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LE MOYEN AGE
CHAI.ON-SUR-SAONF. IMP. PRANÇAISE RT ORIENTALE DK L. MARCEAU
M LE MOYEN AGE
REVUE
D'HISTOIRE tt DE PHILOLOGIE
2* SÉRIE. — TOME 1
(TOME X DE LA COLLECTION)
PARIS
LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR
67, RUE DE RICHELIEU, AU PREMIER 1897
I T'oies droits réservés i
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Il
t. IV
LA DIPLOMATIE FRANÇAISE
3 ET LE
TRAITÉ DE BRÉTIGNY
Par Ch. Petit-Dutaillis et Paul Collier
AVANT-PROPOS
Pour étudier comme il convient l'histoire du traité de Brétigny, il faudrait de longs travaux dans les archives départementales du Sud- Ouest et au Public Record Office. Je n'espère pas pouvoir jamais mener à bien cette œuvre, mais je compte que le présent essai va déblayer quelque peu le chemin, au profit de ceux qui la tenteront un jour. La question est obscureet embrouillée; et c'est peut-être pour cette raison qu'elle n'a suscité de nos jours aucun travail d'ensemble satisfaisant'. Nous ne ferons donc pas une besogne sans utilité, en posant ici le problème et en indiquant provisoirement une solution.
Les mémoires écrits sur la question au siècle dernier ont pour idée maîtresse, comme le lecteur le verra, un préjugé sans fonde- ment. Depuis ce temps, d'ailleurs, la Record Commission a publié, dans la nouvelle édition de Rymer, une quantité énorme de docu- ments relatifs au traité de Brétigny.
1. Voyez les diverses Histoires de France, et Ch. Benoist, La Politique de Charles V. — M. Coville, dans le chapitre qu'il a écrit \>ox\v Y Histoire f/énérale (tome III, particulièrement p. 98), a seulement résumé les travaux antérieurs, et ou ne pouvait lui demander plus. M. Cosneau, dans sa publication des Traités de la yuerre de Cent ans ( Collect. de textes pour sercir à l'étude et à l'enseiyn. de l'kist.), n'avait pas non plus à résoudre le problème, et s'est con- tenté de uous donner une bonne édition du traité de Londres et du traité de Calais, ainsi qu'un résumé très précis des négociations. — Quelques savauts ont porté la lumière sur certains côtés du sujet; tel M. l'abbé Moisant dans son livre sur Le Prince Noir en Aquitaine, chap. m et suiv. Mais le jugement général de M. Moisant sur l'application du traité (voy. p. 133 cl suiv.) nous semble tout-à-fait dénué de justesse.
Moyen Aye, t. x. 1
2 CH. PETIT-DUTAlLLIS et p. collier
Il y a quelques années, j'ai entrepris l'étude des actes publiés sur cette matière; je me suis rapidement convaincu qu'on ne les avait pas lus avec une attention suffisante, que la question des « Renon- ciations » n'avait jamais été élucidée et qu'avec le seul secours des documents imprimés il y avait à dire sur le traité de 1360 beaucoup de vérités toutes neuves. J'ai recherché aussi les pièces inédites qui pou- vaient se trouver au Record Office, dans les Miscellanea et les Miscellaneous Books of the treasury qf the Receipt, les Diplomatie Documents, le Queens Remembrancer et les Royal Lettevs. Ces divers fonds contiennent sur la question des documents inédits assez nombreux, mais de maigre importance. Au British Muséum, je n'ai vu, dans la Bibliothèque Cotton et la Royal Collection, que des copies d'actes très connus.
A Oxford et à Cambridge, malgré une enquête étendue, je n'ai rien trouvé qui vaille la peine d'être signalé, sauf le ms. Raiclinson D. 556, de la Bibliothèque Bodléienne, recueil du xve siècle, relatif au traité de Brétigny, qui contient quelques actes inédits. Obligé de ren- trer en France, et absorbé par d'autres occupations, je n'ai jamais fini les recherches commencées; j'ai cru devoir signaler ici les dépouille- ments que j'ai faits, pour qu'on ne recommence pas le travail inutile- ment.
Je crois qu'on ne découvrira pas de documents anéantissant les conclusions générales auxquelles je suis parvenu, et c'est pourquoi je laisse prendre par l'imprimeur les pages qu'on va lire, bien que l'enquête préparatoire soit incomplète. Je suis persuadé que les con- seillers de Jean le Bon, dirigés sans doute par le dauphin Charles, ont habilement dupé les diplomates anglais, et qu'Kdouard III s'est laissé envelopper dans une nasse dont il n'a pas su apercevoir les mailles fines et multipliées. De même Philippe-Auguste et son fil- ont trompé toute la chrétienté et mis le droit de leur côté par un subterfuge, quand ils ont affirmé que Jean sans Terre avait été con- damné à mort par les pairs comme meurtrier d'Artur. Puisse ma supposition avoir la même solidité et le même succès que celle de M. Bémontl Les deux hypothèses ont le même caractère ; c'est l'étude serrée des documents qui conduit à les former toutes deux ; les clartés qu'elles jettent sur L'époque les rendent toutes deux assez piquantes. Elles nous permettent, en effet, de constater que les diplomates français, au moyen âge, étaient plus adroits que les
LE TRAITE DE BRETIGNY 6
Anglais. Au xve siècle encore, Commines observait que, étant des gens « fort colericques », les Anglais « alloient plus grossement en bcsongne » et qu'il leur arrivait de ne pas « entendre les dissimula- tions dont on use deçà et ailleurs1 ». On voit que l'esprit des peuples peut changer à travers les âges .
