 27, aspect de Dieu), et de Daniel (x, 6, Gabriel). La communication des traits divins aux anges et au Christ n'a rien de particulièrement surprenant : Christ et anges a[)parliennenl au monde divin et ils rcprésenlenl Dieu(suile yaXxo/jljavc/,- (|ui,. dans noire passage, et 11, 18, corrc8[)ond au yaXzô; de Daniel et à rY,X£''-"P'^v d'Ezéchiel, voir Baueu, 4^^ i Cuahliis, I, 29). — « Sa voix, comme le bruit
APOCALYPSE DE JEAN, I, l6 81
Et sa poix comme coîx de grandes eaux. " Et il avait en sa main droite sept étoiles ; De sa bouche une épée à deux tranchants, affilée, sortait ;
des grandes eaux ». — Ainsi est qualifiée la voix de Dieu dans Ezéchiel (xliii, 2 ; même comparaison pour le bruit des ailes des chérubins dans Ez. i, 24). — « Et il avait en sa main droite sept étoiles. » — Trait répété ailleurs (11. i ; m, i). Comment le Christ tient dans sa main les sept étoiles, il ne faut pas le deman- der. L'image n'est pas facile à réaliser ; mais cette image est une idée. D'après la glose qui viendra plus loin (i, 20), les sept étoiles sont encore un symbole des sept communautés ; elles sont leurs anges : ce doit être du moins une de leurs significations, celle que l'auteur lui-même leur attribue de son point de vue chrétien et pour l'équilibre de son symbolisme ; mais il n'en faut pas conclure que là s'épuise, même pour lui, toute leur signification. Pour une plus facile intelligence de l'image on a supposé(BoLL, 21) que les sept étoiles seraient une constellation, celle de la Petite-Ourse, d'où part tout le mouvement astral (cf, DiETERicH, Eine Mithraslitargie, 14). Ilest possible, quoiqu'il ne soit pas encore tellement aisé de se figurer la Petite-Ourse dans la main du Christ ; mais, quand même ce rapport serait fondé, il ne s'ensuivrait pas qu'aucune relation mystique ne soit censée exister entre les sept étoiles et les sept planètes. Le symbolisme de notre auteur ne doil pas être aussi décousu qu'on le suppose. « De sa boucheune épée à deux tranchants, affilée, sortait. » — Il sera encore question de cette épée (11, 12, t6;xix, i5). L'image est plus fâcheuse encore que celle des sept étoiles dans la main du Christ, mais elle perd aussi de son étrangetési l'on en regarde le sens. Ce doit être en tant que figure des sept communautés, c'est-à-dire de l'Eglise, et des sept esprits (ou de l'esprit septi- forme) qui la conduisent, que les sept étoiles sont dans la main du Christ. De mèmel'épéeà deux tranchants lui sort de la bouche parce que ce glaive est sa parole, divinement etïicace, de juge souverain. Ici l'origine de l'image paraît biblique (le rapproche- ment indiqué par Boll, 53, n'est pas concluant ; cf. Is. xi, 4> le roi messianique frappant la terre avec la « verge de sa bouche », et tuant le méchant par « le souffle de ses lèvres » ; xlix, 2, le
A. LoisY. — L'Apocalypse de Jean. ti
A2 APOCALYPSE DE JKAN, I, 17
Son visage était comme le soleil brillant en sa force,
"Et quand je l'eus vu, Je tombai à ses pieds comme mort ; Et il mit sa droite sur moi. Disant : « Ne crains pas. Je siiifi, moi, le premier et le dernier,
serviteur de lahvé disant de Dieu : « Il a rendu ma bouche semblable à une épée tranchante » ; les deux tranchants vien- nent de Ps. cxLix, 6 ; cf. Sag. xviii, i5, i6 ; II Thess. ii, 8 ; HÉBR. IV, 12). — « Et son visage », — l'aspect de sa fii?ure {'r^ o!/'.ç ajTOj; cf. Jn. XI, 44 '■> /^i'» ^4 ; dans Ap. x, i, le visage, TÔ -oôo-oj-ov, d'un ange esl de même comparé au soleil), — « était comme le soleil brille en sa force », — c'est-à-dire comme le soleil dans le plein de son ardeur (cf. Jug. v, 3i). C'est le trait dominant, la caractéristique générale de cette description. Le Christ est soleil dans cette vision initiale ; tel on le retrouvera dans la description finale de son triomphe (xix, 11-16).
« Et quand je l'eus vu » — en ce magnifique et terrifiant appa- reil, — (K je tombai à ses pieds comme mort ». — Trait pris de Daniel (viu, 18 ; x, 8-9 ; cf. Is. vi, 5 ; Ez. 1, 28 ; Hénoch, xiv, 14, 24-25). — « Et il porta sa droite sur moi, disanl : « Ne crains pas. » — Geste emprunté à la même source (Dan. x_, 10-12 ; cf. Mt. XVII, 7). Jean ne doit pas considérer comme un inconnu celui qui lui parle. — « Je suis le premier et le dernier. » — Ainsi parlait naguère Dieu disant (i, 8) : « Je suis l'alpha et l'o- méga. » Les paroles mises dans la bouche du Christ (et qui re- viendront ir, S ; XXII, i3) sont prises d'lsaïe(xLiv, 6 ;xlviii,12), où Dieu les dit de lui-même. Bien qu'il ne soit pas tout à fait sans commencement, le Christ participe à l'élernité de Dieu. — « Je suis le vivant, » — encore comme Dieu, dont la caractéris- tique est d'être le Dieu vivant (cf. iv, 9-10). L'assertion (6 ^^ov) n'est point à sup[)rimer (Wei.lhau.sen, 5), sous prétexte qu'elle ne lient pas au contexte ; elle vient en parallèle à l'assertion précédente, et elle supporte ce qui suit; sans compter qu'elle est par elle-même éminemment signilicativc. On dirait que, pour ce qui est de la vie, la seule différence entre Dieu, le vivant par excellence, et le Christ, c'est que celui-ci a pu mourir ; mais il
Apocalypse de jean, i, 18-19 83
'* Celui qui vit, Moi qui fus mort ;
Et me voici vivant pour les siècles des siècles, Et j'ai les clefs de la mort et de l'enfer. *• Ecris donc ce que tu as vu, Et ce qui est, Et ce qui doit arriver après cela.
n'est mort que pour revivre à jamais. — « Et j'ai été mort », — Entendons : < Je suis celui qui vit » toujours, « et qui pourtant est mort », sauf à revivre. — « Mais me voici vivant pour les siècles des siècles. » — Ce qu'on est aussi accoutumé à entendre comme un attribut de l'Eternel (cf.iv, 9-10, x, 6). Et à raison de cette vie reconquise pour l'élernité, — « j'ai les clefs de la mort et de l'enfer, » — non pas, sembie-l-il, les clefs qui ferment et qui peuvent ouvrir l'enfer, royaume de la mort, mais plutôt, la mort et l'enfer étant personnifiés, les clefs qui . permettaient à la mort et à l'enfer de déchaîner à volonté les puissances de destruction ; les clefs sont maintenant aux mains du Christ, qui tient par là même en son pouvoir et l'Enfer et la Mort. Par sa mort suivie de résurrection, le Christ, vainqueur de la mort pour lui-même, est censé l'avoir vaincue tout à fait et pour toujours. Le vieux mythe du dieu qui meurt et qui ressus- cite prend ici une ampleur et une précision qu'il n'avait, autant qu'il est permis d'en juger, acquises dans aucune des reli- gions antiques. Notre passage implique la descente du Chrift aux enfers et sa victoire sur les puissances infernales (cf M t. XXVII, 5i-53); il peut être plus risqué d'y retrouver (avec Cha r- LKS, 1, 32) la prédication aux morts (I Pier. m, 18-20 ; iv, 6). Puisque c'est le Christ en personne qui lui parle et qui ve ut l'instruire, le voyant peut avoir confiance dans ce qu'il voit et dans ce qu'il lui sera donné d'apprendre. — « Ecris donc ce que tu as vu », — la vision même dont il vient d'être favorisé, — « ce qui e st » — littéralement : « les choses qui sont », non pas : « ce que c ela », la vision précédente, « signifie ». Les choses présentes sont l'état des communautés, c'est-à-dire de l'Eglise, sur lequel le Christ lui-même va porter un jugement qui n'est encore qu'une critique et un avertis sèment. La formule : « ce qui est », annonce donc les sept lellies. — « El ce qui doit arriver api es cela », —
^\ APOCAr,YPSF DE JEAN, T, 20
*° Quant au secret des sept étoiles Que lu as vues sur ma droite, Et aux sept candélabres d'or : Les sept étoiles,
Ce sont anges des sept communautés ; Et les sept candélabres, Ce sont les sept communautés.
ce qui arrivera bientôt, après le présent, la fm qui va se dérou- ler (cf. Dan. II, 28, 29, 45)- Ces mots annoncent la révélalion es- chatologique qui vient après les sept lettres (cf. iv, i).
Mais avant d'aller plus avant, il faut dire — « le secret des sej)l étoiles que tu as vues sur ma droite et » — ce que signifient — cdes sept candélabres d'or. » — Cet énoncé ne vient pas en der- nier élément de la phrase précédente, à moins qu'on ne veuille priver celle-ci d'équilibre logique. Il s'agit de faire dire par le Christ, préalablement aux deux thèmes principaux qui ont été annoncés, les lettres et la révélation eschatologique, le mot du thème ou delà vision préliminaire, « ce que tu as vu ». Cela peut s'exprimer en deux lignes, puisqu'il n'y a réellement à expliquer que les sept étoiles et les sept candélabres. Le mys- tère consiste en ce que « les sept étoiles sont anges des sept communautés », — explication qui est supposée suffire pour que les lecteurs com{)rennent qui sont ces anges, destinataires des sept lettres, — « et les sept candélabres sout les sept commu- nautés », — aux(juelles sont préposés les sept anges, et sur les- quelles le Christ va dire son avis La combinaison rédaction- nelle n'est point exempte d'artifice ni de subtilité. Il est permis de trouver par. trop inégales les trois parties de l'enseignement annoncé par le (>hrist. et que ce plan est plutôt théorique. L'au- teur n'est pas un grand écrivain ; quelles que soient dans son œuvre la part de la vision et celle de la calme réflexion, il ne domine pas de très haut les matériaux abondants qu'il a recueil- lis dans sa synthèse prophétique. D'ailleurs l'explication {)Our- rail sembler superflue, et l'on a pu y voir une addition rédaction- nelle (non seulement pour i, 20, Wixlhauskn, 5, mais aussi pour 1,19, IlEiTMiiixKU, 24^, bien que cet auteur réduise l'artifice en traduisant : « Ecris ce que lu as vu : ce qui est » — 11-111, — « comme ce ([ui sera », iv-xxi).