Si l'on accepte la supposition que j'ai faite, on admettra aussi que la rupture du traité de Brétigny n'a pas eu le caractère qu'on lui avait jusqu'ici attribué, que la citation du prince de Galles en 1368 n'était pas une violation brutale du traité conclu huit ans auparavant, mais une suite logique des engagements qu'on avait eu l'habileté d'imposer aux Anglais. La figure matoise de Charles V s'éclaire ainsi plus vivement ; il était déjà avant son avènement le subtil person- nage qu'il fut depuis.
Un de mes élèves de l'Université de Lille, M. Paul Collier, a rédigé presque tout entière la dissertation qu'on va lire. Il a complété mes recherches autant, qu'il lui était possible, et il est arrivé par un tra- vail tout à fait personnel aux mêmes conclusions que moi; il a con- firmé mon hypothèse par un grand nombre d'arguments nouveaux. C'est une raison de plus pour que je lui apporte ici mes remercie- ments .
Ch. Petit-Dutaillis.
La plupart des historiens ont attribué justement à Charles V le relèvement de la France après la conclusion du traité de Brétigny. Mais personne ne s'est demandé s'il n'y avait pas entre ces deux faits une connexion véritable, si les conditions du traité n'avaient pas préparé le relèvement. Déjà l'auteur de la Chronique des quatre premiers Valois regrettait ce traité « legierement acordé, en grant grief et préjudice du royaume de France2 ». Les historiens modernes s'accordent à recon- naître que ce fut, pour employer les expressions de l'un d'eux,
1. Commines, IV, 6. Édition Chantelauze, p. 255.
2. Chron. des quatre premiers Valois, édit. Luce (Soc. de l'Histoire de France, 1862), p. 117.
4 CH. PETlTDUTAlLLlS ET P. COLLIER
un « déplorable traité, commandé par les circonstances, mais qui ne sauvait la couronne qu'au prix de la moitié delà France », laissée en toute souveraineté au roi d'Angleterre ; et l'on ajoute : « Une chose qui fait pardonner au Dauphin le traité de Brétigny, c'est que roi, il sut en réparer les conséquences1. » Michelet, qui a fait un admirable tableau de la politique de Charles V, « patientant jusqu'à ce qu'il fût assez fort », l'accuse « d'avoir menti hardiment » quand il soutint en 1369 que la suzeraineté des pays cédés aux Anglais lui avait été réservée parle traité. Henri Martin affirme que « on niait, on n'inter- prétait pas le traité ». Dareste expose sans les commenter les prétentions des deux partis. Des savants du xvme siècle, Secousse, Sallier, Bonamy ", ont bien vu que Charles V s'appuya sur le traité de 1360 pour maintenir en 1369 son droit de sou- veraineté sur les seigneurs de Guyenne, mais, adoptant sans critique des affirmations énoncées par certains auteurs du xv° siècle, ils ont voulu démontrer que tous les torts appartinrent aux Anglais et que le roi de France exécuta loyalement les articles de la paix. Il y a là une préoccupation patriotique très louable, qui n'est cependant pas de mise dans les recherches historiques et qui les a induits à faire dévier le débat. Il ne s'agit pas ici en effet de donner la mesure de la moralité de Charles V, mais seulement do voir si les Français ont été assez habiles pour tirer d'une paix en apparence désastreuse le parti le plus avantageux. Il y a donc lieu d'examiner attentivement le traité lui-même et le rôle des diplomates français en 1300. Peut-être pourrons-nous alors montrer que les conventions de 1360 contenaient tous les avantages que Charles V sut faire
1. Wallon, Jeanne d'An-, I, 20 (1893).
2. Mil, mires île /' .1 rnili'in ie des I nseript ions et lie/les Lettres, tollie XV11
(1751) : Mémoire dans lequel <>n ptouoe que Charles V nuit souverain de lu Guienne... en Î369..., par M. Secousse, p. 316-338; — Examen 'les reproches d'injustice et de mauvaise foi que quelques historiens anglais
[ont ii lu mémoire île Charles V, par M. l'abbé Sallier, p. 339-352; — — Discours sur le truite île Brôéignt/j par M. Bonamy, p. 3.r)3-38'.i.
LE TRAITE DE BRETIGNY
valoir ; que les Anglais s'y laissèrent tromper et que la paix de Brétigny, considérée généralement comme néfaste, fut une réelle victoire de la diplomatie française.
Premières négociations (avril 1360). — Le traité de Londres (24 mars 1359) contenait des conditions désastreuses, que les prélats, nobles et bourgeois réunis à Paris ne vou- lurent pas ratifier. Edouard III en fut très irrité et, avant la fin de Tannée, il envahissait la France. Cette campagne ne lui réussit guère ; il put bien imposer un tribut au duc de Bour- gogne, mais son armée se fondait peu à peu lorsqu'il arriva devant Paris : le 31 mars 1360, il était à Chantelou, près Mont- lhéry. La France était épuisée, et Régent, nobles, bourgeois et paysans désiraient la paix . Sur l'entremise du légat du Pape, Simon de Langres, les négociateurs s'assemblèrent à la Mala- drerie de Longjumeau le 3 avril 1360. Ils se séparèrent sans avoir traité. Réunis de nouveau le 10 avril près de La Tombe- Issoire, ils ne purent s'entendre davantage, et Edouard, qui n'avait pas osé attaquer Paris de vive force, leva le camp et se dirigea vers Chartres1. Les Grandes Chroniques, ne disent pas ce qui fit échouer ces pourparlers, mais d'autres auteurs nous informent que la rupture vint d'Edouard III, qui voulut imposer des conditions trop dures5 ; il demanda sans doute les mêmes stipulations territoriales et pécuniaires qu'au mois de mars 1359.