APOCALYPSE DE JEAN, I, 20 f'"5
Cependant, si l'explication des sept étoiles et des sept can- délabres est présentée comme la révélation d'un mystère (cf. xiii,i8; xvij, 7-9), ce peut être que l'inlerprétalion chrétienne de ces choses est une nouveauté, soit qu'elle procède d'une intui- tion ou vision de l'auteur, soit qu'elle appartienne à la doctrine mystique d'une école, d'un petit groupe de croyants. En effet, les sept étoiles, et les sept candélabres, aussi les sept esprits sont des données astrologiques, mythologiques, de Ihéosophie pa'ienne, cl notre auteur a plus ou moins conscienceque l'inter- prétation proposée par lui est une adaptation, bien que sans doute il la tienne pour le sens vrai des symboles dont il s'agit. Ces symboles ont une signitication par rapporta l'œuvre de Dieu et à l'œuvre du Christ, à la direction du monde et à celle de l'Eglise. Sur le premier point l'auteur ne s'étend pas : les sept étoiles doivent être aussi bien pour lui la représentation de l'u- nivers astral, des sept cieux et des sei)t arclianges qui président à l'adm.inistralion mondiale ; ou bien, si l'on veut attribuer à l'ordre cosmologique la distinction des étoiles et des candélabres, les sept candélabres seront les astres et les sphères, les sept étoiles seront les sept esprits ou les sept archanges. Appliquant à l'Eglise le même symbole, on a trouvé que sept communautés notables, figurant l'Eglise, correspondaient aux sept astres et aux sept sphères, et que les sept esprits, les sept archanges, assistants du Christ dans le gouvernement de l'Eglise comme ils sont assistants de Dieu dans le gouvernement de l'univers, étaient préposés chacun à une communauté, comme ils sont préposés à une section du monde. Peut-être les candélabres ont-ils été dédoublés des astres, pour affecter les candélabres à la figuration des communautés, en réservant les astres pour la figuration des sept esprits. Les sept esprits sont les génies des communautés, leurs anges, délégués par le Christ à leur gouvernement. Il serait risqué d'attribuer le symbo- lisme des sept candélabres et celui des sept étoiles à deux auteurs différents. Et ce doit être pousser trop à l'abstraction la pensée de noire texte qui; de voir dans les sept étoiles l'idéal céleste des sept communautés, dans les candélabres la réalisation de cet idéal, que le Christ, qui Ta en main, peut rendre effectif. (Charles, I, 34).
S6 APOCALYPSE DE .JEAN, II, 1
lY. — Les sept lettres
Comme on n'écrit pas à des auges, il s'ensuit que les sept lettres ont un caractère fictif et n'ont à peu près rien d'une cor- respondance réelle. Mais, à raison des traits particuliers qu'elles ne laissent pas de présenter et qui semblent en désaccord avec le point de vue général du livre, on a supposé qu'elles pouvaient appartenir au travail rédactionnel, ou bien, au contraire, avoir existé d'abord, soit par elles-mêmes (Wellhausen), soit dans une des sources principales du livre (Spitta, J. Weiss^ Heitmûl- 1er) et avoir été glosées ensuite dans la rédaction ; ou bien en- core, se fondant sur l'unité du style, et admettant le dédouble- ment du point de vue, on a soutenu que l'auteur lui-même, qui avait réellement écrit aux sept communatités plusieurs années avant de composer l'Apocalypse, et sans envisager de persécu- tion générale, aurait ensuite incorporé les lettres dans son livre, en les complétant pour les adapter à ses prévisions actuelles et à leur destination universelle (Charles, I, 4^) Resterait à savoir si le double point de vue ne résulterait pas de la position où Tauteur s'est mis en s'adressant à sept communautés qui repré- sentent l'Eglise entière. Réduites en étendue par les hypothèses critiques, les lettres demeurent coordonnées et n'ont toujours pas le caractère d'une véritable correspondance.
Que le Christ se serve d'un prophète pour écrire à des. ar- changes avec lesquels il peut traiter sans intermédiaire, alors que le prophète n'a point accès auprès d'eux, la combinaison peut sembler étrange ; mais on doit considérer que l auteur opère et qu'il veut opérer avec des symboles traditionnellement donnés, dont il tire le medleur parti qu'il peut, selon la méthode qu'il croit devoir suivre, et que, dans la réalité, les leçons (jue le Christ est censé donner aux anges des comnmnaulés sont des avertissements adressés aux communautés mêmes, à toutes les communautés, dont les sept représentent des types assez peu variés. Faute de comprendrele véritable caractèredes lettres, on a voulu reconnaître dans les anges des comnmnautés tels individus humains auxquels conviendrait plus ou moins ce (jualilicatif. Ainsi l'on a vu souvent dans « l'auge de la communauté w sou
APOCALYPSE DE JEAN, II, 1 87
"A l'ange de la communauté qui est à Ephèse écris ^
« Ainsi parle celui qui lient les sept étoiles en sa droite, Qui marche au milieu des sept candélabres d'or.