Conclusion du traité du 8 mai. — Il fut bien vite obligé d'en rabattre : sa conquête n'avait fait aucun progrès et les ravages commis par ses soldats en Picardie et en Cham-
1. Grandes Chroniques de St-Denis, édit. P. Paris, VI, p. 151-171.
2. Chronique des quatre premiers Valois, p. 115. — Chronique nor- mande du XIV siècle, édit. A. et E. Molinier (Soc. de l'Histoire de Fiance, 1882), p. 152. — Chronicon An/jliœ 1328-1388 auctore wonaeho quodam Sancti Albani, édit. Thompson (Renan britann. medii œvi scriptores, n" 64, Londres, 1874), p. 42.
(] CH. PETIT-DUTAILLIS ET P. COLLIER
pagne ne lui avaient pas assuré ces provinces. A présent son armée manquait de vivres et le pays était ruiné. S'il avait prolongé son séjour en France, il aurait peut-être été contraint de vider le royaume : le duc de Lancastre lui disait : « Nous pouvons perdre en un jour plus que nous n'avons conquis en vingt ans1. » Il laissa entendre lui-même qu'il traiterait volontiers5. Le Régent envoya immédiatement à Chartres ses députés : l'évêque de Beauvais, Jean de Dormans, était le principal. Les négociations, rendues plus faciles par l'esprit de conciliation et le désir d'en finir, ne durèrent qu'une semaine, du 1er au 8 mai. Malheureusement nous manquons de renseignements, nous ignorons les points débat- tus. Les Anglais durent d'abord réclamer les stipulations du traité de Londres, puis ils reculèrent peu à peu. Jean Le Bel3 et Froissart4 donnent des clauses différentes de celles du traité de Brétigny : le roi d'Angleterre aurait perpétuellement sans nul ressort et sans tenir du roi de France ni d'autre, la Guienne, le Poitou, etc.; mais il devait tenir le comté de Ponthieu
1. Chronique des quatre premiers Valois, p. 115 sqq., et Froissart., I, §474. (édit. Luce, VI, p. 4.)
2. Grandes Chroniques, VI, p. 171.
3. Édition Polain, tome II, p. 268-270.
4. Livre 1, § 475 (2° réd., t. VI, p. 241). Le§ 475 (1" réd., t. VI, p. 5-17) contient une prétendue « chartre de le paix », (ce n'est d'ailleurs qu'une lettre de renonciations), qui n'a pas été reproduite dans la 2" réd. et qui paraît n'avoir aucune valeur historique : 1" elle est d'Edouard III, et le traité du 8 mai fut fait au nom du prince de Galles ; 2" elle est datée de Brétigny, 25 mai; or, Edouard était en Angleterre le 18 mai (Ry mer, édition de la Record Commission, III, i, 494) ; 3" elle dillï're par plusieurs clauses (relatives à la livraison des terres, aux termes de la rançon, aux otages), de la convention du 8 mai, que le prince de Galles avait ratifiée à Louviers, le 16 mai, et le Régent à Paris, le 10 mai : de quelle façon expliquer ces changements apportés par le roi Edouard? 4" la (in de l'art. 12 du 8 mai porte que « du temps et lieu ou et quant les dittes renonciations se feront, parleront et ordeneront les deux roys a Calais ensamble » ; Edouard ne pouvait donc régler ces questions à l'avance ; 5" il le pouvait d'autant moins qu'il ignorait si Jean accepterait ces conditions, et il ne se serait pas engagea des renonciations sans promesse semblable du roi de France ; or, ce dernier était en Angleterre.
LE TRAITE DE BRETIGNY 7
en fief du roi de France, comme son père faisait. D'après le texte de Jean le Bel, Jean devait payer 3 millions de florins, dont 600.000 dans les trois semaines qui suivraient la Saint- Jean (24 juin) 1360, et le reste en trois ans. Les Français devaient avoir accompli les conventions et baillé aux Anglais toutes les terres dans les trois semaines après la Saint-Jean. Moyennant ces conditions, le roi d'Angleterre délivrait le roi Jean et renonçait à ses prétentions sur le royaume de France. Ce traité, s'il était un peu plus « passable » que celui du 24mars 1359, au- rait été aussi peu « fesable ». Comment réunir en deux mois 600.000 florins, comment livrer aux Anglais une telle étendue de pays ? Il est vraisemblable que ces clauses, que Jean Le Bel avait sans doute connues par un des seigneurs députés, fui ent proposées par les Anglais, qui n'abandonnaient que peu à peu leurs prétentions. Il est certain, en tout cas, que leurs exigences finales furent moins dures : le roi de France devait céder les mêmes terres, mais il avait jusqu'à la Saint-Michel (29 sep- tembre) 1361 pour accomplir cette livraison ; il devait payer 3 millions d'écus d'or, mais les 600.000 premiers dans les quatre mois de son arrivée à Calais, et les autres à raison de 400.000 par an. Ces conditions étaient encore onéreuses pour la France; pourtant il fallait les accepter, en attendant. C'est ce quefit le Régent, qui était tenu chaque jour au courant des négocia- tions1. Le traité de Brétigny fut conclu, en son nom, le 8 mai5. Le 7 mai 1360, ses députés avaient consenti une trêve jusqu'à la Saint-Michel 1361 , trêve qu'il ratifia le lendemain, et qui stipulait que les' hostilités cesseraient pour permettre l'exé- cution du traité, qui ne peut pas « être accompli en brief temps3 ».