évèque ; mais, outre qu'une telle image ferait équivoque dans le livre, où partout ailleurs les anges sont des esprits célestes, il est évident parle contenu des lettres que celles-ci visent les commu- nautés,non des hommes qui auraient été chargés de leur direction. A plus forte raison ne peut-on songer à voir dans les anges des communautés leurs envoyés, réels ou fictifs, (jui seraient censés leur transmettre la communication céleste : on n'adresse pas une lettre au messager qui la porte, et la teneur même de celles-ci répugne à l'hypothèse.
La première lettre est adressée à la communauté d'Ephèse. Rien de plus naturel, Ephèse étant la capitale delà province, et sa communauté étant probablement la plus nombreuse, certai- nement la plus ancienne. Il est plus douteux que l'auteur ait eu égard au souvenir de Paul, de Timothée, d'Apollos, dont il ne dit rien. Quant au personnage apostolique du nom de Jean qui est venu s'établir dans la communauté déjà fondée, et que la tra- dition a identifié à l'apôtre Jean, ou ne s'étonnera pas qu'il n'en dise mot aux Ephésiens, si c'est lui-même, ou si cet autre Jean vit encore. — « A lange de la communauté qui est à Ephèse écris ». — La suscriptionne convient réellement qu'à une prophé- tie,non à une lettre véritable ; aussi bien la forme de la commu- nication est-elle celle de la prophétie. — « Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite ». — D'après le symbolisme indiqué, il faudrait entendre : celui qui a autorité sur les sept anges. — « Qui marche, au milieu des sept candélabres d'or », — c'est-à-dire qui est le chef et le maître des sept communautés, de toutes les Eglises. Mais l'auteur s'en lient-il lui-même à cette inter- prétation morale, et ne songe-t-il pas tout autant, sinon davantage, au Christ, seigneur de l'univers, qui règne sur tous les cieux et leurs archanges ? En tout cas, ce qui va suivre nous est présenté comme un oracle personnel du Christ. Systématiquement l'au- teur reprendra dans chaque lettre un des traits de la description qu'il a faite d'abord du Christ (ici c'est i, i2-i3, i6) : en quoi apparaît le caractère artiticiel de la composition. La formule
88 APOCALYPSE DK JEAN, II, 2
^ Je connais tes œuvres, Ton labeur et ta patience, Et que tu ne peux supporter les méc liants ; Que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres Et ne le sont pas, Et que tu les as trouvés menteurs ;
qu'on vient de lire se retrouvera (iii,i), légèrcmeat modifiée, en tête de la lettre à Sardes.
«Jeconuais», — le Christ connaît tout, — « tes œuvres», — c'est- à-dire — « tonlabeur», — le travail pénible auquel se livre spon- tanément ta foi (même formule ii, 19 ; m, i, 8,i5) — « et ta patience », — la patience avec laquelle lu subis les épreuves et tribulations auquelles cette même foi est exposée (cf. I ïhess. I, 3), — « et que tu ne peux supporter les méchants», — la lutte contre ceux-ci étant une partie du labeur dont il a été parlé d'abord, si ce n'est ce labeur même ; — « et que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres sans l'être », — étant de ces méchants qu'on vient de signaler, si toutefois ils ne s'identifient complè- tement avec eux, — « et que tu les as trouvés menteurs », — ayant réussi à démasquer leur perfidie. Ce signalement en gros mots ne permet pas de discerner avec précision le caractère des individus dont il s'agit. Avec un peu de bonne volonté l'on peut trouver dans le dernier trait une allusion à des hérétiques récem- ment dénoncés et chassés. Ces hérétiques se confondent plus ou moins avec les Nicolaïles dont il sera question un peu plus loin (11, 6), les Nicolaïtes étant le groupe mal pensant dont les faux apôtres, exclus delà communauté, sont les chefs. Mais qui sont les Nicolaïtes ?
Leur nom peut être fictif, comme celui de la femme Jéza- bel (1,20). Le rapport de cette hérésie avec le diacre Nicolas (AcT. VI, 5i) paraît être une conjecture de la tradition et ne nous apprendrait rien (juant à la nature de la doctrine incri- minée. Ce que l'auteur en dira dans les lettres suivantes ne sera guère [)lus net que ce qu'on eu lit dans celle-ci ; mais c'est après analyse de toutes les lettres qu'il conviendra de fornniler une conclusion. De ce que Paul parle de faux apôtres à propos de judaisants (11 Cou. xi, i3) il ne suit aucunement que notre
APOCALYPSE DE JEAN, II, 3-4 89
Que tu as patience,
Que tu as (beaucoup) suppoi'té à cause de mon nom,
Et que tu n'as pas été fatigué.
* Mais j'ai contre toi Que ton amour premier tu as abandonné.
auteur ait en vue des judaïsants ou une hérésie judaïsante. Ce qu'il dira des Nicolaïtes et de Jézabel favorise une hypo- thèse contraire, celle d'une hérésie antilégaliste. Mais le nom d'apôtre a pendant assez longtemps désigné des prédicateurs ambulants comme les premiers missionnaires de l'Evangile. Que Paul lui-même et ses adhérents soient visés, beaucoup l'ont supposé (école de Tubingue, Renan, etc.); mais nos lettres nous transportent à une époque déjà bien éloignée de Paul ; sans compter que l'hypothèse est en rapport avec une conception du christianisme judaïsant, du rôle de Paul, et de l'âge apostolique, qui s'éloigne grandement de la réalité. Les hérétiques dont il s'agit peuvent procéder en quelque façon de Paul, mais^ au temps où nous sommes, les communautés fondées par Paul ne se distinguent point des autres, et la preuve en est dans l'énu- mération même des sept Eglises.
« Tu as patience. » — Ce qui précède commente le « labeur » dont il a été parlé ; l'auteur reprend de même ce qu'il a dit de la « patience ». — « ïu as supporté » — ennuis et persécutions — « à cause de mon nom ». — Il s'agit de persécutions subies dans le passé, et qui sans doute n'ont aucun rapport avec la lutte contre 1 hérésie. — « Et tu ne t'es pas fatigué ». — Jeu de mots : la chrétienté d'Ephèse n'a pas senti la peine (oj xsxo-Laxa:) de souffrir persécution avec patience, bien qu'elle se soit donné de la peine (xô-oç, 11,2) à combattre les hérétiques. Propos géné- raux et lointains, ces considérations sur les mérites de la com- munauté éphésienne depuis sa fondation étant prises de très haut. Gomme il en sera de même pour les démérites, on pour- rait presque se demander jusqu'à quel point ces traits caracté- risent spécialement la communauté qu'elles concernent et n'au- raient pas pu s appliquer aussi bien à telle ou telle autre.
« Mais j'ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour», — la pratique de la charité envers le prochain (n, 19),
90 APOCALYPSE DE JEAN, II, 5-6
* Souviens- loi doue d'où tu es tombé, Repens-toi
Et fais tes premières œuvres ;
Sinon,
Je viendrai à toi,
Et je déplacerai ton candélabre de son lieu,
Si tu ne le repcns.
* Mais tu as ceci :
Que tu hais les œuvres des Nicolaïles,
où il faudrait supposer que la communauté d'Ephèse sest relâ- chée, nonobstant l'ardeur de son zèle conlre les hérétiques et sa constance dans les persécutions. — « Souviens-toi donc d'où tu es tombé », — de ce qu'a été la ferveur de la vertu première; — (( repens-toi », — reviens à de meilleurs sentiments, — « et fais tes premières œuvres », — réalise de nouveau en acte la per- fection de la charité. Par où l'on voit que les « œuvres » louées d'abord n étaient point celles-là. — « Sinon, je viendrai à toi, et je déplacerai de son lieu ton candélabre» — Le candélabre étant la communauté même (1,20), il est évident que le discours s'adresse à la collectivité des lidèles éphésiens. La menace ne signide pas que la communauté cesserait de briller devant le monde (au sens de Mat. v, 14-16, que l'auteur n'a certainement pas en vue), mais qu'elle cesserait d'exister. Sans doute avait-on déjà vu des groupes chrétiens s'évanouir de la sorte. S'il en était ainsi du groupe é[)hésien, son candélabre serait changé de l)lace, c'est-à-dire qu'un autre groupe chrétien lui serait substi- tué dans la série symbolique des sept conmmnautés et qu il héri- terait aussi de son ange ou patron céleste. Ainsi la menace n'est pas en rapport direct avec le jugement dernier. On conçoit que 1 auteur, s'adrcssant à une communauté vivante, ait pu émettre une pareille menace, en négligeant provisoirement la perspective générale de son livre et la menace du chàliment éternel. — u Si tu n(; te repcns » — [)ourrait cire une répétition inutile, mais ré(|uilibre rythmique ilu [)assage semble plutôt la réclamer. (( Mais tu as ceci » — pour toi, tu as ce mérite, — « (jue lu hais les œuvies des Nicolaïles ». — (^omme lauleur rappelle un des mérites attribués d'abord par lui aux Ephésiens, il s'ensuit
APOCALYPSE DE JEAN, II, 7 91
Que moi aussi je hais.
' Qui a oreille entende Ce que l'Esprit dit aux communautés. Au vainqueur,
que les hérétiques signalés plus haut, (ii, 2) sont qualifiés main- tenant deNicolaïtes;plas loin(ii,i4)onieur atribuera la doctrine deBalaam,qui se trouvera identique à celle de la femme Jézabel (11,20). Tout cela ne nous apprend rien. On a conjecturé, mais non prouvé, que Nicolas était ici un équivalent étymologique de Balaam ; le nom peut être fictif, abstraction faite de ce rappro- chement. Les chrétiens d'Epiièse entrent dans les sentiments du Christ en délestant les œuvres des Nicolaïtes, — « que moi aussi je hais ». — Une telle façon de parler semblerait indi- quer, et la suite confirme, que Thérésie des Nicolaïtes avait des conséquences pratiques plus choquantes pour le christianisme commun que ses doctrines. Non qu'ils n'eussent point de doctrines particulières, une gnose spéciale; mais notre prophète, peu enclin aux spéculations Ihéologiques, élail fort capable de les négliger, pour s'attaquer surtout au laxisme moral, ou plus exactement aux accrocs faits à la discipline chrétienne telle qu'il la concevait et que la pratiquait la communauté d'Ephèse.