L'annonce de l'accord fut accueillie à Paris avec un grand enthousiasme. L'armée anglaise quitta bientôt le pays, et les deux gouvernements s'efforcèrent de faire respecter les trêves,
1. Froissart, I, § 474 (édit. Luce, VI, 3).
2. Le texte français et latin est dans Rymer, III, i, 487-494.
3. Rymer, III, i, 485-486. — Martène, Thésaurus, I, 1423 sqq.
8 CH. PETIT-DUTAILLIS ET P. COLLIER
comme le témoignent de nombreux actes1. Bientôt Edouard III et Jean II confirmèrent le traité â Londres, le 14 juin*, puis Jean put venir à Calais, où il débarqua le 8 juillet. Edouard III n'arriva à Calais que trois mois plus tard, le 9 octobre, lorsqu'il fut assuré que Jean pourrait payer une partie de sa rançon. Le Régent, après une courte visite aux deux rois, séjourna à Bou- logne, d'où il dirigea sans doute les négociations3.
Caractère provisoire du traité du 8 mai. — Car le traité du 8 mai n'était que provisoire : il avait fixé les conditions de la paix, mais il ne l'avait pas conclue, c'était une convention préliminaire faite entre les deux fils aînés. Et, quoique le Régent eût plein pouvoir de son père pour traiter4, Edouard III, bien que présent, n'avait pas voulu signer cette paix. Le prince de Galles s'y appelait d'ailleurs « fils au noble roi de France et d'Angleterre», et il n'aurait pu conserver ce titre dans le traité définitif. De plus, plusieurs questions y étaient restées en suspens : le roi d'Angleterre voulait avoir des garan- ties avant de s'engager complètement ; sans doute aussi, le Régent, qui par les trêves du 7 mai était assuré de la cessation des hostilités, n'était pas mécontent de retarder cle quelques mois la signature de la paix, et espérait obtenir des corrections avantageuses.
NÉGOCIATIONS DE CALAIS. La CLAUSE DES RENONCIATIONS.
— Les détails circonstanciés nous manquent encore au sujet des négociations de Calais. Un court paragraphe de Froissart nous apprend seulement que les deux rois se réunirent fréquemment, se traitèrent avec beaucoup de cordialité, mais intervinrent peu
1. Rymer, III, i, 485-514, passim. — Martène, Thésaurus,!, 1423 sqq.
2. Martène, I, 1426-27. — Gr. Citron., VI, 215. — Sur la situation de Jean le Bon à cette époque, voy. Duc d'Aumale, Notes et documents relat. à Jean, roi de France (Londres, 1856), p. 46 sqq.
3. Gr. Chron., VI, 215 sqq.
4. Acte de Jean du 1" avril 1360 (Martèno, I, 1422).
LE TRAITE DE BRETIGNY »
dans les discussions diplomatiques. Chacun des articles fut l'objet d'un examen approfondi entre les conseillers français et anglais1. La plupart furent reproduits textuellement; on con- serva même des clauses telles que celle-ci : « Le roi d'Angle- terre fera amener le roi de France à Calais. » Le terme de la livraison des terres, fixé à la Saint-Michel (29 septem- bre) 1361, fut reculé jusqu'à la fin d'octobre 1361 (un an après que Jean aurait quitté Calais)2. Edouard III se contenta de 400.000 écus, au lieu de 600.000 qu'il devait alors recevoir ; les 200.000 restants devaient être payés à la fête de Noël et à la Chandeleur suivantes 3.
Froissart nous dit qu'il y eut entre les Français une longue délibération au sujet des renonciations4. Ce témoignage doit être exact, car le traité de Calais diffère principalement du traité de Brétigny en ce que les articles relatifs aux renoncia- tions (fin de l'art. 11 et art. 12 du 8 mai) ont été enlevés du texte du traité, pour faire l'objet d'une convention spéciale. L'assertion de Froissart est corroborée par la charte même des renonciations, qui parle de a plusieurs altercations eues sur ce)). Essayons de reconstituer ces discussions.
Les articles 11 et 12 clu 8 mai stipulaient que les habitants des pays cédés seraient hommes liges et sujets du roi d'Angle- terre, et que celui-ci tiendrait ces possessions « comme sei- gneur souverain et lige et comme voisin au roi et au royaume de France » ; pour accomplir cette clause,, le roi de France devait renoncer expressément au ressort et souveraineté des terres cédées ; le roi d'Angleterre par contre renoncerait ex- pressément aux droits qu'il prétendait sur la couronne et le royaume de France. Les deux rois devaient fixer à Calais le temps et le lieu desdites renonciations5.
1. I, § 479.
2. Traité de Calais, 24 oct., dans Cosneau, op. cit., p. 39 sqq. Voy. art. xn et xxvi.
3. Rymer, III, i, 583.
4. I, §481.
5. Cosneau, op. cit., Appendice I.
10 CH. PETIT-DUTAILLIS ET P. COLLIER
Le roi d'Angleterre avait, ce semble, intérêt à ce qu'elles fussent faites le plus tôt possible. Il avait dû comprendre l'im- possibilité de conquérir le royaume de France, que plus de vingt ans de luttes ne lui avaient pas donné. Ses succès n'avaient été que des coups de surprise, et, malgré ses dépenses, malgré la valeur de son armée, malgré l'incapacité de ses rivaux, mal- gré leurs embarras intérieurs, malgré les guerres de Flandre et de Bretagne, il n'avait pu anéantir la puissance des Valois. Dès que ses troupes avaient séjourné quelques mois sur le con- tinent, elles fondaient très vite. 11 devait donc s'estimer heureux qu'on lui offrit, en retour d'un titre vain, l'entière possession de plusieurs riches provinces. Il est vrai que leur cession â Edouard n'était pas faite; mais, si cette livraison devait dans la suite souffrir quelques difficultés, il est probable que le roi d'Angle- terre, muni du dernier ressort et souveraineté, aurait vu la plupart des barons aquitains accomplir à son égard leurs devoirs féodaux. Délaisser le nom de roi de France pouvait coûter un peu à son orgueil, mais la compensation était trop belle pour qu'il ait dû hésiter. Il est donc vraisemblable qu'Edouard III fit proposer à Calais d'accomplir immédiatement les renoncia- tions. Cette proposition fut en effet mise en avant, comme nous le lisons dans lacharte des renonciations1 : « Et eust esté pour- parlé que nous et nostre dit ainsné iilz renoncissons auxressors et souverainetez . . .que semblablement. . . le roy d'Angleterre et son dit fil renonçassent... au nom et au droit de la cou- ronne de France... sur lesquelles choses, après pluseurs alter- cations eues sur ce, et, par espécial, pour ce <pie lesdites renonciations ne se feront pas de présent . . » L'intérêt du roi de France était opposé: pour lui la renonciation d'Edouard III à la couronne de France était illusoire, puisqu'on fait les barons, prélats et bourgeois voulaient rester dans son obédience; mais il devait avoir le désir de ne pas abandonner à jamais les pro- vinces que la nécessité le foirait de céder à Edouard III. Et le
1. Rymer, III, i, 522.
LE TRAITÉ DE BRETIGNY 11
moindre retard dans l'accomplissement des renonciations lui était favorable ; un retour de fortune est toujours possible. Ses négociateurs devaient donc agir de telle sorte que les renon- ciations ne pussent être définitives à Calais. Dans un passage assez obscur 1, Froissartnousreprésentel'évêquedeThérouanne, chancelier de France, requérant le roi d'Angleterre d'accomplir tous les articles du traité, après en avoir délibéré longuement avec les autres conseillers français. Edouard III répond qu'il le désire, mais qu'on lui dise « de quoi et comment » . Les Français alors ne somment pas Edouard, comme on pourrait le croire, de renoncer solennellement et sur-le-champ à la couronne de France. Ils réclament une charte « faisans men- tion plainnement des renunciations ». Les Anglais l'accordent « legierement ». Après délibération commune, les négociateurs des deux parties s'entendent sur le texte de cette charte. Ainsi cette modification au traité du 8 mai a été l'œuvre des en- voyés français, qui surent la faire accepter par leurs adver- saires.
Importance de la correction de Calais. — Et pourtant l'importance de cette correction est considérable : Froissart n'en parle pas dans sa première rédaction, inspirée par les Anglais; mais, dans sa seconde rédaction, faite sous l'influence d'amis de la France et sans doute avec les souvenirs de quelques seigneurs de ce pays, il dit formellement* que les conseillers de France mirent au traité « ung point que li Englès n'entendirent mies bien ne examinèrent, mais le lais- sièrent legierement passer » ; et que le roi Jean et ses fils, quand ils jurèrent la paix, dirent, pour avoir droit de récla- mation dans l'avenir : « Nous dounnons et reservons toutes les coses dessus dittes. » Les Grandes Chroniques parlent bien de la suppression des art. 11 et 12, mais sans la com-
1. I, §481.
2. 1, § 475, 2e réd. (t. VI, p. 242-243).
12 CH. PETIT-DUTAILLIS ET P. COLLIER
menter. Il faut croire pourtant que l'importance de cette modification n'échappa point aux Français, puisqu'au xvr9 siècle Du Tiliet nous en informe en ces termes : « Faut icy entendre la correction faite, sa/ts que le Conseil duclit roy Edouard s'en apperceusV. » Les Anglais se sont donc laissé jouer, d'après ces témoignages ; ils n'ont pas vu le parti qu'allaient tirer les diplomates français de ce changement dans le traité; certains n'ont même pas aperçu la modification, puisque le moine de Saint-Alban, auteur du Chronicon Angliœ, place dans le résumé du traité la clause effacée : « Rex Angliœ omnia prœdicta tenebit tamquam vicinus régis Francis, absque recognoscere superioritatem, » etc.2.
Ainsi l'habileté de la diplomatie française est attestée par un contemporain, reconnue par l'un des plus exacts de nos vieux historiens. Leur assertion est confirmée si nous exa- minons la correction en elle-même : on supprima dans le traité la seconde moitié de l'art. 11 et tout l'art 12, et on n'y laissa subsister que le commencement de l'art. 11, où l'on ne parlait point de la souveraineté des pays cédés. La question des renonciations fut l'objet d'une charte spéciale, en dehors .du traité. Le traité ne comportait plus les renonciations. Ce simple fait d'avoir réussi à les exclure du texte du traité, empêchait celui-ci d'être définitif. Le caractère provisoire de l'accord du 8 mai persistait dans l'instrument du 24 octobre, puisque la clause la plus importante, celle qui réglait le principe du différend entre les deux rois, n'était pas déter- minée, ou du moins que son exécution était différée. Ajoutons qu'étant exclu du traité cet article avait moins de chances d'être mis à effet: le traité était un acte juré par les grands seigneurs des deux pays, la charte des renonciations n'était
1. Du Tiliet, Recueil des roys de France, tome II contenant les guerres et traictes <!<■ paix... d'entre les rois de France et d'Angleterre (Paris, Mettayer, 1606, in-4"), p. 255. Il ajoute, p. 256: « De reste correc- tion fut fait bouclier par le roy Charles cinquiesme. »
2. Chronicon Anyliœ, p. 46.
LE TRAITÉ DE BRÉTIGNY 13
qu'un accord entre les deux princes et leurs fils aines ; l'en- gagement des deux rois à respecter cette charte en devenait moins sacré. Il ne faut pas oublier l'importance que prenait la question de forme au moyen âge; tandis que le traité avait pour garantie le serment prêté par les rois et les plus grands seigneurs des deux pays, les lettres de renonciations n'étaient plus qu'une sorte de contrat particulier entre les deux rois. Ils promettaient, il est vrai, sur les saints Évangiles d'en accom- plir les clauses; mais leur conscience seule, non celle de leurs peuples, y était intéressée.