Il est si vrai que ces lettres ne sont pas des lettres adressées à des communautés particulières, mais une lecture destinée, comme le gros du livre, à toutes les Eglises, que l'auteur prend toujours soin, à la fin, de s'adresser k tous les chrétiens indistinc- tement. — « Qui a oreille entende ce que lEsprit dit aux communautés ». — L'esprit dont il s'agit est l'esprit prophétique, agent de la révélation, sans doute aussi l'esprit du Christ, puisque c'est le Christ qui dicte ces lettres pour les communautés. Par ailleurs cet esprit semble se distinguer des sept esprits et ne pouvoir être compté parmi eux. C'est une puissance moins individualisée, plus intime au croyant, au prophète, à l'Eglise même. Il n'est point pourtant tellement éloigné des sept esprits ou génies des sept communautés, qu'il ne puisse tigurer (xxii,i7) à côté de l'Epouse, c'est-à-dire de l'Eglise, à peu près dans les mêmes conditions que les sept esprits ou anges à côté des sept communautés.
92 APOCALYPSE DE JEAN, II, 7-8
Je lui donnerai à mangei" de l'arbre de la vie, Qui est dans le paradis de Dieu. »
* Et à l'ange de la communauté qui est à Smyrne écris : « Ainsi parle le premier et le dernier.
Cette apostrophe au croyant se complète d'une promesse : — a Au vainqueur » — dans le combat conlre les puissances enne- mies de Dieu eL du Christ, au martyr chrétien (cf. Charles, 1,54),
«je donnerai à manger de l'arbre de la vie », — du fruit de cet
arbre, fruit refusé au premier iiomme (Gen. ii, 9 ; m, 22). L'arbre subsis e encore — « dans le paradis de Dieu », — en Eden, où Dieu l'a produit en créant le monde. Plusieurs témoins lisent : a mon Dieu », ce qui accentue le rapport intime du Fils de l'homme avec Dieu, mais témoigne d'un subordinatio- nisme tellement accentué que la théologie a pu de bonne heure en être choquée. On trouvera l'arbre de vie à la fin du livre (xxii, 2-14 ; cf. Test. Levi, xviii, if ; Hénoch, xxii, 4 ; xxv, 4,3). Il convenait que l'arbre dévie fût transporté dîins la Jérusalem nouvelle. Noti auteur le prend en symbole et sacrement d'im- mortalité. On tncontrera aussi plus loin l'eau de la vie (xxi, 6, XXII, 17), qui a le même sens, mais à l'occasion de laquelle est accentuée la gratul é du salut.
Chacune des se,)t lettres se termine ainsi par une promesse en rapport avec la récompense (inale, un élément eschatolo- gique emprunté à la description du monde à venir, comme le préambule contient un élément emprunté à la description du Christ glorieux. L'apostrophe au chrétien en général n'est pas un indice de double rédaction, puisque les sept lettres ont été écrites ensemble pour être lues toutes par les communautés destinataires, et les lettres deviendraient singulièrement étriquées et insigniliautes si l'on en voulait retrancher les finales, avec ce qui est dit des Nicolaïtes (ici 11, 6-7, et [)assages correspondants des autres lettres).
« A l'ange de la c >m u niaulé qui est à Smyrne, écris ». — On ignore dans (juclles comlilious fui fondée cette commu- nauté, dont lorigiae peut remonter jus(iu'au temps de Paul (cf. Acr. vin:, 10). La Icllre à Smyrne fait valoir d'abord la quasi-éternité du Cliiisl. — « Ainsi parle le premier et le der-
APOCAI.VPSK DE JEAN, II, 9 9.1
Celui qui fut mort et qui a revécu.
" Je connais ta tribulation Et ta pauvreté, — Pourtant tu es riche, —
Et le blasphème de ceux qui se disent être Juifs, Et ne le sont pas, Mais synaoroçue de Satan.
nier, celui qui fut mort et qui a revécu. » — C'est, avec des variantes accessoires, ce que leChrist lui-même (1,17-18) vient de dire à Jean (cf. xiii, 14, ee qui est dit de l'Antichrist). A ce trait correspondra la promesse finale (11,10). — «Je connais ta tribulation », — les persécutions par toi subies. Elément déjà rencontré dans la lettre précédente, et sans doute s'agit-il des mêmes persécutions. — « Et ta pauvreté». — Dans l'ordre tem- porel s'entend ; c'est pourquoi l'auteur se reprend pour faire remarquer l'avantage de cette pauvreté. — « Pourtant tu es riche », — dans l'ordre spirituel, — (^ Et le blasphème », — les piopos injurieux et la calomnie — « de ceux qui re disent Juifs et qui ne le sont pas, mais qui >, — au lieu d'être peuple de Dieu, sont — « synagogue de Satan ». — Formule parallèle à ce qu'on a lu, dans la lettre précédente, touchant les faux apôtres. Mais les interprètes ne manquent pas de rappeler que Smyrne possédait une juiverie importante, et l'on admet que les per- sécutions seraient venues de là contre les fidèles de Smyrne : les persécuteurs seraient traites de faux Juifs et de synagogue (le Satan, parce qu'ils ne reconnaissent pas le Christ, les vrais •luils étant les chrétiens. Ce sont là des précisions auxquelles l'auteur pourrait bien n'avoir pas songé. La correspondance des faux Juifs avec les faux apôtres inviterait plutôt à voir dans ceux-là les mêmes sectaires que dans ceux-ci. Noter que les chrétiens ont de très bonne heure abandonné aux Juifs le mot « synagogue » et gardé pour eux « église » (Jac , 11, 2, est le seul passage du nouveau Testament où o-jvaywy/] 3e rencontre pour désigner l'assemblée chrétienne). Les blasphèmes des prétendus Juifs seraient leurs faux principes, et les faux Juifs seraient des chrétiens qui se prévaudraient de leurqualilé de Juifs ou de vrais Israélites en tant que vrais croyants, comme autrefois Paul, pour
94 APOCALYPSE DE JEAN, II, 10-11
'" Ne redoute pas ce que tu dois souffrir.