C'était donc un premier triomphe des Français. Ils le complétèrent en faisant accepter aux Anglais des conditions toutes nouvelles : en effet, dans les art. 11 et 12 du 8 mai, les renonciations n'étaient pas conditionnelles : le roi d'Angle- terre pouvait les faire avant d'avoir reçu les pays qui lui étaient attribués. Leur caractère changea avec les chartes spéciales du 24 octobre: Jean1 promit de faire les renonciations sitôt qu'il aurait baillé aux Anglais le Poitou, avec Thouars et Belleville, l'Agenois, le Périgord, le Caourcin, le Limousin, le comté de Gaure, c'est-à-dire la plus grande partie des terres cédées ; Edouard2 devait les faire sitôt que Jean lui aurait baillé le Poi- tou, etc.. La livraison des terres devait avoir lieu pour la Saint-Jean- Baptiste ou au plus tard pour la Toussaint de l'année 1361. Aussitôt après, chaque roi devait faire, dans son royaume, des renonciations devant les envoyés de l'autre, puis les lettres définitives de renonciations devaient être échangées solennellement la même année, entre les députés des deux pays, « en l'Eglise des Augustins a Bruges3 », pour l'Assomp- tion (15 août) dans le premier cas, pour la Saint-André
1. Ryrner, III, i, 522.
2- H., ibid., 524.
3. On choisissait alors très fréquemment la ville de Bruges pour y tenir des conférences ou y accomplir des conventions C'est là qu'en 1374-1375 les envoyés du roi d'Angleterre négocièrent avec ceux du Pape au sujet de l'Église anglicane.
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(30 novembre) dans le second. Ils s'engageaient à surseoir, jusqu'à ces termes, l'un d'user de souveraineté et ressort, l'autre de s'appeler roi de France. Mais leurs prétentions actuelles auxdits souveraineté et ressort ou au titre de roi de France demeuraient en l'état présent. Enfin il suffisait que l'un fit les renonciations dans la manière susdite pour que l'autre fût censé avoir fait les siennes1.
Le roi d'Angleterre était pris dans une impasse : il était presque certain que les Français n'auraient pas livré dans le délai fixé le Poitou, l'Agenois, le Périgord, le Caourcin, le Limousin et le comté de Gaure : des atermoiements sont (tou- jours faciles à trouver. Et alors, ou bien le roi d'Angleterre, fidèle au texte des renonciations, ne les faisait pas, et le ressort
1. Cf. Ryraer, III, i, 522-25. Il ne faut pas confondre les lettres que nous venons de citer, qui marquent de quelle manière doivent se faire les renon- ciations et qu'on appelle « Renunciationes cum clausula : C'est assavoir,» avec les « Renunciationes pur;r ; » celles-ci ne sont autre chose que les lettres de cession en toute souveraineté des terres, lettres devant être baillées à Bruges ////'• fois 1rs renonciations faites. Le modèle de ces « Renunciationes purée » est contenu dans une lettre où Jean le Bon pro- met d'en bailler de semblables, une fois les renonciations faites. V. Ry- mer, III. i, 527-528. (Boulogne, 20 octobre. Mômes lettres, Calais 24 oct., dans Diplom. Docum., Box 6, n" 161.) Logiquement, les « Renunciationes purse » ne devraient pas être datées. Pourtant, celles qui sont données dans Rymer portent la date de Boulogne, 26 octobre 1360. Cette date est évidem- ment fantaisiste. La lettre de Jean du 26 octobre 1360 contenant le modèle des « Renunciationes purae » se trouve aussi dans un ms. île la Bibl. Nationale, collection De Camps, tome 46 (f" 571-580), qui comprend des copies d'actes relatifs aux années 1350-1364. De Camps l'a tirée du ms. franc. 2699 J(f°* 45-51), composé lui-même de copies d'actes se rapportant aux années 1355- 1418. Il esl à remarquer que la date du modèle des Renun- ciationes purœ est ici « Bois de Vincennes, 22 mais 1361 (1362)». Lesgensdu moyen âge avaient L'esprit très confus et il leur importait peu en pareille occasion de mettre une date fausse. Il est hors de doute que ces Renunciatio- nes purœ ne furent jamais baillées au roi d'Angleterre. Le ms. De Camps 46 (f° .M i7-57H) et le ms. franc. 2699 1 f" 8-9) contiennent une lettre de Jean, sans date, ave.itiss.nii les habitants de Guines que, puisque le roi d'Angleterre a fait les renonciations, ils ont à lui obéir comme à leur seigneur souverain au Lieu du roi de France. C'est encore là un modèle, mais partiel, de « He- nunciationes purœ ».
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et souveraineté des terres à lui livrées restaient au roi de France ; ou bien il les faisait, et dans ce cas, il reconnaissait implici- tement par cela même qu'on lui avait livré toutes les terres ci- dessus mentionnées, et on pouvait lui contester son droit sur celles d'entre elles qui restaient à bailler. Il y avait peu de chances pour qu'Edouard III prit ce dernier parti. Remarquons d'autre part que la charte des renonciations ne prévoyait pas de terme plus éloigné que la Saint-André 1361, de sorte que, si le roi d'Angleterre, n'ayant pas fait les renonciations à ce moment, les voulait accomplir un peu plus tard, elles étaient nulles de droit. Ainsi, de toutes façons, le roi d'Angleterre était joué; car, on peut le répéter ici, il importait très peu à Jean le Bon que son rival conservât le titre de roi de France, puisque en fait la maison de Valois jouissait seule du pouvoir royal, tandis qu'il importait beaucoup à Edouard III que le roi de France renonçât à la souveraineté des terres cédées, qui, sans cette formalité, lui appartenaient toujours en droit et pouvaient, par un retour de fortune, lui revenir en fait. Ainsi, les diplomates français avaient su garder au traité du 24 oc- tobre un caractère provisoire \ et ils durent mettre tous leurs efforts dans la suite à le rendre caduc.
L'exécution du traité se fait d'abord facilement. — Les deux rois ne s'étaient guère mêlés aux négociations deCalais; ils avaient plutôt passé le temps en festins et en divertissements. Animés tous deux de l'esprit chevaleresque, ils préféraient faire assaut de courtoisie et rivaliser de bonne grâce. Ils jurèrent solennellement la paix clans l'église Saint-Nicolas de
1. La confirmation définitive du traité de 1360 devait suivre les renon- ciations de Bruges (24 octobre 1360; Rymer, III, i, 519). — Cf. les lettres d'Edouard III, 24 oct. 1360, par lesquelles il proteste qu'il n'entend point abandonner l'alliance flamande, jusqu'à ce que le roi de France ait fait les renonciations ; lettres correspondantes de Jean le Bon concernant ses alliances en Ecosse et en Bretagne (Rymer, III, i, 531).
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Calais (24 octobre), confirmèrent par lettres spéciales chaque article du traité, leurs fils aînés vidimèrent encore ces actes, qui furent renouvelés par le roi Jean à Boulogne, dès qu'il fut sorti de captivité. Si nous ajoutons à tout cela les lettres d'Innocent VI (qui du reste appelle toujours Jean roi de France et Edouard roi d'Angleterre) et les attestations de ses légats, nous pourrons dire que peu de traités furent entourés de tant de précautions et firent consommer plus de parchemin que celui de 1360. Jean fut délivré, malgré la mauvaise volonté de quelques seigneurs français, surtout de ses fils les ducs d'Anjou et de Berry, qui consentirent difficilement à entrer en captivité1 ; les otages partirent de Calais avec le roi d'Angleterre le 31 octobre', et chacun des deux rois s'efforça d'exécuter le traité. Jean devait bailler dans un court délai Guines, la Rochelle, le Ponthieu, la Saintonge et l'Arigoumois ; Guines et la Rochelle servaient de rachat au roi de France, les autres territoires devaient être échangés contre les forteresses occupées par les Anglais en Normandie, Touraine, etc\ Toutes ces livraisons furent faites, mais avec des retards. La Rochelle ne vint en possession des Anglais que le 6 décembre 13(30. Malgré la bonne volonté d'Edouard III, qui nomma des commissaires pour faire évacuer les forteresses tenues par ses gens*, les bandes anglaises firent des difficultés', et ce n'est qu'en mars 1361 par exemple) que furent vidées les forteresses en échange desquelles le Ponthieu devait être livré. Jean s'em- pressa de bailler le Ponthieu, puisque le 12 avril 1361 Edouard nomme un sénéchal avec pleins pouvoirs pour le Ponthieu et Mon treuil. La Saintonge et l'Angoumois ne furent livrés
1. Jean le Bel, II, 27:î. Cf. cependant une pièce éditée par Lecoy de la Marche, Le roi René, II, 206.
2. Froissait, I, § 487. — Gr. Chron., VI, p. 219. :(. Traité de Calais, édit. Cosneau, art. 14 et 27. 4. Calais, 28 octobre L360(Rymer, III. i. 546).
."». Voyez les détails sur l'évacuation de la Normandie, donnés par M. IV- lisle, Hist.de Saint Sauveur le Vicomte, p. 118 sqq., et par M. Coville, États de Normandie au XIV* siècle, p. 100 Bqq.
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qu'en octobre 1361 à Chandos'. Pourtant les difficultés ne vinrent pas au début des deux gouvernements. De nombreuses lettres d'Edouard III enjoignirent la stricte exécution de la paix, nommèrent des commissaires pour réparer les atteintes et menacèrent de peines sévères ceux qui contreviendraient à ses ordres ; Jean II de son côté chercha à assurer la tranquil- lité des Anglais voyageant en France !.
Bientôt les Français entravent l'exécution du traité, pour empêcher les renonciations, qui n'ont pas lieu. — Ces prescriptions ne furent pas entièrement exécutées, mais bientôt la mauvaise volonté des routiers allait se compliquer de celle du gouvernement français. Il est probable que Jean désira jusqu'à sa mort l'accomplissement loyal des articles jurés et que l'opposition vint de son fils. L'attitude du roi et du dau- phin pendant les négociations, et aussi certains faits que nous exposerons plus tard semblent justifier cette conjecture.
Dès le 20 janvier 1361, Edouard III avait nommé Jean Chandos son lieutenant en France pour exécuter la paix et les trêves, en réparer les violations, réclamer la livraison des places, etc.'. Chandos s'efforça de faire vider les forteresses occupées par les Anglais, puis, comme le roi de France ne s'empressait pas de livrer les pays qu'il devait céder, Edouard III envoya son fidèle serviteur, avec d'autres commissaires, requé-
1. Acte du 12 mars 1361 (Rymer, III, n, 608). — Rymer, ihid., 613. — Procès-verbal de délivrance à Jean Chandos... des pinces françaises abandonnées /<"/■ le traité de Brétigny, publié par A. Bardonnet, Niort, 1867. in-8", p. 46-61. Ce procès-verbal se trouve aussi dans les Mémoires de In Société il'- statistique, sciences et arts des Deux-Sèvres, 2e série, t. VI. 1866, p. 115 sqq.