Voici que le diable va jeter des vôtres en prison
Pour que vous soyez éprouvés
Et que vous ayez tribulation dix jours.
Sois fidèle jusqu'à mort,
Et je te donnerai la couronne de la vie.
" Qui a oreille entende Ce que l'Esprit dit aux communautés
Le vainqueur, II ne sera pas atteint de la seconde mort. »
se recommander eux-mêmes. Le thème général de la seconde lettre serait le même que celui de la première, avec de légères variantes de forme, pour éviter la monotonie.
«Ne redoute pas ce que lu dois souffrir. » — Ici la persécu- tion reste en perspective, bien que la communauté l'ait éprou- vée déjà dans le passé (^ii, 19). — « Voici que le diable va jeter quelques-uns d'entre vous en prison . » — Il ne faut pas se hâter de substituer les Juifs au diable comme initiateurs de la persécution, puisque, dans la réalité, la prison suppose interven- tion des autorités païennes. Rien n'oblige d'identifier à la synagogue de Satan le diable persécuteur. Le diable peut avoir bien d'autres suppôts que les Juifs. — « Pour que vous soyez éprouvés » — dans votre foi et votre courage, — a et que vous ayez tribulation dix jours durant ». — Terme qui signifie une per- sécution courte (cf Dan. i, 12. 14 ; Nombk. xi, 19). Une telle prédiction n'a pas eu besoin d'être faite après coup. Exhorta- tion : — « Sois fidèle jusqu'à la mort », — s'il le faut, à travers toute persécution, — « et je te donnerai la couronne de la vie », — la couronne de l'immortalité. C'est la couronne qui convient à pareille victoire et à la qualité royale des élus (cf. t, 6; v, 10). La couronne de la vie peut être celle qui consiste dans la vie éternelle, ou plutôt celle qui appartient à l'immortalité. Allusion possible aux couronnes décernées dans les jeux (cf. HTim.iv,8).
Appel à tout lecteur chrétien: — « Qui a oreille », etc. — Pro- messe générale formulée en un trait de l'eschatologie: — «Le vainqueur ne sera pas atteint par la seconde mort.» — Ainsi qu'il apparaîtra plus loin(xx, 6; xxi,8), l'auteur appelle seconde mort la damnation éternelle, la sentence de réprobation qui frappera
APOCALYPSE DE JEAN, II, 12-13 95
*'Et à l'ange de la communauté qui est à Terga me écris : « Ainsi parle celui qui a l'épée A deux tranchants, affilée. " Je sais où tu demeures, Là où est le trône de Satan.
tous les pêcheurs dans le jugement dernier, et après laquelle ils seront jetés dans l'étang de feu. De la première mort, la mort na- turelle, il y a retour, mais pas de cette mort des damnés. A pro- pos de « la seconde mort n, il n'est pas indifférent de noter que le Livre des morts, dans l'ancienne religion de l'Egypte, est dominé par la préoccupation d'épargner au défunt d'être mis à mort une seconde fois dans l'enfer (cf. Boll, 49)- D'ailleurs l'idée et l'expression se rencontrent dans les targums (voir Charles, L og).
« Et à l'ange de la communauté qui est à Pergame, écris ». — Troisième lettre. Trait emprunté à la description du Christ : — « Ainsi parle celui qui a », — sortant de sa bouche (i, i6), — (( l'épée à deux tranchants, affilée ». — Cetle épée va servir à l'extermination des Nicolaïtes (ii, i6). Dans la première lettre également, il y a correspondance entre la mention des sept candélabres fii, 2) et la menace de déplacement pour le candé- labre d'Ephèse (11, 5) ; de même, dans la seconde, entre le Christ mort et vivant (11, 8) et la couronne de vie, la dispense de la seconde mort (vv. lo-ii). — Déclaration relative à l'état de la communauté de Pergame : — « Je sais où tu demeures, » — c'est un lieu périlleux, — « là où est le trône de Satan. » — Plus loin (xiii, 2 ; xvi, lO), le trône de Satan est Rome, résidence de l'empereur divinisé. Si le trône de Satan est à Pergame, ce ne doit pas être parce qu'on y rencontrait le culte d'Esçulape avec son serpent, ni à raison du grand autel de Zeus qui était sur l'acropole (voir cependant Holl, 112), ni précisément parce que les chrétiens y avaient été persécutés plus tôt et 'avec plus d'acharnement qu'ailleurs, ni à cause des Nicolaïtes, mais parce que Pergame possédait le plus ancien temple de Rome et d'x\uguste, érigé dès l'an 29 avant noire ère. Ce temple et son sacerdoce devaient être en abomination spéciale aux yeux de notre auteur, et leur présence aussi a pu contribuer à rendre
0(1 APOCALYPSE DE JEAN, II, 13
Tu retiens mon nom,
Tu n'as pas renié la foi en moi,
Même dans les jours d'Antipas,
Mon témoin,
Mon fidèle.