2. Rymer. III, i, 537. n, 614-615, etc., etc. On trouve de nombreux dé- tails sur les missions de ces commissaires anglais en France dans les comptes conservés au Record Office : Exchequer, Queen's remembran" cer's Miscellanea, Nuhcii, 628, 629, 630.
3. Rymer, III, i, 555.— Le compte des dépenses de Chandos en France du 30 janvier 1361 au 20 mai 1362 est au Record Office : Exchequer, Qneea's remcmbranccr's Miscdlanca, 49/1.
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rir de Jean II la cession des terres1. Celui-ci dut, par des lettres datées du Bois de Vincennes, 27 juillet 1361!, ordonner aux habitants des divers pays à bailler de transporter leurs hom- mages au roi d'Angleterre. Mais il n'oublia pas d'ajouter : « sauf et réservé à nous la souveraineté et le dernier resort jusques les renonciacions soient faites. » Ce n'était là qu'un acte prélimi- naire. Les Français (car il ne serait sans doute pas exact de dire : le roi de France) cherchèrent à en entraver l'exécution : on livrerait aux Anglais le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois, le Limousin, le Périgorcl, le Bigorre, etc., mais le Rouergue, l'Agenois, le Gaure, etc., ne seraient baillés que lorsque plu- sieurs forteresses auraient été vidées par les Anglais. Chandos répondit qu'à peine une ou deux restaient à délivrer au roi de France ; on céda, mais la discussion avait pris quelque temps. Ce n'est que le 12 août 1361 que les commissaires fran- çais furent nommés. Les tribulations de Chandos n'étaient pas finies ; il partit pour le Poitou, espérant y trouver Boucicaut et les autres envoyés du roi de France. Mais Boucicaut, sous de futiles prétextes, fit attendre sa venue plusieurs semaines, et les autres Français déclarèrent qu'ils ne feraient rien sans lui. Il ne rencontra Chandos que le 21 septembre. Et il parait qu'il tenta encore d'user de délais. Chandos tint ferme, et, bon gré mal gré, il fallut exécuter la livraison des terres3. Il est manifeste qu'il y avait chez les Français un parti pris de retarder le plus possible cette cession pour qu'elle ne fût pas achevée au 1er novembre 1361, date fixée par le traité et par les lettres de renonciations. Leur calcul était juste. Chandos devait s'arrêter devant chaque ville, devant chaque château un peu important; il n'avait, à la (in d'octobre, reçu
1. Ces commissaires furent nommés le 1er juillet 1:501. (Champollion- Figeac, Lettres de mis, reines, etc., II, p. 135). ■I. Rymer, III, n, 624.
3. Toute cette exposition a été empruntée à l'intéressant Procès-verbal de dèlicranoc à Jean Chandos, p. 2-11.
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que le Poitou (moins quelques terres, comme Belleville), l'An- goumois, et la Saintonge1.
Ainsi, à supposer qu'Edouard III ait songé alors sérieusement à faire les renonciations, il aurait peut-être été frustré d'une grande partie des pays qui devaient lui appartenir. Et pourtant c'était à ce moment qu'il fallait accomplir les renonciations. Furent-elles faites? Longman dit que, le 15 novembre 1361, Edouard envoya des députés pour recevoir les renonciations du roi Jean; il est douteux, ajoute-t-il, que quelqu'un soit venu de la part du roi Jean, et certain que les renonciations ne furent jamais faites'. Longman s'en réfère à Rymer. Reportons-nous au texte. Par l'acte du 15 novembre 13613, Edouard députe Thomas de « Uvedale » chevalier, et Thomas de « Dunclent » li- cencié es lois, pour requérir le roi de France: 1° de bailler tous les pays qu'il doit céder; 2° de faire les renonciations ; et pour recevoir les lettres de renonciations du roi de France, à Bruges, à la Saint-André. Il n'est donc pas vrai que le seul but de leur voyage fût Bruges, ni que leur seule mission fût d'échanger les lettres de renonciations, comme le laisse enten- dre Longman. De plus, nous savons ce qu'ont fait ces députés : Thomas de « Dunclent » ou « Douclant » s'est fait remettre le 19 janvier 1362, par la Chambre des Comptes de Paris, les « livres, cahiers, papiers, registres, comptes, cartres et lettres » concernant les provinces cédées *. En revanche, il n'est pas allé à Bruges. Il est clair qu'Edouard III n'avait pas prescrit à ses députés d'insister pour échanger les renonciations. 11 voulait seulement, par une démarche officielle, se dégager lui-même, montrer qu'il était tout disposé à accomplir ses promesses. Donc, la mission dont parle Longman eut pour seul résultat la
1. Bardonnet, Procès-verbal de délivrance, p. 11-61.
2. Longman, T/tr history of tfie life and fîmes bf Edward tkè third,
Londres, 1869, 2 volumes in-8°, t. II, p. 61.
3. Rymer, III, n. 629.
4. Renseignements dus à l'obligeance de M. Viard, qui va prochainement publier dans la Bibl. Ec. Chartes les lettres de Jean le Bon et la quittance de l'envoyé anglais relatives à la livraison de ces comptes.
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livraison d'un certain nombre de livres de comptes, et, du côté du roi d'Angleterre, les renonciations ne furent pas faites, son intérêt le lui interdisant1.
Le roi de France députa-t-il à Bruges ? L'exposé qui précède suffirait à en faire douter. Pourtant Jean de Montreuil l'a affir- mé; il prétend même que les envoyés français y restèrent très longtemps, tout prêts à accomplir les promesses du roi, et en particulier à abandonner en son nom la souveraineté des terres que le traité de Calais livrait aux Anglais; il ajoute que les Anglais au contraire ne vinrent pas à Bruges, « on le sait par de vieilles et notables gens des deux pays, et