Qui a été tué chez vous,
Où Satan habite.
particulièrement délicate la position des chrétiens, réfractaires au culte impérial. L'on est donc ici en présence d'une situation vraiment spéciale, mais dont la significalion, si l'on peut dire, ne laisse pas d'èlre universelle; et c'est pourquoi l'auteur la relève, insistant sur la constance dont a fait preuve la commu- nauté de Pergame, plus exposée que d'autres à une persécution qui, dans une occasion donnée, a fait un martyr. La circons- tance est à noter: des exécutions sanglantes ont eu lieu en assez grand nombre ailleurs; pour la province d'Asie il y a eu et il y a encore beaucoup de vexations, et de graves dangers en perspec- tive; mais pour ce qui est des martyrs, il y a celui de Pergame. « Tu retiens mon nom, tu n'as pas renié ma foi ». — La com- munauté de Pergame n'a pas fléchi dans sa foi au Christ, — a même dans les jours », — on ne saurait dire si ces jours sont très éloignés, — « d'Antipas », — le temps de la persécution étant désigné par le nom même du martyr, — « mon témoin, mon fidèle, qui fut tué chez vous, où Satan habite ». — Antipas est donc mort martyr à Pergame; il appartenait à la commu- nauté du lieu, que son sort n'a point effrayée. Le martyre semble expliqué par le fait que Satan habite h Pergame; ni Esculape, ni le temple de Zeus ne rendraient sulïisamment compte de cette particularité. Antipas sera mort pour contravention au culte impérial, soit pour avoir protesté contre ce culte, soit pour avoir refusé d'y participer dans une circonstance où il était censé le devoir. Antipas est cité en type du martyr. On remarquera que le souvenir d'Antipas n'est point rappelé pour lui-nu'ine. mais en tant qu'illustrant le courage persévérant de la communauté dont il a l'ail partie. C est ce courage qui est recommandé en exemple à toutes les communautés. Dès maintenant elles sont prémunies contre le culte de la Bêle.
APOCALYPSE DE JEAN. Il, 14-15 97
" Mais j'ai contre toi (ce) peu, Que tu as là
Des gens retenant la doctrine de Balaam, Qui instruisit Balac
A jeter scandale devant les fils d'Israël Pour qu'ils mangeassent idolothyles et forniquassent. "Ainsi as-tu, toi aussi, Des gens retenant pareillement la doctrine des Nicolaïtes.
Ombre au tableau : la présence de Nicolaïtes, qui semblent tolérés à Pergame, tandis qu Ephèse les a rejetés. — « Mais j'ai contre loi un peu », — non pas peu de chose, mais un petit nombre de choses (oALya),et,à vrai dire, un seul grief: — « c'est que lu as là », — chez vous, à Pergame, — « des gens qui retiennent la doctrine de Balaam », — non qu'ils l'aient t'ait exprès, mais parce qu'ils se trouvent renouveler les pratiques de ce fameux devin, — « qui instruisit Btilac », — le roi de Moal), — « à jeter scandale devant les fils d'Israël pour qnils mangeassent des idolothyles o, — en participant aux sacrifices de Baal-Peor, — « et s'adonnassent à la fornication », - avec les femmes moabites dans le culte de ce même dieu (Nombr. xxvi-3; XXXI, i6). Le récit des Nombres ne dit pas que la séduction des Israélites par les femmes de Moab ail résulté d'un conseil donné par Balaam au roi moabite ; mais Philon {Vit. Moys. I, 53-55) a tiré du texte la même conclusion. — « « Ainsi as-tu, loi aussi, » — comme Ephèse, tes Balaam, — « des gens qui retiennent pareillement la doctrine des Nicolaïtes », — laquelle, par conséquent, doit être supposée identique en substance à celle qui vient d'être prêtée à Balaam. Ce passage autorise à conjecturer que le nom des Nicolaïtes e^t fictif, Nicolas étant, pour l'auteur, un équivalent (étymologique?) de Balaam. Les ISicolaïles ne se font point scrupule de manger les idolothyles et de pratiquer la fornication. Ces Nicolaïtes auraient donc eu des idées ou des pratiques aualogues, non point à celles de Paul, mais à celles que Paul a combattues chez certains Corinthiens (I Cor. viii, 7-18 ; x, 20-80). Bien qu'il ne faille pas trop presser les mots de notre auteur, la situation de la com- munauté de Pergame à l'égard des Nicolaïtes n'est pas la même que celle d'Ephèse; autrement, il ne lui en serait pas fait grief.
A LoisY — L'Anocah'pse de Jean. J
98 APOCALYPSE DE JEAN, II, 16-17
'* Repens-toi donc ; Sinon,
Je viendrai à toi bientôt Et je lutterai contre eux avec le glaive de ma bouche.
" Qui a oreille entende Ce que l'Esprit dit aux communautés.
Au vainqueur, Je lui donnerai de la manne cachée ;
« Tu as là » (n, i4), « tu as » (n, i5) ne signifie pas nécessaire- ment que les Nicolaïtes font encore partie de la communauté, mais signifie moins encore le contraire; l'auteur trouve du moins qu'on ne les traite point assez sévèremenl, qu'on ne